Cet appel, lancé vers la Chine par un Vietnamien comme on jette une bouteille à la mer, dit l’auteur, est sans doute d’abord un appel à la raison et au cœur des Chinois pour qu’ils examinent sans passion et sans volonté hégémonique les multiples points de litige qui forment l’ensemble du contentieux opposant les deux pays. C’est pourquoi cette longue adresse « aux Chinois de bonne volonté »...

... constitue en même temps un véritable dossier rigoureux et pratiquement exhaustif, se référant sans cesse à des documents historiques et des travaux, cités en note. Une érudition qui, bien évidemment, n’empêche pas l’auteur de s’engager avec passion dans la défense de la cause de son pays. Car ce texte – le lecteur s’en apercevra vite – est aussi un vibrant plaidoyer, non pas contre la Chine, mais pour le Vietnam, pour son existence, pour sa survie, alors que son puissant voisin entame une montée en puissance.

Le problème abordé ici par l’auteur est sans doute celui qui, aujourd’hui, soulève le plus d’émotion et de passion au sein de la société civile vietnamienne. On l’a bien vu il y a seulement quelques mois, lorsque des manifestations quasiment hebdomadaires ont lancé dans les rues de Hanoi mais aussi de Saigon, des centaines et des milliers de personnes protestant contre les empiétements de la Chine sur la souveraineté vietnamienne. Certains catholiques y ont participé. Plusieurs d’entre eux ont même été arrêtés par la suite et attendent aujourd’hui leur procès. Des membres hauts placés de la hiérarchie catholique ont élevé la voix pour dénoncer la volonté hégémonique de la Chine. Deux colloques ont été organisés à Saigon par le club « Nguyên Van Binh ». L’un a pu avoir lieu malgré les pressions exercées par les autorités. Le second a dû être remis à une date ultérieure. L’évêque de Vinh, Mgr Nguyên Thai Hop, qui est aussi président de la Commission ‘Justice et Paix’, s’est exprimé avec une grande clarté sur ce sujet à plusieurs reprises, dans des interviews ou des déclarations radiophoniques. Tout récemment, il a figuré parmi les signataires d’une lettre de soutien envoyée aux dirigeants philippins, dans le conflit qui les oppose à la Chine pour la souveraineté de certains archipels en mer de Chine méridionale.

L’auteur de cette lettre aux Chinois de bonne volonté est M. Nguyên Huu Tan-Duc, un Vietnamien vivant en France depuis de longues années. Après quelques années enseignement de l’histoire et de la géographie, il a longtemps occupé un poste de rédacteur à l’Agence spatiale européenne. Depuis sa retraite, il consacre son temps à l’étude de l’histoire contemporaine du Vietnam et à la production littéraire. Outre certaines études concernant l’histoire et l’actualité, il a traduit en français plusieurs romans de grands auteurs vietnamiens contemporains tels que Nguyên Tuan, Thạch Lam, Sơn Nam.


Comme une bouteille à la mer, je confie cette missive à la Toile. Puisse-t-elle passer à travers les murailles de feu pour parvenir aux lecteurs de bonne volonté là-haut sur les rivages du Nord.

Alors que les bruits de bottes et le vrombissement des canonnières se font de plus en plus menaçants sur les frontières terrestres et maritimes de mon pays, je veux croire que la raison et le désir de paix de beaucoup finiront par l’emporter sur la soif de puissance de quelques-uns et la hâte d’en découdre de quelques autres. Et je prie le Ciel de nous épargner l’irréparable. Car, si par malheur il devait se produire, je n’ose imaginer les effroyables souffrances qui seront infligées à nos peuples et les dommages irrémédiables portés aux relations entre nos deux pays pour les générations futures...

Internautes chinois ! Je vous adresse ce billet en espérant qu’un certain nombre d’entre vous le liront. Sans illusion, je fais ce geste par acquit de conscience pour ne pas avoir à me reprocher plus tard d’avoir failli par omission, et pour que vous ne puissiez dire un jour que vous ne saviez pas !

En m’adressant aux personnes de bonne volonté, je suis censé me présenter comme doté de la même qualité, faute de quoi je ne serais au mieux qu’un bonimenteur, au pire un imposteur, auquel cas vous pouvez sans scrupule rejeter ma bouteille à la mer. Mais je veux croire à votre sens de l’humain (仁 rén / nhân) et à votre attachement à l’antique adage qui veut que « par delà les quatre mers tous les hommes sont frères » (四 海 皆 兄 弟, tứ hải giai huynh đệ) et qu’entre êtres humains doués de raison et de bon sens on peut toujours se comprendre à défaut de s’entendre.

Naturellement, je ne vous parlerai que de « sujets qui fâchent » puisqu’il s’agit bien de cela. Mais je dirai sans détour les choses comme elles sont, sans acrimonie ni exagération. Je n’ai que ma bonne foi à vous offrir, car tout ce que je dirai relève de faits patents et vérifiables et, qui plus est, connus et pensés par la grande majorité de mon peuple. Ai-je besoin d’ajouter que l’information distillée de leur côté par vos dirigeants et vos médias ne se fait qu’au compte-gouttes et au travers de filtres opaques et déformants ? D’où cet autre son de cloche que je me sens en devoir de vous faire entendre.

De toutes façons, je fais confiance à votre sens pratique bien connu pour peser le pour et le contre, les ‘pertes et profits’ en quelque sorte, en lisant ce billet. Car qu’avez-vous à perdre ? Soit faisant la sourde oreille vous condamnez mon pays à subir une nouvelle ‘leçon’ dont vos dirigeants ne cessent de brandir la menace (elle promet d’être encore ‘plus sévère’ que celle de 1979...); soit vous accordez à ces lignes quelque crédit et commencez à vous interroger sur le bien-fondé de la politique de votre pays. Devant un interlocuteur qui joue ainsi cartes sur table, vous êtes assurés de gagner sur les deux tableaux. Pile, en apprenant ce qu’il pense de votre pays en son âme et conscience, vous pouvez, au-delà de son cas individuel, percer les ressorts profonds de son peuple, ceci vous aidant à agir à bon escient et en toute bonne conscience. (Ce n’est pas aux descendants de Sun Zi que j’apprendrai que connaître la pensée d’un interlocuteur vous donne l’avantage dans toute dispute ou négociation, quoique je doute par ailleurs que se laisser entraîner par aveuglement ou inconscience dans une aventure belliciste contre bien plus petit que soi puisse constituer un motif de fierté et de ‘bonne conscience’...) Face, les faits exposés sont jugés assez fondés pour vous interpeler et vous inciter à adopter au moins un doute méthodique, qui, comme chacun sait, est le début de la sagesse: en faisant une réflexion critique sur la politique actuelle de votre gouvernement, vous rendrez un éminent service non seulement à votre pays mais également au monde.

La géographie et l’histoire

La nature a placé le Viêtnam dans la proximité immédiate de l’Empire du Milieu. Cruel et funeste destin qui a vu un millénaire entier de l’histoire de mon pays se dérouler sous la férule chinoise, à laquelle le soulèvement de Ngô Quyền ne mit fin qu’en l’an 938. Depuis lors et durant les dix siècles suivants, le pays Viêt libéré du joug Han a pu vivre dans une certaine indépendance et développer sa propre culture qui reste néanmoins fortement influencée par des apports chinois. Comme d’autres peuples voisins, il reconnaît la suzeraineté des Fils du Ciel auxquels il envoie périodiquement ambassades et tributs. Mais les empereurs de Chine n’ont jamais renoncé à la reconquête en vue de la soumission totale: à maintes reprises des guerres furent déclenchées pour soumettre le pays des Viêt (connu successivement sous les noms de Giao Chỉ, Đại Việt, Đại Nam, An Nam, puis Vietnam), qui les ont chaque fois repoussées grâce à la résistance d’un peuple de paysans et de lettrés pacifiques bien moins nombreux mais déterminés à se battre pour sauvegarder leur indépendance. Tout Vietnamien connaît dès son plus jeune âge les glorieux exploits de ses ancêtres qu’il gardera en mémoire tout au long de sa vie. Je me dois de rappeler quelques jalons:
- Dès le premier siècle de notre ère, les Sœurs Trưng (1) mirent fin à la première période de domination en chassant les Hán de l’Est pour se proclamer ‘Roi’ du Giao Chỉ (40-43); leur victoire éphémère et leur fin tragique n’en ont pas moins laissé une trace indélébile dans la mémoire collective des Vietnamiens;
- En 248 une pucelle de 23 ans, appelée par la postérité Dame Triệu Ẩu (2), à la tête de son armée d’éléphants sema l’effroi dans les rangs des Wei de l’Est (l’un des protagonistes des Trois Royaumes/Sanguó) et délivra le pays pour un court laps de temps;
- Plus d’un siècle après Ngô Quyền, en l’an 1077, Lý Thường Kiệt mit en déroute l’armée des Song à la bataille de Như Nguyệt en galvanisant ses troupes par un fameux quatrain (Nam Quốc Sơn Hà (3)) qui sera célébré comme la première Déclaration d’indépendance du Vietnam;
- Au XIIIe siècle, Trần Hưng Đạo, auteur d’une retentissante « Exhortation aux Officiers et Soldats » (Hịch Tướng Sĩ (4)), secondé par une équipe de généraux de talent, vainquit par trois fois les Mongols de la dynastie des Yuan au cours de trente années de résistance jalonnées par une série de batailles mémorables – de Đông Bộ Đầu (1258), Hàm Tử, Chương Zương, Vân Đồn, Tây Kết, Vạn Kiếp (1285)… jusqu’à l’éclatante et décisive victoire sur le fleuve Bạch Đằng (1288);
- Au XVIe siècle, le roi Lê Lợi, assisté par son ami stratège, lettré et poète Nguyễn Trãi, mit un terme à vingt années de domination Ming au cours d’une guerre de dix ans couronnée par la bataille de Chi Lăng/Xương Giang (1427). A l’issue de la victoire finale, Nguyễn Trãi fit rapport au roi dans une « Grande Proclamation sur la Pacification des Wu (Chinois) » (Bình Ngô Đại Cáo (5), 1428), célébrée à juste titre comme notre deuxième Déclaration d’indépendance;
- En 1789, Quang Trung répondit à l’agression des Qing par cette forte exhortation au combat: « (…) Battons-nous pour que l’histoire sache que l’héroïque peuple du Sud est souverain chez lui ! » (6) Usant de sa tactique éprouvée de guerre-éclair, il tailla en pièces l’armée Qing sur la colline de Đống Đa, reprit Thăng Long (Hanoi), se proclama empereur, réorganisa profondément le pays et traita désormais sur un pied d’égalité avec l’empereur de Chine…

Ces hauts faits – célébrés comme autant d’actes fondateurs de la nation – sont si profondément ancrés dans le subconscient populaire que lors de la guerre d’indépendance contre la France (1945-1954), c’est leur souvenir qui resurgit à travers les chants patriotiques aux noms évocateurs de Bạch Đằng, Chi Lăng, Đống Đa, etc. comme des appels irrésistibles à la lutte pour défendre la patrie contre l’envahisseur… (7).

Il y a tout juste un siècle, lors de la réception donnée en son honneur au Japon, le premier président de la République de Chine, Sun Yat Sen, émit l’idée que, pour avoir subi dix siècles de domination chinoise, les Yuè (Viêt), devenus un peuple d’esclaves, ne seraient jamais ‘bons pour l’indépendance’. Ce à quoi son hôte japonais Kitsuyoshi rétorqua qu’au contraire, les ancêtres des Viêtnamiens furent la seule des Cent Tribus Yuè (Bâi Yué / Bách Việt, IV-IIIes siècles avant notre ère) à s’opposer avec succès à la sinisation forcée pour gagner de haute lutte leur indépendance vis-à-vis des Han, à la différence de toutes les autres tribus qui furent totalement absorbées dans l’orbite chinoise. Hautement significatif fut le nouveau nom qu’ils se donnèrent alors en s’installant dans le delta du Fleuve Rouge: ‘Vietnam’, peuple qui ‘va au-delà du Sud’ pour échapper à l’emprise de l’Empire du Nord…

Sur le plan culturel, une première tentative d’émancipation fut l’invention dès le IIIe siècle par nos lettrés du chữ nôm (graphie du sud) – système idéophonétique lisible seulement par les Viêt. Mais c’est au XVIIe siècle qu’eut lieu le tournant décisif avec l’adoption du quốc ngữ (langue nationale) à base d’alphabet latin: ce véritable ‘pinyin’ avant la lettre permettra l’alphabétisation de masse en un temps minimal, ce qui suscitera plus tard l’admiration des pays voisins et l’envie d’un Zhou Enlai…

Ces faits et témoignages (liste non exhaustive) prouvent de façon irréfutable que:
- en dépit d’une situation géographique désastreuse, les Viêt ont su résister tout au long de leur histoire à la politique d’assujettissement et d’assimilation par l’Empire Han pour préserver leur identité et une indépendance sans cesse remises en question par un voisin aux appétits insatiables;
- ils ont réussi ce ‘miracle’ permanent grâce à une volonté indomptable transmise comme un gène de génération en génération et à l’union sacrée de toute la nation, chaque citoyen, de l’officier au simple soldat, du lettré au paysan, acceptant de payer le prix du sang lorsque la Patrie est en danger;
- jamais les Viêt n’ont cherché à empiéter sur le territoire Han, même de façon pacifique et temporaire, contrairement à leurs voisins du Nord qui par leurs multiples tentatives d’invasion armée ont déclenché chaque fois immanquablement la résistance farouche de tout un peuple uni;
- l’avènement de l’Occident à partir du XVIIe siècle, qui a contribué à desserrer le funeste étau du Nord, est considéré avec le recul comme une chance: plus qu’une libération sur plus d’un plan du carcan chinois, c’est la découverte de nouveaux modes de pensée et de nouveaux horizons qui a permis aux esprits de changer radicalement de perspective. La vision traditionnelle du monde, longtemps conditionnée par l’axe atavique Nord-Sud de la Route mandarine, s’ouvre désormais résolument vers l’Est où s’étale le grand Océan. C’est cet appel du large qui, au début du XXe siècle, poussera l’élite du mouvement patriotique Đông Dzu (‘Voyage en Orient’) à aller chercher au Japon l’inspiration susceptible de sortir le pays du joug colonial et du déclin. Trois quarts de siècle plus tard, c’est le même appel d’air qui déclenchera la fuite des boat people en quête de liberté, cette fois-ci dans un grand rush vers l’Ouest…

Si je rappelle ces témoignages, internautes chinois, ce n’est pas pour satisfaire quelque chauvinisme ou nationalisme obtus, mais pour dégager les lignes de force qui sous-tendent l’histoire de mon pays. Quiconque veut comprendre le Vietnam contemporain, qu’il soit chercheur, politicien ou simple touriste, doit constamment garder à l’esprit ce fond historique et psychologique qui constitue véritablement le noyau dur de notre identité.

Toutefois, pour mieux refléter la réalité d’aujourd’hui, je dois ajouter qu’en ce début du XXIe siècle ces lignes de force sont en passe d’être sérieusement ébranlées tandis que l’identité vietnamienne est sapée dans ses fondements par l’ambition hégémonique d’une Chine puissante et tentaculaire, conjuguée à l’ineptie d’un Parti communiste vietnamien timoré et sans imagination, piégé dans une alliance contre nature et coincé dans des dogmes surannés. Jamais dans son histoire, mon pays n’a paru aussi démuni devant la menace d’un géant aux instincts prédateurs qui étale son rêve impérial à ses frontières comme à la face du monde. Sans vouloir minimiser leur héroïsme exemplaire et leur immense contribution à la construction nationale et à la sauvegarde de l’indépendance du pays, je dois reconnaître que mes ancêtres, des Sœurs Trưng à Ngô Quyền, de Lý Thường Kiệt à Trần Hưng Đạo, de Nguyễn Trãi à Quang Trung... n’ont jamais connu une Chine aussi vorace et retorse, aussi cynique et amorale dans ses agissements, au potentiel militaire propre à semer l’insécurité et la terreur dans la région, ni un Vietnam aussi faible, divisé et désorienté. Et je frémis de voir se profiler le spectre d’une énième répétition de la férule chinoise sur mon pays...

Mais qui dit que la peur et le désespoir n’ont jamais fait partie de l’identité vietnamienne ? Et il n’est pas dit non plus que dans la plus noire adversité ne luit déjà une étincelle d’espérance, prélude à un sursaut salvateur pour peu que mon peuple retrouve le trésor de foi, d’énergie et d’imagination de ses ancêtres.

Il convient de souligner ici la différence fondamentale qui existe entre le nationalisme Han de grande puissance, en particulier sous sa forme exacerbée par les faucons et les médias chinois, et le patriotisme Viêt qui exprime simplement un amour viscéral pour la terre des ancêtres. Le premier s’est perverti en culte de la réussite économique et en exaltation de la nation pour servir une idéologie de domination et de conquête, le second restant la foi tranquille d’un peuple irréductible qui croit en une cause juste face aux menaces d’agression et d’invasion étrangère.

Si j’étais Chinois…

Je le dis sans fausse honte: si j’étais Chinois, je serais fier de voir mon grand pays (Zhong Guó) renaître et prendre aujourd’hui la place qui lui revient parmi les grandes nations du monde. Après l’interminable et humiliante décadence du XIXe siècle où il était considéré comme le « vieil homme malade de l’Asie », à la merci d’un Occident conquérant qui le « dépeçait » sans vergogne tout en l’empoisonnant par le monopole du commerce de l’opium...; après les affres de la guerre civile et de l’occupation japonaise au siècle dernier, suivies par l’avènement du communisme et les soubresauts de la Révolution culturelle avec leurs cohortes de destructions et de souffrances sans nom, voici enfin un pays qui renaît, travaille, se développe et s’enrichit. En l’espace d’une génération, suivant la consigne d’un Deng Xiaoping (« Il est glorieux de s’enrichir », « Peu importe qu’un chat soit blanc ou noir, pourvu qu’il attrape les souris »…), soit dit en passant, au mépris de toute orthodoxie marxiste, l’atelier du monde qu’est devenue la Chine a conquis de substantielles parts de marché en éliminant impitoyablement ses concurrents, engrangé des capitaux colossaux au point de détenir les plus grosses créances de l’Amérique capitaliste et de faire miroiter le yuan comme devise de référence susceptible de détrôner le dollar… Les Jeux olympiques de Pékin en 2008, l’Exposition universelle de Shanghai en 2010, le récent lancement d’un porte-avions dans les eaux du Pacifique, sans oublier les avancées notables dans la maîtrise de l’atome et dans la conquête de l’espace ont achevé de dévoiler aux yeux du monde le rêve de puissance et de gloire auquel l’Empire du Milieu n’a cessé d’aspirer depuis des millénaires. Foin désormais du précepte de prudence et de discrétion « taoguang yánghùi » (‘cacher la lumière, cultiver l’obscurité’) du Petit Timonier ! Bien au contraire.

Je serais fier, certes, mais jusqu’à un certain point seulement... !

Car il me semble déceler dans cette frénésie de développement et d’enrichissement à outrance, cette hâte de brûler les étapes pour être le premier et le plus grand dans tous les domaines en un temps minimal, une volonté de puissance animée par l’esprit de revanche, voire de vengeance, faisant fi de toute éthique. D’autant plus que la puissance et la gloire recherchées semblent difficilement s’harmoniser dans les faits avec l’idéal d’harmonie et de paix clamé sur tous les toits par la propagande d’Etat. Et que la modernisation tous azimuts, concentrée en fait sur les seuls plans industriel, économique et militaire, ignorant superbement les aspects politique, sociologique et humain, s’avère n’être finalement qu’une régression et un moyen commode pour perpétuer une idéologie de domination, tant intérieure qu’extérieure, héritée des temps féodaux.

Des volumes ne suffiraient pas pour traiter cette vaste question... Je me limiterai aux aspects qui touchent directement au contentieux bimillénaire entre nos deux pays, contentieux qui s’est singulièrement alourdi au cours des vingt dernières années.

La mémoire longue de nos pères

En l’an 43 de notre ère, le général Ma Yuàn (Mã Viện) fut chargé de mater l’insurrection conduite par les Sœurs Trưng sur les marches du sud de la Chine. Il découvrit que les seigneurs du Jiao Zhi (Giao Chỉ) qu’il combattait détenaient leur pouvoir des tambours de bronze (baptisés ultérieurement tambours dongsoniens, du nom du site de Đồng Sơn, province de Thanh Hoá, où l’archéologue français Louis Pajot les exhuma en 1924). Ma Yuàn les fit fondre à mesure qu’il s’en emparait pour en faire un grand pilier qu’il planta à la frontière nord du Giao Chỉ avec cette inscription; Ðồng trụ chiết, Giao Chỉ diệt (‘Que ce pilier de bronze tombe et le Giao Chỉ disparaîtra’) – formule incantatoire visant à neutraliser à la fois le pouvoir magique prêté aux tambours et toute velléité de révolte future. Pour conjurer cette malédiction, chaque fois qu’ils passaient par là, les gens du Giao Chỉ jetaient un caillou au pied du pilier pour le consolider, si bien qu’au fil du temps il finit par être complètement englouti. En guise de parade au mauvais sort jeté par Ma Yuàn, se répandit alors dans le pays occupé cette réplique toute vietnamienne dans son esprit comme dans sa facture, colportée avec la rapidité et l’efficacité d’une comptine d’enfants: « Đồng trụ biến, Giao Chỉ hưng » (‘Que le pilier de bronze disparaisse – ou mute – et le Giao Chỉ prospèrera’) ! Depuis vingt siècles que survit le Giao Chỉ à travers le Vietnam, les archéologues des deux côtés de la frontière s’épuisent à rechercher l’emplacement du pilier de Ma Yuàn ! Seul subsiste, aujourd’hui plus vivace que jamais, ce témoin indestructible dans sa vérité qu’est le diptyque antagoniste. La légende rejoint le mythe et transfigure l’histoire…

Au IXe siècle, sous la dynastie Tang, le proconsul Kao Pian (Cao Biền), géomancien de son état, entreprit sur ordre impérial des travaux de creusement en plusieurs endroits du Giao Chỉ, dont le Lac de l’Ouest de l’actuel Hà Nội, pour couper le souffle vital là où il pensait que le terrain favoriserait l’émergence d’une dynastie royale et d’hommes de talent. Avec force sortilèges et formules magiques, il pensait pouvoir perpétuer ainsi la domination chinoise sur le pays. Plusieurs siècles plus tard, maître Tả Ao, un géomancien vietnamien de renom, retrouva certains emplacements ensorcelés par Kao Pian et parvint à les « délivrer », mais pas entièrement.

Au cours de la quatrième époque de domination qui dura vingt ans (début XVe siècle), l’empereur Ming Chèng Zû (Minh Thành Tổ), troisième de la dynastie, fit intégrer le Đại Việt à l’Empire chinois sous le nom de province Giao Chỉ. Il institua une administration centrale, fit recenser la population, imposa une occupation pesante et entreprit l’exploitation en règle du pays: lourde fiscalité, service militaire obligatoire, corvées multiples (construction de routes, extraction de minerais, pêche d’huîtres perlières, chasse, etc.). Pour couronner cet édifice de mise au pas et d’assimilation, il ordonna d’extirper toute trace de culture nationale, sentant avec raison que c’est là que gît le germe de l’esprit d’insoumission et d’indépendance: obligation d’adopter l’habillement, les mœurs et coutumes chinois, confiscation d’ouvrages écrits spécifiquement vietnamiens, destruction de tout vestige culturel national, déportation en Chine de lettrés et d’artistes de talent (parmi lesquels le jeune Nguyễn An qui laissera son nom dans l’histoire comme architecte de la Cité Interdite) (8) …

Les exactions perpétrées par les Ming contre le peuple du Đại Việt – renouant en cela avec les sinistres pratiques du premier empereur Qin Shi Huangdì (Tần Thủy Hoàng: 247-223 avant notre ère) et préfigurant celles des régimes totalitaires occidentaux du XXe siècle – sont dénoncées par Nguyễn Trãi dans ces vers inoubliables du Bình Ngô Đại Cáo – œuvre de haute volée stratégique et littéraire tout empreinte de valeurs humaines et morales:

Tous les bambous de nos forêts ne suffiraient pour inscrire vos crimes
Toute l’eau de la Mer orientale n’en saurait effacer la puanteur…

Un siècle plus tard, en 1639, l’ambassadeur Giang Văn Minh se présenta en allégeance à la Cour du dernier empereur Ming (Chong Zhen, Sùng Trinh). Voulant humilier l’envoyé d’un pays vassal, l’empereur lui lança ce vers en le défiant de répondre au pied levé comme il se doit selon le code des sentences parallèles: « Đồng trụ chí kim đài dĩ lục » (‘L’antique pilier de bronze est toujours vert de mousse’) – allusion explicite au pilier ensorcelé planté par Má Yuàn après sa victoire sur les Sœurs Trưng quelque 1 600 ans auparavant. Devant la Cour et le corps diplomatique assemblés, notre diplomate de répliquer calmement: « Đằng Giang tự cổ huyết do hồng » (‘Le fleuve Bạch Đằng depuis des lustres est rouge de sang’) – allusion non moins explicite aux triples victoires navales des Viet sur les Han et les Yuan-Mongols aux siècles précédents… Piqué au vif, l’empereur Ming, dans un accès de courroux et au mépris de tous les usages et conventions de l’époque, ordonna de sceller la bouche et les yeux de l’insolent ambassadeur avec du caramel en fusion et d’ouvrir son ventre pour ausculter son foie (organe sensé être le siège du courage). Pour avoir osé – et su – tenir tête au Fils du Ciel pour préserver l’honneur de son pays et la dignité de sa mission, Giang Văn Minh dut payer de sa vie en subissant un ‘supplice chinois’ inédit et des plus atroces. Il sera honoré comme martyr de l’indomptabilité Viet face à l’arrogance et à la cruauté du souverain Han (9).

Mais revenons à la Grande Proclamation de Nguyễn Trãi, vénérée depuis cinq siècles par le peuple vietnamien comme un trésor national et une source d’inspiration inépuisable pour l’action. Au-delà de la dénonciation par Nguyễn Trãi des maux et injustices dont souffrait son pays en son temps, ce texte restera pour la postérité la profession de foi d’un homme d’Etat doublé d’un humaniste qui s’adresse avec une grande élévation d’âme aux responsables politiques de tous les temps. Le préambule proclame: « Paix et bonheur pour le peuple, tel est le fondement des vertus d’humanité et de justice (仁义). Eliminer la violence, tel est le rôle premier assigné à nos combattants… »

Et cette célèbre maxime – au nombre des plus nobles de l’anthologie patriotique de mon pays – est opportunément citée par mes compatriotes chaque fois qu’il y a péril en la demeure: « S’appuyer sur une noble cause pour triompher de la barbarie, sur la force de l’esprit pour vaincre la force brutale (Đem đại nghĩa để thắng hung tàn, Lấy chí nhân để thay cường bạo). »

Victorieux sur le champ de bataille, Nguyễn Trãi pousse la vertu d’humanité (rén) jusqu’à libérer les généraux capturés avec armes et bagages en ces termes: « Nous avons combattu, point pour semer la mort; exécutant la volonté du Ciel, nous leur avons ouvert le chemin de la vie. A Mã Kỵ, à Phương Chinh, nous avons donné cinq cents jonques, à Vương Thông, à Mã Anh, des milliers de chevaux pour regagner leur pays. Ils redoutaient la mort, demandaient la paix. Nous, nous voulions le repos du peuple, telle a été notre sagesse. La paix fait suite à la guerre, le jour à la nuit. Pour mille automnes, nous avons lavé notre honte. Nous avons vaincu grâce au Ciel, grâce à nos ancêtres. Les quatre mers sont calmes à jamais, partout souffle le vent du renouveau. Qu’en tous lieux, tous le sachent ! » (10).

Difficile de trouver accents plus nobles, auxquels mes compatriotes restent toujours sensibles. Toute personne de bonne volonté ne peut que s’incliner devant la magnanimité de cet ‘homme de qualité’ (quân tử, 君子, junzi), tout pénétré d’enseignements des sages chinois des grandes époques.

Or, que trouve-t-on aujourd’hui, côté chinois, dans le différend qui oppose nos deux pays ? Force est de constater que le discours de vos médias et de vos diplomates, sans parler de la posture belliciste des faucons de votre Marine et de votre Armée Populaire de Libération, offrent un contraste navrant, tant en paroles qu’en actes !

C’est avec déplaisir que je cite le Huánqiú Shíbào (Global Times, bras armé du très officiel Quotidien du Peuple), dont l’article de fond du 9 janvier 2010 profère des propos d’un autre temps: « Tuons les rebelles Viêt en sacrifice expiatoire à notre étendard de guerre pour récupérer les îles Spratlys » (Sát Việt khấu vi Nam Sa chi chiến tế kỳ) (11). S’y développe un laborieux argumentaire vilipendant cette engeance de « félons ingrats au cœur de loup » qu’il est grand temps d’exterminer… Et de lancer cet avertissement à d’autres riverains qui seraient tentés de s’opposer à la Chine qu’ils devraient « se préparer à entendre le son du canon ».

Venant d’esprits sensés représenter une nation qui nourrit des prétentions au leadership mondial, de tels propos font froid dans le dos. Pourquoi tant de haine et de méchanceté ? Pourquoi cette bassesse et cette propension à verser le sang d’un peuple voisin, supposé lié par une amitié socialiste indéfectible, à qui on a par ailleurs décerné à maintes reprises la lénifiante distinction (peu enviée, il est vrai, par les pays voisins !) des « Quatre Bons » (bons camarades, bons voisins, bons amis et bons partenaires) ?

La réponse tient en un mot – le plus vieux du monde et le plus récurrent dans la littérature historique et romanesque chinoise: la cupidité, « mère de tous les crimes ». Et l’exaspération est à la mesure de la frustration du désir. Car la souveraineté ardemment convoitée sur ce que la Chine considère contre tout bon sens comme sa « Mer nationale et historique » en Asie du Sud-Est est contrecarrée par la résistance des riverains parmi lesquels le Vietnam est considéré comme le grain de sable qui vient enrayer la machine à broyer chinoise, et qui constitue donc l’obstacle à écarter à tout prix…

Qu’y a-t-il dans un nom ?

Le nœud de la discorde gît dans cette partie du Pacifique occidental appelée depuis la nuit des temps ‘Mer de l’Est’ (Biển Đông) par les Viet et à l’époque contemporaine ‘Mer de Chine méridionale’ (Hua Nán Hái ou Nán Zhonghua Hái) par les Chinois. Il se trouve que cette mer abrite les archipels Paracels et Spratlys (Hoàng Sa et Trường Sa en vietnamien, Xisha et Nánsha en chinois), situés respectivement à quelque 120 et 235 milles nautiques (220 et 420 km) des côtes vietnamiennes et bien plus loin des côtes chinoises. Les Paracels font face à Đà Nẵng (Danang) et les Spratlys à la péninsule de Cà Mau. Mon propos n’est pas d’ouvrir une querelle de noms et de chiffres pour déterminer la ‘paternité’ de ces rochers semi-submergés en évaluant leur ancienneté d’occupation ou leur proximité avec les pays respectifs. Pour se faire une idée correcte de la question, il suffit à tout honnête homme de parcourir l’abondante littérature internationale sur ce sujet en s’aidant d’un atlas courant (publié hors de Chine de préférence). Je suis sûr que vous, internautes chinois qui lisez cette lettre, aurez à cœur de le faire avec le sens critique qui convient, pour peu que vous acceptiez de regarder la réalité en face et d’entendre au moins une fois (je n’ose dire écouter) les arguments d’un contradicteur…

Pour faire court tout en étant clair, je soumets à votre examen les faits patents que voici:

Les revendications chinoises sur cette mer et les archipels qu’elle contient sont récentes: elles datent de la fin de la République de Chine (1947) alors qu’ils sont habités depuis le XVe siècle par des pêcheurs vietnamiens. A l’époque récente, la République populaire de Chine a déclenché deux batailles navales, l’une en janvier 1974 contre la République du (Sud) Vietnam pour s’emparer de la totalité des Paracels, l’autre en mars 1988 contre la République socialiste du Vietnam réunifié pour occuper une partie des Spratlys. Il convient de souligner le contexte politique de l’époque pour expliquer ces actes d’agression: 1974, c’est la fin du retrait américain de la guerre du Vietnam suite aux Accords de paix de Paris (janvier 1973) et le commencement de la fin de la République du (Sud) Vietnam; 1988, c’est l’époque de l’isolement extrême du Vietnam après la victoire du Nord sur le Sud (avril 1975) et la réunification du pays dans la foulée (1976). La Chine a manifestement profité de l’isolement et de la faiblesse de son allié devenu adversaire pour assouvir son ambition et sa faim d’espace…

Le territoire maritime en question représente 80 % de la Mer de l’Asie du Sud-Est sur une région d’environ 3,5 million km². Englobant les archipels Paracels et Spratlys, cette zone fait actuellement l’objet de disputes entre nos deux pays, mais les Philippines, l’Indonésie, la Malaisie, Brunei et Taiwan ont également formulé des prétentions territoriales suite aux récentes découvertes de gisements de gaz et d’hydrocarbures (on parle d’un super-Koweït…). Outre ses richesses minières et halieutiques inépuisables, cette mer représente une voie de circulation d’un intérêt stratégique évident, reliant d’une part l’océan Indien à l’océan Pacifique, d’autre part la masse continentale de la Chine aux archipels de l’Asie du Sud-Est. Le phénomène de mondialisation ne peut qu’aiguillonner davantage la convoitise de la Chine avide de voies de circulation transocéane sûres et de pied-à-terre tous azimuts…

Ces dernières années, les autorités chinoises ont arbitrairement dessiné une carte en forme de U délimitée par neuf segments espacés qu’elles ont ajoutée aux atlas et guides touristiques de la Chine. Défiant toutes les normes du droit international, dont la Convention des Nations Unies sur le droit de la mer de 1982, elles prétendent que toute cette mer dénommée Mer de Chine méridionale (South China Sea) constitue « les eaux ancestrales » de la Chine. En fait, cette ligne en U, qui ne repose sur aucune base scientifique ni géographique, n’est qu’une tentative grossière d’accréditer les prétentions territoriales de la Chine. Vu sa forme bizarroïde, cette carte ‘virtuelle’ est affublée du nom peu seyant de ‘langue de bœuf’.

D’ores et déjà, la Chine agit en prédateur de ces eaux. Les pêcheurs vietnamiens travaillant dans les zones traditionnelles de pêche le long de leurs côtes ainsi qu’au voisinage de l’archipel Spratlys sont régulièrement attaqués, terrorisés voire tués par la Marine chinoise déguisée. Leurs bateaux et outils de travail sont confisqués, leur argent extorqué avant libération contre paiement de rançon. En mai et juin 2011, les vaisseaux de patrouille chinoise ont même délibérément agressé deux bateaux de prospection vietnamiens en coupant leurs câbles optiques à l’intérieur de la zone économique exclusive (ZEE) du Vietnam. Terrorisés, nos pêcheurs n’osent plus s’aventurer dans la haute mer et évitent soigneusement les zones disputées, ce qui n’empêche pas la Marine chinoise de les poursuivre et d’arrêter tout récemment encore (mars 2012) 21 autres pêcheurs pour « pêche illégale ». L’objectif de la Chine est de faire le vide en semant la terreur dans l’ensemble de la zone contestée en harcelant les pêcheurs vietnamiens pour dissuader tous les autres pêcheurs de la région. Où est la ‘gloire’ dans ces actes de piraterie caractérisés ? Ces actes constituent une violation flagrante par la Chine de la souveraineté vietnamienne (et philippine, malaisienne, indonésienne…) et illustrent l’ambition chinoise de s’emparer de l’ensemble du territoire maritime du Vietnam ainsi que de ceux des autres pays de l’Asie du Sud-Est.

Historiquement, l’Empire du Milieu avait toujours utilisé d’autres noms pour désigner cette mer: ‘Jiaozhi Yang’ (Océan du Giao Chỉ), ‘Dongyang Dahai’ (Grand Océan oriental) ou encore ‘Dongnánhai’ (Mer du Sud-Est) qui coïncident exactement à ‘Biển Đông’ (Mer de l’Est) du Vietnam. Le nom de ‘Nan Zhonghuahai’ (Mer de Chine méridionale) en usage de nos jours n’est qu’une invention des navigateurs occidentaux du XVIe siècle en mal d’imagination. Quel que soit le nom qu’on lui donne (Mer de Chine méridionale ou Mer de l’Est), cette mer abrite précisément l’archipel ‘Cát Vàng’ (‘Les Sables Jaunes’) que l’évêque Jean-Louis Taberd traduit par « Pracel seu Cát Vàng » (Paracels ou Cát Vàng) dans son Dictionnaire vietnamien-latin publié à Calcutta en 1838 dans le droit fil des cartes occidentales publiées entre les XVIe et XIXe siècles. Selon un grand érudit qui a consacré sa vie à l’étude des cartes anciennes de l’Asie, la dénomination vietnamienne Cát Vàng n’existe que dans l’ancien Đại Việt et dans le Vietnam d’aujourd’hui, et nulle part ailleurs (12).

Ainsi, est-il honnête et sérieux de s’appuyer sur une erreur et un abus de langage pour prétendre que le nom de ‘Mer de ‘Chine méridionale’ / ‘South China Sea’ (Nán Zhonghua hái) est une preuve de la souveraineté de la Chine et lui donne un droit de propriété exclusif sur cette mer ? Le simple bon sens – si ce n’est la peur du ridicule – devrait épargner quiconque de dire que les mers ‘du Japon’, ‘d’Irlande’ ou ‘du Nord’ ou le ‘Golfe du Mexique’ etc., du seul fait de leur dénomination, constituent des titres de propriété du Japon, de l’Irlande, des Pays-Bas et du Mexique sur ces espaces maritimes. Depuis toujours, les Vietnamiens utilisent le nom de ‘mer de l’Est’ (Biển Đông) et les Philippins celui de West Philippines Sea sans que leur vienne jamais à l’idée de prétendre que ces espaces maritimes leur appartiennent en propre. Pour prévenir toute future dispute qui n’a pas lieu d’être, les pays de l’ASEAN sont convenus à juste titre d’utiliser désormais le seul terme de Mer de l’Asie du Sud-Est (South-East Asia Sea).

Habituellement la stratégie chinoise se déploie en trois phases:
- Phase 1: en affirmant unilatéralement sa « souveraineté indiscutable » sur l’objet convoité, la Chine transforme un sujet sans problème en sujet de dispute;
- Phase 2: en exerçant menace et pression – au besoin par la force – sur les voisins pris individuellement, elle tente de les isoler et rend inefficient le cadre de l’ASEAN (Association des Nations de l’Asie du Sud-Est, qui regroupe dix pays de la région);
- Phase 3: ne négocier qu’en position de force avec un seul adversaire à la fois en lui mettant le couteau sous la gorge pour l’acculer à des concessions. Résultat: la Chine obtient la part du lion tout en ayant l’air de « céder » à plus petit que soi ! Les petits pays dont les négociateurs sont soit dénués de talent soit sous influence, ou tout simplement ‘vendus’, sont apparemment satisfaits alors qu’ils sont en fait perdants ! Le Vietnam l’a amèrement appris à ses dépens lors des ‘négociations’ léonines relatives à la re-délimitation des frontières terrestres du nord et au nouveau partage des eaux du golfe du Tonkin de 1999-2000…

De fait l’affirmation forte (assertiveness) de la souveraineté indiscutable ferme la porte, par définition, à toute discussion: c’est la loi du plus fort. D’autant plus que ce concept se double d’une autre affirmation, non moins unilatérale et catégorique: la ‘mer dite de Chine méridionale’ fait partie des intérêts vitaux inaliénables de la Chine au même titre que le Tibet, le Xinjiang et Taiwan ! Ce n’est ni discutable ni négociable ! Tout le Pacifique Ouest, de la mer du Japon aux rivages de la Malaisie et de l’Indonésie, sur lequel les pays riverains jouissent depuis la nuit des temps de la liberté de navigation et de pêche, doit passer sous le contrôle exclusif de la Chine. Au cours d’une réunion internationale, Yang Jiechi, chef de la diplomatie chinoise, perdant son calme a poussé la délicatesse jusqu’à mettre en balance son « grand pays » et les « petits pays » de l’ASEAN, en clair les grands pays ont plus de droits que les petits – discours révélateur à la fois d’une mentalité féodale rétrograde et d’un projet impérialiste à long terme…

Pour étayer son argumentation en faveur de sa souveraineté sur cette zone, la Chine se fonde sur plusieurs axes à la fois; disons, pour simplifier, qu’elle fait flèche de tout bois. On reste perplexe devant le grand nombre d’arguments avancés, tous reposant sur deux a priori qui évacuent toute discussion sérieuse: 1.) Refus catégorique de l’internationalisation: pas d’intervention de tiers dans les négociations que la Chine veut maintenir à un niveau strictement bilatéral (ni ASEAN ni ONU ni surtout USA); 2.) Cessation de toute dispute et exploitation en commun des ressources, autrement dit, reconnaître d’abord la souveraineté chinoise, ensuite seulement partager les éventuels bénéfices à définir…

Sans besoin de faire une analyse approfondie des raisons d’un tel refus de discussion multilatérale dans une dispute qui implique par nature plusieurs acteurs aux intérêts multiples et contradictoires, il suffit d’observer l’imbroglio actuel autour de l’archipel Spratlys pour voir l’absurdité d’une telle posture. Car comment résoudre à deux un différend qui intéresse pratiquement tous les pays de la région ? Quelle valeur aurait un éventuel accord issu d’une telle négociation ?!

Les prétentions de la Chine sur un aussi vaste domaine maritime international constituent un fait inédit dans l’histoire du monde. Elles sont une violation flagrante du Traité du droit de la mer des Nations Unies de 1982. Les historiens et juristes internationaux n’ont aucun mal à démonter l’argumentation chinoise qui ne se fonde sur aucune base historique ou juridique valable. Aucun Etat de la région ne reconnaît la « carte en langue de bœuf ».

En fait cette carte est une affirmation absurde et fallacieuse. Comment des diplomates blanchis sous le harnais, rompus aux négociations internationales depuis la naissance de la République populaire et qui se frottent quotidiennement aux objections argumentées d’adversaires issus de tous les horizons, peuvent-ils s’abaisser à ce niveau de sophisme (ngụy biện) où le bluff mâtiné de raisonnement tortueux est érigé au rang des beaux-arts ?

Mais qu’à cela ne tienne, la Chine a envoyé au cours des vingt dernières années des centaines de chercheurs et d’experts dans les grandes universités occidentales pour accomplir une double mission: a) étudier les mécanismes de pensée des Occidentaux pour savoir ce qu’ils pensent de la Chine et des Chinois – ce qui est en soi une intention légitime et fort louable; b) participer à tous les débats internationaux (séminaires, colloques…) pour propager et faire valoir les prétentions chinoises; et surtout, produire des œuvres écrites (articles, thèses, rapports…) pour servir d’argumentaires dans l’affirmation de la souveraineté de la Chine sur la « mer de Chine méridionale ». A ce titre des ‘scientifiques’ et ‘chercheurs’ travaillant sur ordre du gouvernement ont soumis à des revues savantes aussi prestigieuses que Science et Nature des articles apparemment sans rapport avec les disputes en question, l’important étant d’avoir l’occasion d’y inclure ‘en douce’ une carte de la Chine comprenant ‘la langue de bœuf’. Le pot aux roses, découvert par des chercheurs vietnamiens, a suscité un tollé de la communauté scientifique et valu à leurs auteurs un cinglant camouflet de la part des rédactions desdites revues. Un chercheur vietnamien, Hồ Bạch Thảo, a démontré que le dossier présenté par la Chine était vide, et que lorsqu’il ne l’était pas, il était fabriqué (13).

Selon un observateur, de l’affirmation unilatérale à la posture arrogante et belliqueuse, le journal Global Times et les faucons chinois jouent le rôle d’un féroce Rottweiler: leurs propos sont caractéristiques de gens sans foi ni loi (lục lâm thảo khấu).

De nombreuses expressions dans notre langue – et sans doute aussi dans la vôtre (les chèngyú, thành ngữ) – traduisent parfaitement ces attitudes, postures, ruses, tactiques… qui ont pour commun dénominateur l’absence de transparence et d’honnêteté, pour ne pas dire qu’elles sont frappées du coin de la fourberie caractérisée:
- pour exercer la pression maximale sur un adversaire récalcitrant et impressionner les autres par la même occasion, on tord le cou du poulet pour effrayer la bande de singes (vặn cổ gà hù doạ bày khỉ);
- agir masqué par tiers interposé, tirer les ficelles des marionnettes en restant dans les coulisses, c’est cacher la main qui jette la pierre (ném đá dấu tay);
- semer la discorde chez les adversaires pour éviter tout front commun et affaiblir toute résistance collective en brisant les baguettes une à une (bẻ đũa bẻ từng chiếc);
- agir rapidement sans discuter pour mettre l’adversaire et l’opinion publique devant le fait accompli, banalisant ainsi une situation scandaleuse ou pour le moins anormale en espérant qu’à la longue la bouse de buffle se transforme en boue (để lâu cứt trâu hoá bùn);
- à court d’argument, asséner carrément l’adversaire de contre-vérités à dormir debout en criant bien fort pour couvrir ses protestations: c’est écraser l’adversaire sous la masse de votre chair (lấy thịt đè người), ou bâillonner bébé avec le sein de maman pour l’empêcher de pleurer ou de crier famine (cả vú lấp miệng em);
- agresser sans vergogne en criant sus à l’agresseur !: c’est le voleur qui crie au voleur (vừa ăn cướp vừa la làng);
- faire miroiter des gains mirobolants en avançant des arguments fallacieux: c’est exhiber une tête de chèvre pour vendre de la viande de chien (treo đầu dê bán thịt chó);
- enfin, lorsque l’arsenal d’arguments et autres arguties est épuisé, continuer à maintenir la pression et les exigences en comptant sur la lassitude de l’adversaire et son abandon in fine: c’est la tactique du rongeur patient (chiến thuật gặm nhấm), de la pluie tenace qui imprègne le sol en profondeur (mưa dầm thấm dai), du vers à soie qui grignote petitement mais qui finit par engloutir des quantités de feuilles de mûrier (tằm ăn dâu), etc.

Les mots ont-ils encore un sens en Chine ?

Il y a une vingtaine d’années, faisant preuve de grande sollicitude envers le parti frère cadet, le PCC a gratifié le PCV d’une rare distinction: celle des ‘quatre bons’, suivis – privilège inouï – des ‘seize mots d’or’. Les ‘quatre bons’ (bốn tốt) sont: « bons voisins, bons camarades, bons amis et bons partenaires ». Les ‘seize mots d’or’ (16 chữ vàng) sont: « voisinage amical, coopération tous azimuts, stabilité durable, foi en l’avenir »... (14).

Cette terminologie héritée de la propagande de l’époque maoïste constitue à la fois la devise, la boussole et le cadre politique que le PCC souhaite voir les camarades vietnamiens suivre en toutes circonstances. Autant de mots lénifiants serinés à satiété par des voix de sirène, destinés à endormir voire à méduser les dirigeants du PCV, les rendant inaptes à toute réaction digne et sensée devant les coups tordus et autres traquenards tendus par les camarades chinois… C’est ce qu’on appelle « attraper les mouches avec du miel » (mật ngọt chết ruồi) ! Il en est ainsi depuis la ‘normalisation’ des relations entre les deux partis au début de la décennie 1990 pour effacer si possible le traumatisme causé par la guerre des frontières de 1979. Mais le peuple et les médias ne sont pas dupes, et chaque fois qu’il est question de la Chine et des Chinois, l’habitude est prise d’y accoler, par ironie et dérision, le groupe des ‘quatre bons’ et des ‘seize mots d’or’…

Mais la duplicité chinoise est sans borne, à preuve le mot d’ordre donné en sous-main aux cadres exécutants pour la mise en œuvre de la ‘normalisation’ des relations entre les deux pays: avec les camarades vietnamiens, il faut savoir être « proches sans être intimes, tièdes sans être distants, opposés sans se battre »… (15).

Fort du succès de cette politique, le PCC est passé récemment à la vitesse supérieure en inventant ‘seize nouveaux mots d’or’ (16 chữ vàng mới) pour rendre les camarades vietnamiens encore plus malléables et plus dociles: il y aurait entre les deux pays une véritable « communauté de paysage, de culture, d’idéal et de destin »… (16).

La malice populaire n’a pas tardé à interpréter ce slogan de la façon la plus péremptoire: « communauté de paysage c’est la catastrophe; communauté de culture c’est le déclin; communauté d’idéal c’est l’illusion; communauté de destin c’est la mort… »

Comment peut-il en être autrement, sachant que, pendant que les « quatre bons » et les « seize mots d’or » ancienne et nouvelle formule sont ressassés, Global Times n’a de cesse d’affûter les griffes du dragon ? « Nous ne pouvons être trop généreux envers l’ennemi, notre indulgence ne fait qu’encourager les autres à la prendre pour de la faiblesse méprisable; s’ils ne comprennent pas notre ‘rén’ [notre humanité], il faut leur donner à goûter à notre ‘cruauté’… Certains pays exploitent la modération des positions diplomatiques chinoises », toujours selon le quotidien qui avertit « qu’aucune méthode connue existe pour résoudre ces questions d’une manière pacifique... Si les pays voisins ne reculent pas devant des frictions maritimes avec la Chine, tôt au tard, il y aura des conflits armés »... (17).

On touche ici à une question fondamentale: l’art de détourner et de retourner le sens des mots. Car on se demande qui « ne recule pas devant les frictions maritimes avec la Chine » ? En clair, qui ose affronter en haute mer une Marine chinoise puissamment armée ? Les pêcheurs avec leurs frêles esquifs dans les parages houleux des Spratlys ?... C’est la tactique éculée du voleur qui crie au voleur, tactique élémentaire pour ne pas dire grossière à ce niveau, mais qui participe d’une dialectique subtile et perverse où les idéologues et stratèges du PCC sont passés maîtres depuis des lustres. Cela a pour nom l’‘inversion’ ou la ‘permutation des concepts’ (đánh tráo khái niệm), de fait une perversion de la pensée. Quelques illustrations:

Alors que le monde commence à s’alarmer de l’émergence de la puissance chinoise, les dirigeants chinois tentent de dissiper les inquiétudes en promettant un « surgissement pacifique » (和 平 觉 起 heping jueqi, trỗi dậy hòa bình). La contradiction saute aux yeux sachant que, même affublé du qualificatif heping (pacifique) destiné à tromper la vigilance de l’Occident, le terme jue dans jueqi signifie bien une percée, un surgissement jusqu’au zénith. Raison pour laquelle le président Hu Jintao a jugé bon de mettre également en parallèle l’idée d’un « monde harmonieux » à promouvoir, espérant par cette expression atténuer quelque peu le caractère rugueux et agressif du ‘surgissement’…

A l’inverse, l’invention par les propagandistes du PCC de la notion d’« évolution pacifique » (diễn tiến hoà bình) de l’Occident depuis la fin de la guerre froide vise à mettre en garde les dirigeants vietnamiens contre toute tentation de baisser leur garde devant l’ancien ennemi qu’est l’Amérique. Cette ‘évolution’ fallacieuse ne saurait être qu’un piège pour jeter le trouble et semer la division dans le camp socialiste. Toute ouverture ou coopération avec l’Occident est à bannir. Or, la Chine fait exactement le contraire ! Fais ce que je dis, non ce que je fais… On peut se demander, a contrario, quelle aurait été sa réaction si cette ‘évolution’ allait dans le sens d’une plus grande hostilité de l’Occident, ou s’il n’y avait pas d’‘évolution’ du tout et qu’on devait en rester au statu quo et aux délices de la guerre froide, avec tous les embargos et autres désagréments que la Chine devrait continuer de subir…

En lançant par surprise et traîtrise 200 000 soldats de l’Armée populaire de libération à l’assaut de six provinces frontalières du Vietnam ‘ami’ en 1979 pour lui « donner une leçon », Deng Xiaoping et ses généraux parlaient de « riposte d’autodéfense » (反击 自卫, phản kích tự vệ ou đánh trả tự vệ)… Riposter à quoi ? Le Vietnam avait-il jamais attaqué la Chine ?

Les faucons de l’APL menacent de déclencher une guerre pour « récupérer » (thu hồi) l’archipel Spratlys (Trường Sa). Comment prétendre récupérer ce que l’on n’a jamais possédé…? A moins de considérer, comme l’a fait effrontément Global Times, non plus quelques rochers semi-émergés au milieu du Pacifique, mais le Vietnam tout entier comme une ancienne possession ou dépendance (phiên thuộc / thuộc quốc) ou au moins comme un vassal (chư hầu) indûment arraché à l’Empire Qing par la colonisation française… Le ‘récupérer’ aujourd’hui n’est que justice. Hitler a fait le même raisonnement à propos des Sudètes, dont l’annexion fut le prélude à la deuxième guerre mondiale…

Selon le général Chí Hàotián, ancien ministre de la Défense (1993-2003), vice-président de la Commission militaire centrale du PCC, une grande puissance surpeuplée comme la Chine a besoin d’espace vital pour se développer. Les ressources naturelles étant limitées, voire épuisées dans certains secteurs, il faudra recourir massivement aux importations pour nourrir une population qui dépasse déjà 1,3 milliard d’habitants. Seulement le terme ‘espace vital’ fait fâcheusement penser au ‘Lebensraum’ nazi de sinistre mémoire, sans parler de la peur du ‘péril jaune’ qu’il risque de réveiller dans l’esprit des Occidentaux ! Il faudra donc présenter cette notion sous l’angle le plus anodin pour ne pas effaroucher l’Occident. Heureusement, grâce à la théorie récemment élaborée par le camarade Hà Tân selon laquelle « les droits de l’homme ne sont rien d’autre que des droits à la vie », nous pouvons nous concentrer sur le fait de ‘vivre’ sans trop insister sur la notion d’‘espace’, ce qui nous évite de parler d’‘espace vital’… Par ailleurs l’histoire nous apprend que les pays occidentaux ont par le passé établi des colonies partout dans le monde, ce qui leur a donné de grands avantages sur le plan de l’espace vital. Pour résoudre ce difficile problème qui se pose à la Chine, nous devons songer à expatrier nos concitoyens pour qu’ils puissent s’épanouir hors de Chine, en particulier en Amérique du Nord et en Australie… Et le général Chí de conclure par cette prévision apocalyptique: « La guerre n’est pas loin de nous: elle sera la sage-femme de la nouvelle ère de la Chine » (18).

Avec de tels sophismes et arguments spécieux truffés de duplicité, de bluff et de menaces, comment peut-on fonder une gouvernance apaisée et une diplomatie harmonieuse ?

Suzerain et vassaux

Le drapeau de la République populaire de Chine présente un fond rouge orné en haut à gauche d’un groupe de cinq étoiles dorées: la plus grande étoile, qui représente le Parti communiste, est flanquée de quatre autres plus petites (le peuple chinois) disposées en demi-cercle et tournées vers elle. Le rouge est la couleur traditionnelle de la Révolution, les cinq étoiles symbolisent l’union des quatre classes sociales (travailleurs, paysans, marchands et « capitalistes patriotes ») autour du Parti.

Une interprétation plus courante voit dans les cinq étoiles le symbole des cinq principales ethnies de la Chine: les Han (la plus grosse étoile), les Mandchous, les Ouighours, les Mongols et les Tibétains.

C’est avec cette image en toile de fond que les Vietnamiens ont ressenti un choc en voyant apparaître, lors de la visite officielle en décembre dernier du vice-président de la République populaire et futur Président et secrétaire général du PCC, Xi Jinping, une forêt de drapeaux chinois à six étoiles agités par les enfants des écoles en signe de bienvenue.

Qu’est-ce que ce couac ? Comment a-t-il pu se produire dans une telle circonstance ? Etonnamment, l’ambassade de Chine n’a pas protesté. Mais, devant les réactions ulcérées de l’opinion vietnamienne et des commentaires acerbes des médias, les autorités vietnamiennes ont dû sacrifier un bouc émissaire en imputant l’impair à une « erreur technique » du service du protocole… En réalité, personne n’est dupe. C’est qu’on imagine mal comment une simple erreur technique a pu dénaturer de cette façon le drapeau d’une grande puissance dominante, invitée de surcroît et avec laquelle un lourd contentieux est en cours. A moins qu’il ne s’agisse d’une erreur voulue, commise par des agents ou complices dans la place. Pour l’opinion et les médias vietnamiens, la cause est entendue.

En exhibant leur emblème national avec une petite étoile supplémentaire au nez et à la barbe des dirigeants et du peuple vietnamiens, les autorités chinoises ont voulu jouer sur une image subliminale de leur drapeau. La cinquième petite étoile ajoutée à la sauvette signifie que le peuple Viêt serait prêt à se soumettre et à faire partie intégrante de la Grande Chine au même titre que les quatre autres peuples déjà englobés de force dans l’Empire Han au cours de l’histoire. Le Vietnam s’alignerait alors ni plus ni moins comme la cinquième « région autonome » de la Chine après celles du Guangxi (les Chuang), de la Mongolie intérieure, du Xinjiang et du Tibet. Il s’agit de faire éclater au grand jour et en certaines circonstances à choisir avec soin les relations de suzerain à vassaux (quan hệ tông phiên) entre Zhongguo – puissance du Centre (tông chủ) – et les pays voisins, périphériques et dépendants (thuộc quốc). La Chine se veut suzeraine, tous les autres pays n’étant que des vassaux. Et elle n’aura de cesse de harceler le Vietnam en lui empoisonnant la vie tant qu’il continue de résister à sa totale domination.

Heureusement, les protestations virulentes des médias et de l’intelligentsia vietnamiens ont sauvé l’honneur. Mais le mal est fait, le but de la Chine étant de lancer un ballon d’essai pour évaluer la réaction de l’adversaire: si le pot aux roses est découvert, on peut toujours blâmer l’incompétence de quelque cadre subalterne. De toutes façons, on aura gagné sur les deux tableaux: outre le fait d’habituer subrepticement l’opinion internationale à l’idée que le Vietnam pourrait devenir une des provinces « autonomes » de la Chine avec la complicité de « collabos », c’est une bonne occasion pour semer la zizanie dans les rangs de l’adversaire tout en l’humiliant. L’anecdotique est quotidien, donc capital (19).

Coutumière du fait, la Chine n’a jamais gagné contre le Vietnam que de la sorte. Grand pays, comportement mesquin (xiáo rén / tiểu nhân), triche éhontée ! Rien de nouveau en la matière: il y a sept siècles, le roi Trần Nhân Tông nous a déjà prévenus par testament (20).

De l’ingratitude

Par la voix de ses faucons et de son intelligentsia, la Chine se prévaut de l’aide apportée au Vietnam pendant les deux guerres d’Indochine (1945-1954 et 1959-1975) pour lui reprocher son ‘ingratitude’ manifestée par son opposition à l’hégémonie chinoise en mer de l’Asie du Sud-Est. Dans la foulée, certains suggèrent même que c’est grâce aux « mille ans de domination chinoise » que le Vietnam a connu les techniques agraires, l’écriture et les rites…

Il n’est pas question pour un Vietnamien quelque peu instruit et informé de nier les apports culturels essentiels de la Chine, ni l’aide matérielle et les lourds sacrifices que le peuple chinois a dû consentir durant les deux guerres. Sur le volet culturel, je me suis déjà expliqué plus haut sur le refus viscéral de l’assimilation et la volonté d’indépendance indomptable de notre peuple tout au long de l’histoire. Sur la question de l’aide chinoise à l’effort de guerre, voyons ce qu’il en est.

Depuis l’avènement du communisme en 1949, la Chine s’est imposé le devoir d’aider, au nom de l’internationalisme prolétarien, au moins trois pays du bloc socialiste proches de ses frontières: la Corée du Nord, le Vietnam et le Cambodge des Khmers rouges. A propos du Vietnam, on lit dans les « Mémoires des conseillers militaires chinois auprès du Vietnam pendant la guerre d’Indochine » ce témoignage capital du président Mao Zedong. A la veille de l’envoi de ses conseillers en mission en novembre 1950, Mao leur a tenu cette exhorte: « Les colonialistes français qui envahissent le Vietnam sont ennemis du peuple vietnamien, mais aussi du peuple chinois. Que la Chine aide le Vietnam à les vaincre et à rétablir la paix dans ce pays, nous pouvons dire que la Chine aide le Vietnam. Mais que le Vietnam réussit à les vaincre et à les bouter hors du pays, soustrayant ainsi les frontières méridionales de la Chine à leurs menaces directes, il faut alors dire que c’est le Vietnam qui aide la Chine. On ne peut pas seulement dire que la Chine aide le Vietnam, il faut aussi dire que le Vietnam aide la Chine, c’est une aide mutuelle. »

Après avoir évoqué l’épisode « Ma Yuan attaque le Jiaozhi », le président Mao poursuit: « L’histoire montre que depuis la dynastie des Han [IIIe siècle avant notre ère], la Chine n’a cessé d’opprimer le Vietnam. Il y a quatre-vingts ans, le gouvernement mandchou des Qing a dû céder le Vietnam à la France. Le peuple vietnamien est un bon peuple qui a été longtemps gouverné et opprimé par les étrangers, c’est pourquoi il hait les Français et se méfie des étrangers. Vous pouvez dire ceci aux camarades vietnamiens: Nos ancêtres vous ont souvent opprimés dans le passé, nous vous demandons pardon ! » (21).

Je n’ai aucune raison de douter des sentiments du président Mao pour le peuple vietnamien à l’époque de référence, ni de la plausibilité des faits tels qu’ils sont relatés dans les mémoires de ses conseillers. Quel contraste entre cette hauteur de vue d’un grand leader révolutionnaire que je peux qualifier ici d’‘humaniste’ et la pensée bassement utilitariste de ses successeurs ! A preuve, la guerre d’agression de 1979 contre le Vietnam.

C’est un fait devenu patent qu’en déclenchant cette guerre Deng Xiaoping visait deux objectifs stratégiques hors norme. Tenus secrets pendant une trentaine d’années, ils ont été récemment dévoilés par un stratège de haut rang. Selon le général d’aviation Liu Yazhou (Lưu Á Châu), commissaire politique de l’Université de la Défense nationale, fidèle interprète de la pensée du ‘Petit Timonier’ pour qui il voue une admiration sans borne, « la Chine a fait la guerre au Vietnam pour donner cela en spectacle à la fois à la Chine et à l’Amérique ».

Revenu au pouvoir en 1978 après la tourmente de la Révolution culturelle, Deng voulait réformer profondément le pays et l’ouvrir au monde. Pour réaliser ce programme, il lui fallait un pouvoir absolu. Et le moyen le plus efficace et le plus rapide pour asseoir ce pouvoir et le garder était la guerre. Fort de sa fonction de président de la Commission militaire centrale, Deng passa outre aux objections de ses adversaires encore nombreux au sein du Parti et prit lui-même la direction des opérations en lançant le 17 février 1979 l’Armée populaire de libération à l’assaut du Vietnam. Pourquoi ? Il y a à cela deux raisons: 1) l’armée vietnamienne occupait alors le Cambodge après avoir libéré ce pays des Khmers rouges (protégés de la Chine, formés et armés par elle pour harceler la frontière sud-ouest du Vietnam; 2) depuis sa réunification le Vietnam était devenu un allié de l’URSS. Deux casus belli majeurs qui justifient la « leçon » de Deng. Ainsi, en frappant le Vietnam, un pays socialiste, Deng voulait « utiliser la guerre pour marquer une frontière nette entre la Chine et les pays socialistes…, sortir la Chine du camp socialiste sous influence soviétique ». Et cela fut fait, insiste le général Liu, dix ans avant l’effondrement du bloc soviétique en 1989.

Quant à l’Amérique, traumatisée par sa défaite de 1975 et encore sous le coup d’un profond ressentiment contre le Vietnam, « la guerre (menée par la Chine) devait la venger et laver sa honte, à partir de là la Chine pouvait compter sur l’aide de l’Occident et au premier chef, de l’Amérique. C’est grâce à cette guerre que l’aide américaine – en termes économique, scientifique, technologique, voire militaire et sous forme de capitaux – s’est engouffrée en Chine… (…) Et la lune de miel sino-américaine dura jusqu’au 4 juin 1989 [événement de Tiananmen] ».

En résumé, le voyage de Deng Xiaoping en Amérique (29 janvier - 4 février 1979) visait d’une part, à consolider les relations diplomatiques entre les deux pays, d’autre part, à prévenir et à assurer le président Jimmy Carter de la détermination chinoise de châtier sévèrement l’ancien ennemi de l’Amérique dans une guerre conventionnelle en l’offrant comme sacrifice expiatoire. Dès son retour des Etats-Unis, Deng attaque le Vietnam (17 février).

Et le général Liu de conclure au nom de son mentor: « Qu’a apporté cette guerre à la Chine ? Une énorme économie de temps, d’argent et de technologie. C’est grâce à ces éléments que la Chine est restée stable après l’effondrement de l’Union soviétique. C’est là une réussite colossale. Nous pouvons même dire que la première étape de la politique de réforme et d’ouverture de la Chine a débuté précisément par cette guerre. A cet égard, la contribution de l’Armée populaire de libération à l’œuvre de réforme et d’ouverture de la Chine est incommensurable » (22).

A n’en pas douter, on atteint là le summum du machiavélisme et de la perfidie dans toute leur noirceur !

Ces précieux témoignages de Mao Zedong et de Deng Xiaoping, tout à la fois contradictoires et concordants – je refuse, jusqu’à preuve du contraire, de les considérer comme de simples faces (ou masques) d’une même réalité –, qu’on les prenne ensemble ou chacun séparément, permettent une fois pour toutes de tordre le cou au mythe des dettes de guerre et de l’ingratitude vietnamienne. Celui du Grand Timonier seul m’aurait amplement suffi; le concours de celui du Petit Timonier me comble au-delà de toute attente…

Reste l’affaire de la fameuse ‘Note diplomatique’ du Premier ministre vietnamien Phạm Văn Đồng (14 septembre 1958) que la Chine ressort périodiquement comme preuve que le Vietnam avait alors « pris note et approuvé » la déclaration (unilatérale) du Premier ministre Zhou Enlai (4 septembre) fixant la frontière maritime à douze milles nautiques des côtes chinoises, ce qui, aux yeux de la Chine, devait englober les archipels Paracels et Spratlys qu’elle affirme lui appartenir. Les Chinois exhibent ce document comme une ‘reconnaissance de dette’ doublée d’un ‘renoncement tacite au droit de propriété’ de la part des Vietnamiens… Deux remarques s’imposent:

En droit international, la Note de Phạm Văn Đồng n’a aucune valeur juridique en ce qui concerne la souveraineté des archipels en question, pour la simple raison qu’à l’époque de la division du pays en deux Etats distincts suivant les Accords de Genève (1954), ces archipels étant situés au sud du 17e parallèle relevaient de la juridiction de la République du (Sud) Vietnam qui assurait de plein droit leur administration. La République démocratique du (Nord) Vietnam n’avait aucun pouvoir de décision sur leur sort. En tous cas, il n’est nullement question dans cette Note ni de renoncement par le Nord-Vietnam à la souveraineté des archipels ni de leur cession à la Chine. On ne peut ni céder ni renoncer à ce que l’on ne possède pas en propre.

Le contexte historique de l’époque montre un Vietnam à peine sorti de la guerre d’Indochine, encore meurtri dans sa chair par la coupure du pays, et qui doit se préparer à affronter bientôt la première puissance mondiale, cette fois sur un champ de bataille élargi à l’ensemble du territoire. Se tenant à l’arrière, le grand frère et camarade chinois affirme haut et fort son soutien indéfectible au nom de l’idéal socialiste et de l’internationalisme prolétarien. « D’une main il vous pousse au combat, de l’autre il exhibe un papier et vous presse de le signer. Un tel agissement est aussi sordide que celui d’un richard hypocrite qui simule une bonne action envers une voisine dans la détresse: d’une main il lui tend un billet de banque tandis que de l’autre il s’adonne à des attouchements… avant de crier à tue-tête qu’elle lui a offert sa vertu… Que tous les experts et érudits de Chine avec leur vaste science commencent par prouver qu’un tel agissement n’a rien de sordide avant d’essayer de nous convaincre que le Vietnam a reconnu ou accepté quoi que ce soit jadis… » (Huỳnh Ngọc Chênh) (23).

De la faillite morale

Ces derniers temps votre presse a commencé à s’alarmer de la perte des repères dans la société chinoise: scandales en tout genre, corruption à tous les niveaux. « Le poisson pourrit toujours par la tête. » Pour sortir de cette situation, certains cherchent à remettre Confucius au goût du jour (24).

Les citoyens ont perdu la notion même de confiance mutuelle. La vie quotidienne pullule de cas de fraudes diverses et variées: escroqueries, contrefaçons, malfaçons, triche, tromperie, insécurité alimentaire… Deux auteurs de l’Université de Singapour citent l’œuvre d’un certain Trương Ứng Du (fin de la dynastie des Ming), intitulé Biển kinh – qui énumère 24 façons d’escroquer les gens et les ‘antidotes’ pour les conjurer. Que ce genre de best-seller ait traversé les siècles pour arriver jusqu’à nous est un fait à la fois grotesque et rarissime dans l’histoire de l’édition. Il suffit de relire les romans des époques Ming et Qing à leur déclin comme ceux de l’époque contemporaine pour comprendre le problème du discrédit social dans l’histoire de la Chine. On verra que ces expériences proviennent d’un ancien patrimoine, qu’elles soient le fait entre le gouvernement et la population, entre les partenaires sur le marché (essentiellement les fournisseurs de produits et les consommateurs), ou encore entre la société et les différentes classes sociales (25).

Sur le plan des échanges commerciaux, l’Organisation mondiale du commerce a récemment critiqué les « actes déloyaux » de la Chine qui limite ses exportations de matières premières, causant de graves déséquilibres aux industries européenne, américaine et mexicaine. Le maître mot en ce domaine est la ‘réciprocité’, que la Chine refuse obstinément de respecter.

Pour essayer de comprendre la lutte pour le pouvoir et la stratégie militaire visant à instaurer l’hégémonie mondiale, une (re)-lecture des ‘fondamentaux’ de la littérature historico-romanesque (époques Printemps-Automne, les Zhou orientaux, les Trois Royaumes etc.) nous dévoile tout un univers où pullulent ruses et stratagèmes, complots, désinformation, tactiques de guerre psychologique et subversive…

Dans les célèbres romans du grand écrivain taïwanais Kim Dzung, on assiste à la confrontation des forces du bien et du mal dans une fresque cosmique où les écrans de fumée servent de toiles de fond et les vraies-fausses informations le pain quotidien. Des forces antagonistes s’affrontent sur un front cosmique dans des batailles titanesques: d’un côté les ‘justes’ et ‘orthodoxes’ (danh môn chánh phái), de l’autre les ‘mécréants’ et ‘impies’ (tà ma ngoại đạo). Mais comment les reconnaître, comment distinguer les vrais des faux ? Et c’est là que l’auteur déploie tout son art: ces batailles se déploient sur un front fantasmagorique (Ma trận), où rien ne se passe en pleine lumière ni dans la totale obscurité. Le héros que l’on prend pour ‘juste’ et ‘orthodoxe’ s’avère être précisément le sosie du ‘Roi de l’Ombre’ (Ma vương) qui évolue masqué dans les coulisses. Il reste à jamais inconnu, inaccessible, ni totalement vrai ni totalement faux, mi-juste mi-impie, ses actes impies contiennent une part de justice, ses bonnes actions recèlent du mal. Même le ‘vrai’ ‘Roi de l’Ombre’ ni ne le reconnaît, ni ne s’y reconnaît. Le génie de Kim Dzung est d’avoir créé et introduit dans la littérature populaire chinoise du XXe siècle ce personnage hors-pair, nommé Nhạc Bất Quần – archétype du ‘faux homme de bien’ (ngụy quân tử, faux junzi).

Le vrai junzi gagne le cœur d’autrui par le talent, l’esprit et la vertu (tài, trí, đức). Personne ne regrette aujourd’hui que l’âge d’or des junzi, des hommes de bien et de vertu qui prospéraient aux grandes époques (Nghiêu Thuấn, la Grande Paix Thái bình thịnh trị…) soit révolu ! Mais on peut se désoler de constater, depuis l’avènement du communisme, leur rapide disparition et l’apparition à grande échelle, de faux junzi… La gloire de la Chine brillait de tous ses feux sous les Tang avec un Du Fu, un Li Bai (Đỗ Phủ, Lý Bạch)…; sous la République de Chine avec un Lu Xun (Lỗ Tấn) etc. Aujourd’hui, mis à part quelques rares Liu Xiaobo (Lưu Hiếu Ba) qui heureusement sauvent l’honneur, où sont passés les junzi chinois ? (Cette remarque vaut aussi pour mon propre pays.)

Dans un épisode des Trois Royaumes (je cite de mémoire), Pang Tong (Bàng Thống) invective Cao Cao (Tào Tháo) en ces termes: « Tu n’es ni héros ni junzi car tu ne gagnes que par la ruse. » Autrement dit, ta victoire peut être certaine et totale, seule fait défaut la vérité. Donc, tu ne pourras gagner mon cœur.

Traîtres et collabos honteux

A toutes les époques troublées, notre pays voit apparaître des brebis galeuses, les Trần Ích Tắc, Lê Chiêu Thống et autres Hoàng Văn Hoan… (26). Notre époque ne fait pas exception. Depuis la ‘normalisation’ des relations entre les deux pays au début des années 1990, la Chine a profité de ces dernières décennies pour recruter des traîtres et collabos à sa solde. Formés dans des écoles et universités spécialisées, imprégnés des techniques de propagande chinoises et infiltrés dans les rangs des instances dirigeantes, ils pensent et agissent avec une mentalité de valet pour servir l’intérêt de leur protecteur.

En quelques traits acérés, Trần Hưng Đạo les a fustigés dans un portrait saisissant:

« (…) Nés en des temps troublés, nous avons grandi dans les épreuves.
Nous voyons à la sauvette les traîtres à la solde de l’ennemi se pavaner dans la rue,
Tourner leur langue de vautours et d’oiseaux de malheur pour insulter la Cour,
Et de leurs vils corps de bouc et de chien jeter l’opprobre sur nos ancêtres…
» (27)

A l’honneur de notre peuple, je remarque qu’à la différence notable des collabos français et européens qui affichaient au grand jour leur adhésion à l’idéologie hitlérienne et leur collaboration avec l’occupant nazi, les collabos vietnamiens font figure de traîtres honteux et rasent (encore) les murs quel que soit leur niveau hiérarchique dans l’appareil d’Etat… Mais c’est précisément là que réside leur dangerosité ! Dans le conflit de la mer Orientale, ils défendent verbalement la souveraineté vietnamienne tout en faisant sournoisement pression sur le gouvernement pour interdire les manifestations de rue…

Depuis que la Chine a tombé le masque, le peuple vietnamien dans sa grande majorité est d’ores et déjà entré en résistance et accepte avec fierté de relever le défi de son puissant voisin. En bravant l’adversité et les traumatismes, au prix des larmes, de la sueur et du sang. Et par-dessus tout, en puisant au plus profond de son patrimoine ancestral cette précieuse source d’énergie qui ne lui a jamais fait défaut dans les plus dures épreuves: la résilience (khắc phục).

La règle d’or

Comme vous et d’autres peuples de tradition culturelle confucéenne, les Vietnamiens connaissent bien cette maxime clé des Entretiens du Maître – la « règle d’or » qui fonde toute morale: « Ce que tu ne voudrais pas qu’on te fasse, ne l’inflige pas aux autres. » Ou plus succinctement: « Traite les autres comme tu voudrais être traité » (Lunyu).

其 所 不 欲, 勿 施 于 人 (qí suǒ bú yù, wù shī yú rén / kỷ sở bất dục, vật thi ư nhân)

« C’est au XVIIe siècle que l’Occident a découvert le confucianisme, y relevant en particulier la règle d’or qui lui apparaissait si proche de l’Evangile. Voltaire lui-même (1756) fit grand cas de cette pensée, évoquant à plusieurs reprises la place faite à la règle d’or dans la morale de Confucius. Au XIXe siècle, les traités de tolérance entre la Chine et l’Angleterre et entre la Chine et les Etats-Unis feront référence à la règle d’or comme point de convergence entre les religions de ces peuples. » (Olivier Du Roy) (28).

On aura remarqué que ces traités furent signés entre deux événements capitaux dans l’histoire des relations entre l’Occident et la Chine au XIXe siècle, où la règle d’or fut honteusement bafouée par l’Occident: la guerre de l’opium (1839-1842) et le sac du Palais d’été (octobre 1860). L’un et l’autre laisseront une sinistre souvenir dans l’histoire contemporaine de la Chine et une tache d’ignominie indélébile dans la conscience occidentale ! Les historiens chinois ont beau jeu de brandir périodiquement à l’encontre des ex-puissances occidentales leur « diplomatie de la canonnière » et les « traités inégaux » du XIXe siècle. Je me permets d’attirer leur attention sur les traités de 1999-2000 imposant, au grand dam du Vietnam, un nouveau tracé frontalier et un nouveau partage des eaux du golfe du Tonkin; sur les tactiques d’infiltration et de subversion dans les instances dirigeantes et les secteurs vitaux de mon pays; sur l’épée de Damoclès que représente l’état d’oppression permanente qui contraint mon peuple à vivre constamment sur le qui-vive; sur la terreur et les souffrances quotidiennes que la Marine chinoise inflige à nos pêcheurs dans les eaux de la mer Orientale…

Internautes chinois ! Au terme de cette longue lettre écrite du fond du cœur – assurément sans haine mais où perce parfois, j’en conviens, un accent de colère due à ma révolte devant l’hypocrisie, la perfidie et l’injustice –, je suis en droit d’interpeller la conscience chinoise sur les crimes et exactions perpétrés au long des siècles par les empereurs de Chine contre mon peuple et sur les noirs desseins que nourrissent présentement les dirigeants de la République populaire de Chine à l’égard de mon pays ! Le « rêve chinois » est accueilli avec sympathie et bienveillance s’il traduit les aspirations légitimes du peuple chinois à la renaissance nationale et à la grandeur de la Chine, à la reconnaissance de sa puissance et de ses responsabilités qui sont grandes dans le règlement pacifique des affaires du monde. Mais il est abhorré et rejeté s’il est alimenté par la cupidité insatiable et l’instinct du prédateur habité par la démesure (l’hubris des Grecs). A cet égard, le rêve Han est un cauchemar pour les peuples vietnamien, tibétain, ouighour et mongol. Mais aussi, sur bien des plans, pour le peuple chinois lui-même (29). Il est à craindre qu’il ne le devienne également à terme pour d’autres peuples de par le monde, à commencer par ceux d’Afrique et d’Amérique latine…

Aussi, au message d’harmonie politique et sociale adressé ces temps-ci par vos dirigeants, apparemment à l’intention exclusive du peuple chinois, puis-je ajouter cet adage qui lui confère une portée plus universelle: « Quand l’homme est en accord avec le Ciel, l’harmonie règne dans le monde. » (天人合一世界谐和 Thiên nhân hợp nhất, thế giới hài hoà). Sans oublier son corollaire: « S’opposer à la volonté du Ciel, c’est la catastrophe assurée » (逆天败地 nghịch Thiên bại địa)…

L’Asie est assez grande et riche pour permettre aux nations qui y coexistent depuis des millénaires de continuer d’y vivre ensemble dans le respect mutuel, la tolérance et l’harmonie. Chaque peuple a droit à la tranquillité et aux bienfaits de la paix. Le peuple chinois autant que les autres, ni plus ni moins. Puissent nos deux nations faire preuve d’intelligence et de courage en unissant leurs efforts à ceux des autres nations d’Asie, pour ne pas laisser dépérir l’héritage d’humanité et de sagesse des grands Maîtres qui ont façonné l’âme de ce continent !

Paris, mai 2012 - Année du Dragon
L’auteur est un citoyen franco-vietnamien résidant en France
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Notes

(1) Hai Bà Trưng 𠄩婆徵 (40-43) http://vi.wikipedia.org/wiki/Hai_B%C3%A0_Tr%C6%B0ng
(2) Triệu Ẩu 趙嫗 (225-248): « Je veux chevaucher le typhon, fouler les vagues déferlantes, sabrer le requin en Mer orientale, bouter les Chinois hors du pays pour le libérer du joug de l’esclavage plutôt que d’accepter de courber l’échine et subir le sort d’une concubine ! » (Tôi chỉ muốn cưỡi cơn gió mạnh, đạp luồng sóng dữ, chém cá kình ở Biển Đông, đánh đuổi quân Ngô, giành lại giang san, cởi ách nô lệ chứ tôi không chịu khom lưng làm tì thiếp người ta!)
http://en.wikipedia.org/wiki/Trieu_Thi_Trinh
(3) Nam quốc sơn hà Nam đế cư
Tuyệt nhiên định phận tại Thiên thư
Như hà nghịch lỗ lai xâm phạm
Ngữ đẳng hành khan thủ bại hư (Lý Thường Kiệt 1077)
南 國 山 河 南 帝 居
截 然 定 分 在 天 書
如 何 逆 虜 來 侵 犯
汝 等 行 看 取 敗 虛
Sur les monts et les eaux du sud règne l’empereur du Sud
Tel est le destin fixé à jamais sur le Céleste Livre
Comment les barbares osent-ils envahir notre sol ?
Leur audace insensée verra leur déroute sanglante. (traduction de Lê Thành Khôi)
(4) Hịch tướng sĩ: Dụ chư tỳ tướng hịch văn 諭諸裨將檄文 (Trần Hưng Đạo 1285)
http://vietsciences.free.fr/vietnam/danhnhan/vua/tranhungdao_hichtuongsi.htm
(5) Bình Ngô Đại Cáo 平吳大誥 (Nguyễn Trãi 1428)
http://vi.wikisource.org/wiki/B%C3%ACnh_Ng%C3%B4_%C4%91%E1%BA%A1i_c%C3%A1o
(6) Chiếu xuất quân 光中皇帝 (Quang Trung 1789)
http://vi.wikipedia.org/wiki/Nguy%E1%BB%85n_Hu%E1%BB%87
Đánh cho để dài tóc
Đánh cho để đen răng
Đánh cho nó ngựa xe tan tác
Đánh cho nó manh giáp chẳng còn
Đánh cho nó biết nước Nam anh hùng có chủ.
Battons-nous pour pouvoir porter les cheveux longs et garder les dents laquées noir;
Battons-les jusqu’à la dernière roue de leur char et leur dernière cuirasse;
Battons-les pour que l’histoire sache que l’héroïque peuple du Sud est souverain chez lui !
(7) Cette tradition vient de connaître en été 2011 un renouveau éclatant lors de la vague de protestations contre les actes d’agression de la Marine chinoise en mer de l’Asie du Sud-Est. Significatif est le leitmotiv du chant Đáp lời sông núi (À l’Appel de la Patrie, créé par Trúc Hồ en 2008) qui reprend les termes mêmes de la fameuse Marche des Etudiants (Sinh viên Hành khúc de Lưu Hữu Phước) qui avait servi de chant de ralliement de la jeunesse pendant la guerre d’indépendance contre le régime colonial français dans les décennies 1940-1950 avant de devenir l’hymne national de la République du (Sud) Vietnam. Pendant plusieurs semaines d’affilée ce chant a puissamment galvanisé les manifestants de Saigon à Hanoi et jusque dans la diaspora: « A l’appel de la Patrie en danger / Jurons de la défendre au prix de notre vie / À l’exemple des Sœurs Trưng, de Trần Hưng Đạo, des Rois Lý, Lê, Trần / Protégeons chaque pouce de notre terre, et chaque arbre et chaque plante / Pas une rue, pas un quartier, pas une plage de notre patrie ne doivent être cédés à l’ennemi / En quatre mille ans d’histoire nous sommes-nous jamais inclinés devant l’envahisseur ? » http://www.nhaccuatui.com/nghe?M=ejMb-rm930
(8) Emmené avec la fine fleur de l’élite vietnamienne à titre de tribut à la Cour Céleste, le jeune Nguyễn An (1381-1453) fut fait eunuque sous le nom de Ruan An (ou A Lu) et servit comme architecte en chef sous cinq empereurs Ming tout au long de la première moitié du XVe siècle. Outre la reconstruction de la ville de Beijing et l’édification des palais de la Cité Interdite, il se vit confier les grands travaux hydrauliques pour la domestication du Fleuve Jaune.
http://john-walsh.suite101.com/nguyen-an-a16869
(9) Giang Văn Minh: http://vi.wikipedia.org/wiki/Giang_V%C4%83n_Minh
http://edu.go.vn/e-tap-chi/tin-bai/7/35/147/1595/su-than-giang-van-minh-ban-linh-nguoi-viet-o-phuong-bac.html
La tradition populaire, tant orale qu’écrite, abonde en joutes oratoires de ce genre qui, sous leur apparence littéraire et anecdotique, affirment à la fois le caractère irréductible, la volonté de résistance et la vivacité d’esprit des Viet face à la brutalité et à l’arrogance de l’occupant Han. Une illustration parmi les plus fameuses: http://nghenhansu.forumvi.net/t118-topic
La Cour des Trinh se préparait à accueillir l’ambassadeur des Qing en visite officielle. Prévenu de la réputation de vulgarité et d’arrogance de l’ambassadeur, le Seigneur Trinh confia le service du protocole au Dr Quỳnh (Trạng Quỳnh, 1677-1748), connu pour son franc-parler et son esprit de repartie. Quỳnh accepta à condition d’être secondé dans sa tâche par la poétesse Đoàn Thị Ðiểm (1705-1748) qui devait se déguiser en aubergiste tandis que lui-même se fit batelier pour assurer le passage des hôtes sur le fleuve.
En passant devant l’auberge, la délégation Qing avisant le charme de l’aubergiste, décida d’y faire une pause. Tout en se faisant servir une tasse de thé, l’envoyé Céleste se fendit d’une phrase lourde de sous-entendu salace et de mépris:
Nam bang nhất thốn thổ bất tri kỷ nhân canh: 南 邦 一 寸 土 不 知 几 人 耕
(Sur un pouce de terre du Sud qui sait combien de paysans ont œuvré…)
Allusion à peine voilée aux vertus supposées ‘petites’ des femmes d’Annam. Dame Ðiểm, sans se départir de son calme, cracha la chique de bétel qu’elle était en train de mâcher et dit en articulant:
Bắc quốc chư đại phu giai do thử đồ xuất: 北 國 諸 大 夫 皆 由 此 途 出
(Au royaume du Nord les plus hauts dignitaires sortent aussi de là)
Réplique cinglante qui laissa les envoyés Qing bouche bée. Délaissant leur partie de thé, ils s’en allèrent honteux de leur conduite de soldatesque en goguette. Ils ne pouvaient en croire leurs yeux en lorgnant cette femme du peuple qui fit montre de tant de science et de noblesse d’esprit !
A l’embarcadère, ils montèrent sur la barque du passeur Trạng Quỳnh. Au milieu du fleuve, l’ambassadeur, pris d’une flatulence irrépressible, lâcha une pétarade aussi tonitruante que nauséabonde. Sans même rougir, il crut bon de lancer à la cantonade comme pour dissiper la fâcheuse impression créée par son geste disgracieux, suscitant l’hilarité de la compagnie:
Lôi động Nam bang (Tonnerre grondant sur les marches du Sud)
Reposant sa rame, Quỳnh baissa son pantalon et joignant le geste à la parole, pissa un jet en arc de cercle par-dessus la tête de l’ambassadeur tout en répliquant:
Vũ quá Bắc hải (Pluie battante en mer du Nord)
Fou de rage, l’ambassadeur s’avança vers l’insolent batelier pour le châtier. Retournant sa rame, Quỳnh se mit en position de défense et rétorqua:
Tiền phát lôi, hậu phát vũ, thiên địa chi lý nại hỉ (Le tonnerre annonce la pluie, telle est la loi immuable de la nature, pourquoi s’en offusquer ?)
Abasourdis, les envoyés Qing se regardèrent les uns les autres sans même essayer de trouver une parade à la réplique imparable du passeur. Avalant leur surprise et leur colère, ils s’en furent la tête basse en ruminant en leur for intérieur: si un batelier et une aubergiste de ce petit pays sont de cet acabit, qu’en sera-t-il de leurs mandarins et de leurs lettrés !?
(10) Traduction de Nguyễn Khắc Viện. De larges extraits de la ‘Proclamation sur la Pacification des Ngô’ de Nguyễn Trãi sont reproduits en Annexe.
(11) http://boxitvn.blogspot.fr/2010/05/giong-luoi-bao-chi-chinh-thong-trung.html (traduction en vietnamien de Vũ Cao Đàm)
hi.baidu.com/yueli88/blog/item/.../a5e8b535fa52518ca71e12e2
http://boxitvn.blogspot.com/2010/05/giong-luoi-bao-chi-chinh-thong-trung.html
Texte original chinois sur le site 中华兵器大全 (Trung Quốc Binh Khí Đại Toàn):
http://www.cnweapon.com/html/news/2010-01/news14304.html
titre: 越南—收复南沙之战的祭品 (Offrons le Viêt Nam en sacrifice expiatoire à la guerre pour récupérer l’archipel Spratlys)
conclusion: 杀越寇为南沙之战祭旗 (Tuons les rebelles Viêt en sacrifice expiatoire au drapeau pour la bataille de Spratlys) – [Spratlys: Nan Sha en chinois, Trường Sa en vietnamien]
(12) Nguyễn Đình Đầu: http://www.petrotimes.vn/dam-luan-doi-thoai/2012/05/gs-nguyen-dinh-dau-cat-vang-la-ten-goi-chi-co-o-dai-viet-xua-va-viet-nam-nay
(13) http://globalspin.blogs.time.com/2011/06/10/tension-rise-over-south-china-sea-claims/
http://www.nature.com/news/2011/111019/full/478293a.html
Lịch sử nhân khẩu học của Trung Quốc và thách thức trong tương lai (article de X. Peng, Science 29 July 2011, pp. 1581-587 (file pdf):
tạp chí lừng danh Nature đã lên án hành động lấp liếm và phản khoa học
bức thư của tri thức Việt được đăng trên Science
Concern over the South China Sea
(14) Les « quatre bons » (bốn tốt): Láng giềng tốt, Bạn bè tốt, Đồng chí tốt, Đối tác tốt;
les « seize mots d’or » (16 chữ vàng): Láng giềng hữu nghị / Hợp tác toàn diện / Ổn định lâu dài / Hướng tới tương lai
(15) Consigne secrète: thân nhi bất cận, sơ nhi bất viễn, tranh nhi bất đấu (thân mà không gần, lạnh nhạt mà không xa, chống mà không đánh nhau)
(16) Les « seize nouveaux mots d’or » (16 chữ vàng mới): Sơn thủy tương liên / Văn hoá tương thông / Lý tưởng tương đồng / Vận mệnh tương quan…
version parodiée: Sơn thủy tương liên là hoạ / Văn hoá tương thông là vong / Lý tưởng tương đồng là mị / Vận mệnh tương quan là tử…
(17) http://www.foreignpolicy.com/articles/2011/10/31/global_times_china_fox_news?page=0,0&wpisrc=fp_ipad
(18) Original en chinois: http://www.epochtimes.com/gb/5/8/1/n1003911.htm
Articles en anglais dans The Epoch Times: « The War Is Not Far from Us and Is the Midwife of the Chinese Century » http://www.theepochtimes.com/news/5-8-8/31055.html
« The War Is Approaching Us » http://www.theepochtimes.com/news/5-8-5/30974.html
« The CCP’s Last-ditch Gamble: Biological and Nuclear War – Hundreds of millions of deaths proposed » http://www.theepochtimes.com/news/5-8-5/30931.html
(19) Une photo du sommet de l’APEC (Coopération économique pour l’Asie-Pacifique) montre le président Jiang Zemin en compagnie des présidents Bush et Poutine. Vêtus tous les trois d’une veste de coupe chinoise offerte par l’hôte des lieux pour la circonstance, les maîtres du monde arborent un large sourire. Les présidents Bush et Poutine ignorent sans doute que la couleur rouge de la veste du président Jiang est traditionnellement celle de l’empereur, et la couleur bleue des leurs celle des vassaux...
Lors de la dernière visite d’Etat du président Nicolas Sarkozy en Chine, la télévision a montré une scène étonnante. On y voit le président français traverser seul l’immense hall de réception sur une distance de plusieurs dizaines de mètres qui le sépare du président chinois. Celui-ci l’attend immobile à l’autre bout du hall, pendant qu’un aboyeur géant crie d’une voix de stentor les nom et titre de l’invité. Rituel impérial oh combien solennel, destiné à impressionner l’hôte et ses compatriotes à l’autre bout du monde. Une fois face à face, les deux présidents échangent une longue poignée de main, mais seul M. Sarkozy a cru bon de signifier son respect d’une salutation marquée (et remarquée) de la tête devant un Hu Jintao imperturbable, à peine souriant, manifestement satisfait de ce koutou (khấu thủ: baisser la tête) qui en langage féodal signifie l’allégeance d’un vassal envers son suzerain. On ne peut s’empêcher de songer au protocole non moins solennel mais quelque peu moins écrasant avec lequel un président français accueille et reconduit ses hôtes sur le perron de l’Elysée…
(20) Testament du Roi Trần Nhân Tông (1258-1308): « N’oubliez jamais ceci: ce sont les grands pays qui commettent des actes insensés, contraires à la morale. Ils se donnent le droit de faire le contraire de ce qu’ils disent. Ainsi le malheur durable de notre peuple est celui qui vient de la Chine. Ne sous-estimez pas les menus incidents qui surviennent à nos frontières. Ils doivent nous inciter à penser à une plus grande cause. Les Chinois ne respectent pas les traités frontaliers. Ils ne cessent d’inventer des prétextes à dispute. Faute de pouvoir nous annexer, ils nous grignotent par petits morceaux. Ils finiront à la longue par transformer notre patrimoine national de son état de nid d’aigle en un nid de moineau.
Gardez donc toujours à l’esprit ma recommandation que voici: Ne laissez jamais un pouce de la terre de nos ancêtres tomber aux mains d’autrui. C’est le testament que je souhaite laisser à nos descendants pour les générations futures. »
(21) Mémoires des conseillers militaires chinois auprès du Vietnam pendant la guerre d’Indochine contre la France:
- La Quý Ba (chef de délégation et premier ambassadeur de la Chine au Vietnam): http://www.diendan.org/the-gioi/hoi-ki-co-van-trung-quoc-1/
- Trương Quảng Hoà: http://www.diendan.org/the-gioi/hoi-ki-co-van-trung-quoc-2/?searchterm=hồi ký La Quý Ba
- Vi Quốc Thanh: http://www.diendan.org/the-gioi/hoi-ki-co-van-trung-quoc-3/
(22) Liu Yazhou: http://honvietquochoc.com.vn/Chuyen-bon-phuong/Doc-Luu-A-Chau-de-hieu-them-mot-vai-van-de-ve-TQ-1.aspx
http://honvietquochoc.com.vn/Chuyen-bon-phuong/Doc-Luu-A-Chau-de-hieu-them-mot-vai-van-de-ve-TQ-2.aspx
(23) Huỳnh Ngọc Chênh: http://boxitvn.blogspot.fr/2011/08/khong-khong-viet-e-noi-lai-cau-chuyen.html
(24) http: //www.courrierinternational.com/article/2011/06/23/la-morale-connais-pas
(article en chinois) 23.06.2011 Xiao De, Guoji Xianqu Daobao (International Herald Leader) http: //news.xinhuanet.com/herald/2011-04/20/c_13837361.htm 寻找底线 新华网
http: //www.courrierinternational.com/article/2011/11/14/le-poisson-pourrit-toujours-par-la-tete
(25) china-review.com 29.4.2011 http://www.china-review.com/eao.asp?id=27659
中国的社会信任危机 – 郑永年 黄彦杰
(26) Trần Ích Tắc (1254-1329), fils du roi Trần Thái Tông, s’est rendu avec toute sa famille à l’ennemi lors de la deuxième invasion Yuan-Mongole en 1285; emmené en Chine il est promu An Nam Quốc vương (Roi d’Annam). Cette trahison lui a valu l’exclusion définitive de la famille royale Trần.
Lê Chiêu Thống (1765-1793), 16e et dernier roi des Lê, a appelé l’intervention militaire des Qing pour combattre Quang Trung dans l’espoir de récupérer son trône. Cette action sera sévèrement jugée par les historiens comme une haute trahison.
Hoàng Văn Hoan (1905-1991), ancien membre du Bureau politique et premier ambassadeur du Vietnam en Chine, prochinois notoire, a pris la fuite en Chine au lendemain de la guerre de 1979.
(27) « (…) Sinh ra phải thời loạn lạc, lớn lên gặp buổi gian nan.
Lén nhìn sứ ngụy đi lại nghênh ngang ngoài đường;
Uốn tấc lưỡi cú diều mà lăng nhục triều đình;
Đem tấm thân dê chó mà khinh rẻ tổ phụ. » (voir aussi ‘Hịch tướng sĩ’ in note (4))
(28) Extraits d’une thèse récente et exhaustive sur la question: Olivier Du Roy, La règle d’or – Histoire d’une maxime morale universelle – De Confucius au XXe siècle – Essai d’interprétation, Editions du Cerf, Paris 2012, 2 vol., 1518 pages:
Traité de tolérance entre l’Angleterre et la Chine (26 juin 1858): « La religion sainte de Jésus et la religion du Seigneur du Ciel sont des religions qui enseignent aux hommes à faire le bien et à traiter les autres comme soi-même. »
Traité avec les Etats-Unis (18 juin, article 29): « La sainte religion de Jésus-Christ et aussi celle dont le nom est religion du Seigneur du Ciel, au fond, ont pour but de porter les hommes à faire le bien et à traiter les autres comme ils voudraient être traités eux-mêmes. »
(29) Tout récemment (9 mai 2012), un haut dirigeant, M. Uông Dương, secrétaire du Parti du Guangdong, a fait cette déclaration qualifiée par la presse chinoise d’« historique »: « Dire que le Parti communiste et le gouvernement chinois sont au service du peuple et lui apportent le bonheur est une erreur qu’il faut absolument abandonner. »

Annexe
Grande Proclamation sur la Pacification des Ngô
*
Bình Ngô Đại Cáo 平吳大誥
Nguyễn Trãi (1428)
Traduction de Nguyễn Khắc Viện

(Histoire du Vietnam, Editions Sociales, Paris 1974, pp. 69-73)
* Rédigée après la victoire sur les Ming. Ngô est un terme générique désignant les envahisseurs. Les noms propres désignent les personnages historiques et divers champs de bataille.
Il est dit:
Paix et bonheur pour le peuple, tel est le fondement des vertus d’humanité et de justice.
Eliminer la violence, tel est le rôle premier assigné à nos combattants.
Notre patrie, le Grand Viêt depuis toujours
Etait terre de vieille culture.
Terre du Sud, elle a ses fleuves, ses montagnes,
Ses mœurs, ses coutumes, distincts de ceux du Nord
Les Tirệu, les Đinh, les Lý, les Trần bâtissant notre indépendance
Comme les Han, les Tang, les Song, les Yuan ont édifié leur territoire.
Notre patrie avait connu grandeur et décadence, elle n’a jamais manqué d’enfanter ses héros.
Nous avons anéanti les ambitions de Lưu Cung et les rêves de grandeur de Triệu Tiết.
Toa Đô fut décapité à Hàm Tử;
Ô-Ma capturé sur le fleuve Bạch Đằng:
L’histoire à jamais, a gravé le souvenir de ces exploits.
*
Mais la politique des Hồ se fit pesante.
Le peuple grondait de colère.
Les agresseurs Ming en profitèrent pour déchaîner la guerre,
Des traîtres vendirent la patrie afin d’assouvir leurs appétits;
Des hommes furent brûlés vifs, des femmes, des enfants égorgés;
Ils usèrent de mille ruses pour duper le peuple, berner le Ciel.
Vingt années durant, le crime dura.
Les vertus d’humanité, de justice disparurent de notre terre.
Taxes et impôts vidèrent nos lacs et nos montagnes.
*
Il fallait plonger au fond des mers, affronter les requins pour leur fournir des perles,
S’aventurer au fond des montagnes pour leur ramener de l’or,
Se risquer dans les forêts pestilentielles pour piéger des faisans et des cerfs noirs.
Ni l’herbe des prairies, ni le moindre insecte ne furent ménagés.
Malheur à nos veuves, à nos enfants.
Ils gémissaient de faim, les bourreaux étaient bien gras,
Il fallait bâtir des palais, charrier la terre
L’ennemi réclamait toujours des bras, des bras
Les corvées pleuvaient, les métiers à tisser furent désertés.
Tous les bambous de nos forêts ne suffiraient pour inscrire vos crimes,
Toute l’eau de l’océan n’en saurait effacer la puanteur.
La colère du peuple fut à son comble,
La Terre et le Ciel ne purent tolérer de pareils forfaits.
Nous, retirés au mont Lam,
Regardant souffrir la patrie, couvions notre haine
Des années durant, le cœur serré d’angoisse,
Nourris de fiel, couchant sur des épines, oubliant de manger,
Nous avons étudié toutes les stratégies,
Scruté le passé, jaugé l’avenir, soupesé les facteurs de victoire,
Jusque dans nos rêves nous poussions les plans d’insurrection.
Nous avons levé l’étendard: jusqu’au temps où l’ennemi était au zénith de sa force.
Chez nous, les talents étaient rares comme les étoiles à l’aube, les feuilles en hiver.
Nous manquions de conseillers, d’officiers, de soldats,
Nous brûlions de sauver le peuple, d’avancer vers l’Est
Sur notre char, nous laissions une place vide pour accueillir des amis,
Les ombres des amis se perdaient dans la brume.
Mais, plein de colère contre l’agresseur, inquiet pour le destin de la patrie,
Nous avons œuvré d’urgence, comme on vole au secours d’un noyé.
A Linh Sơn pendant des semaines, les vivres nous manquaient,
A Khôi Huyên nous n’avions plus de troupes.
Le Ciel a voulu éprouver notre constance,
Nous avons déployé tous nos efforts
Avec le peuple rassemblé comme dans une famille, nous avons hissé le drapeau de la liberté
Avec nos officiers et nos soldats, comme entre pères et fils, nous avons bu le vin des batailles.
Jouant de la surprise, nous avons opposé notre faiblesse à la force de l’ennemi.
En mille embuscades, nous avons anéanti des armées nombreuses avec des forces réduites.
La juste cause a triomphé de la barbarie,
L’humain a vaincu la force brutale.
A Bồ Đàng notre foudre s’est déchaînée,
A Trà Lân nous avons fendu comme un bambou les armées ennemies.
Nos troupes exaltaient, notre gloire volait de village en village.
Trân Tri, Sơn Thô en perdaient leurs esprits,
Ly An, Phương Chinh se sont enfuis à perdre l’haleine.
Poursuivant l’ennemi nos troupes ont repris la capitale de l’Ouest;
Sur leur lancée elles ont récupéré la capitale de l’Est.
Le fleuve Ninh Kiên rouge de sang ennemi empuantissait jusqu’à mille lieues.
Dans la plaine Tốt Đông, les cadavres s’entassaient,
Et l’opprobre pour mille ans à venir poursuivra l’envahisseur.
Nous avons exhibé la tête de Trần Hiệp, valet de l’ennemi
Et liquidé Lý Hương, traître notoire.
Vương Thông cherchait à conjurer le désastre, le feu brûlait plus fort.
Mã Anh voulait sauver la partie, nos troupes redoublaient d’ardeur,
L’ennemi à bout de souffle et d’expédients se résignait à la défaite.
Sans coup férir, usant d’intelligence frappant sur les cœurs, nous l’avons subjugué.
Un moment, l’agresseur parut avoir compris.
Non, il recommença à ourdir ses complots, à perpétrer ses crimes.
La volonté d’un tyran plongea des milliers d’hommes dans le malheur.
Assoiffés de gloire, ces hommes seront la risée de tous.
On vit le garnement de Tuyên Đức mobiliser toutes ses troupes,
Les couards Mộc Thanh, Liêu Thăng essayer d’éteindre le brasier avec de l’huile.
Le 9e mois de l’an Đinh Mùi, Liêu Thăng par la passe de Khai Ôn,
Le 10e mois, Mộc Thanh venant du Yunnan, firent avancer leurs armées.
Nous avons écrasé leurs avant-gardes, coupé leur chemin de retour, leurs voies de ravitaillement.
Le 18e à Chi Lăng, Liêu Thăng connut la défaite,
Le 20e à Mã Anh, il perdit la vie.
Le 25e en pleine bataille, le comte Lương Minh périt.
Le 28e, acculé à l’échec, le ministre Lý Khanh se suicida.
Sur notre lancée, nous avancions sans répit.
Perdant leur tête, les troupes ennemies s’entre-déchirèrent.
Nous cernions leurs citadelles, de toutes parts, nous promettant de les enlever allègrement.
Officiers et soldats se levèrent, tous griffes et crocs dehors.
Nos épées s’aiguisent à la pierre, les rochers tombent en poussière,
Nos éléphants s’abreuvent, les fleuves se tarissent.
Au premier roulement de tambour, requins et crocodiles s’enfuirent,
Au deuxième, il ne resta même plus un seul oiseau.
Nous sommes le vent des tempêtes qui disperse les feuilles sèches,
Nous sommes les fourmis qui font s’affaisser les digues.
Se traînant à genoux, le général Thôi Tụ demanda grâce,
Se liant les mains, le ministre Hoàng Phúc se rendit.
Les routes de Lang Giang, de Lạng Sơn s’emplissent de cadavres ennemis.
A Sương Giang, Bình Than, les fleuves s’empourprent de sang,
Les vents et les nuées ont changé de couleur,
La lune et le soleil blêmissent.
Coincées à Lê Hoa, leurs troupes du Yunnan s’affolèrent;
Défaits à Cân Trâm, les hommes de Mộc Thanh s’enfuirent en désordre,
Les ruisseaux de Lãnh Cầu s’engorgent de sang, les fleuves étouffent de sanglots,
Les cadavres s’amoncellent dans Dân Xa, l’herbe partout se couvre d’un sang noir.
Deux armées venues en renfort n’eurent guère le temps de rebrousser chemin.
Dans les citadelles assiégées, l’ennemi enlevant ses armures, capitula.
Ses généraux capturés, tigres impuissants, implorent pardon.
Nous avons combattu, point pour semer la mort;
Exécutant la volonté du Ciel, nous leur avons ouvert le chemin de la vie.
A Mã Kỵ, à Phương Chinh, nous avons donné cinq cents jonques,
A Vương Thông, à Mã Anh, des milliers de chevaux pour regagner leur pays.
En pleine mer, ils étaient encore verts de peur
Jusque chez eux, ils continuaient à trembler d’effroi.
Ils redoutaient la mort, demandaient la paix.
Nous, nous voulions le repos du peuple,
Telle a été notre sagesse.
La patrie désormais est bien assise.
Nos monts et nos fleuves feront peau neuve.
La paix fait suite à la guerre, le jour à la nuit.
Pour mille automnes, nous avons lavé notre honte.
Pour dix mille générations nous avons instauré la paix.
Nous avons vaincu grâce au Ciel, grâce à nos ancêtres.
Les quatre mers sont calmes à jamais, partout souffle le vent du renouveau.
Qu’en tous lieux, tous le sachent !


(Source: Eglises d'Asie, 30 mai 2012)