Au Chhattisgarh, dans un petit village du district de Bastar, des tintements de bracelets résonnent en même temps qu’Aranav Sinha sort de sa maison en chaume. « Notre famille a vaincu la pauvreté », annonce fièrement cette jeune femme de 35 ans, vêtue de l’habit traditionnel local, constitué d’un seul morceau de tissu.

« Depuis trois ans que je ne suis plus ouvrière agricole, je ne vis plus dans l’angoisse du lendemain, dans la peur de ne pas savoir si je pourrais nourrir ma famille », raconte Sinha, qui, après avoir suivi la formation en agriculture biologique dispensée par le diocèse catholique de Jagdalpur, produit et vend ses propres légumes « bio ».

« Avant, le salaire d’un ouvrier agricole ne suffisait pas à couvrir entièrement les frais du repas quotidien », précise la jeune femme. « Les gens étaient si miséreux qu’ils n’avaient même pas le minimum nécessaire pour survivre », explique le P. Thomas Kollikolavil, carme et responsable de la pastorale sociale du diocèse.

Une formation en agriculture destinée aux femmes

Aujourd’hui, grâce à ce programme diocésain de formation à l’agriculture biologique mis en place en 2013, ce sont près de 2 000 femmes qui ont pu sortir leur famille de la misère, en cultivant elle-même leur nourriture de manière écologique. « Nous avons voulu nous focaliser sur la formation des femmes, car c’est à elles qu’incombe la lourde responsabilité de nourrir et de s’occuper de la famille, souligne Nandini Nagesh, formateur au sein du programme agricole. Nous leur apprenons des méthodes d’agriculture biologique afin qu’elles aient une activité rentable qui génère un revenu décent. »

Une agriculture « bio » de proximité

A contre-courant de l’agriculture intensive qui privilégie les grandes surfaces agricoles, l’utilisation de semences et de pesticides coûteux, produits par de firmes internationales qui étranglent les agriculteurs indiens, ce programme de formation a fait le pari gagnant de cultiver biologiquement des petites surfaces de proximité, permettant à ces familles d’être autosuffisantes d’un point de vue alimentaire tout au long de l’année, chose impossible lorsque les villageois travaillaient en tant qu’ouvrier agricole dans les grandes exploitations.

Afin de réduire leur coût d’investissement, le diocèse leur fournit les graines à planter. « Je leur ai aussi appris à réaliser des engrais et des pesticides naturels à très bon marché », explique Nandini Nagesh. Grâce à ces pesticides naturels, à la fois efficaces et bon marché, ces femmes limitent de manière significative leurs coûts, ce qui leur assure une bonne productivité. « A présent, au village nous savons produire un pesticide naturel à base de bouse de vache, d’urine et de sucre de palme. Cela me coûte seulement 10 roupies [0,13 euros], et me permet de couvrir toute ma terre pendant la saison des cultures », se réjouit Sinha.

Une autonomie alimentaire et une activité rentable qui résistent aux aléas climatiques

Sa voisine de 40 ans, Neeta Bai, mère de trois enfants, a commencé une culture rotative de fruits et légumes sur ses 6 000 m² de terres. « Je n’ai plus à me soucier si nous aurons à manger le jour suivant. Même en période de sécheresse et de pénurie d’eau, nous arrivons à avoir une récolte par an », explique-t-elle. A présent, sa famille dégage un revenu annuel de plus de 35 000 roupies (485 euros) pour une récolte. S’ils étaient restés ouvriers agricoles dans des grandes exploitations, même en travaillant tous les jours de l’année, ils n’auraient pas atteints les 8 000 roupies annuels (110 euros). « Lorsqu’il pleut suffisamment, nous arrivons même à produire deux récoltes annuelles en plus de la production de légumes saisonniers qui nous apportent un revenu supplémentaire », annonce fièrement Neeta Bai.

« Nous travaillons à présent à la formation d’une fédération de producteurs, afin de créer une chaîne de distribution nous permettant d’entrer en lien avec des marchés plus importants, sans avoir à passer par des intermédiaires, ce qui nous permettra de conserver nos marges », indique le coordinateur du programme agricole diocésain, qui est subventionné par des mécènes et le gouvernement national, lui-même encouragé par la Banque Mondiale.

Une profonde crise agraire

Cette expérience agricole contraste pourtant avec la situation générale de l’agriculture indienne, qui subit actuellement une profonde crise agraire, alors que 60 % des Indiens travaillent encore aujourd’hui dans le secteur agricole. Seule la moitié des surfaces cultivées en Inde sont irriguées, souvent de manière précaire. Les puits et les forages connaissent leurs limites, aves des nappes phréatiques sur-utilisées, alors que le pays subit des périodes de sécheresse prolongées et répétées depuis deux années. L’absence d’eau est devenue dramatique. 330 millions de personnes sont touchées et les agriculteurs subissent des pertes record. Cette année, dans l’ouest du pays, l’Etat du Maharashtra connaît sa pire sécheresse depuis 40 ans.

Selon des statistiques gouvernementales, 6 000 agriculteurs indiens se sont suicidé du fait de difficultés financières et de récoltes perdues liées aux aléas climatiques. En janvier, le gouvernement indien a débloqué 700 millions d’euros pour venir en aide aux producteurs et moderniser les infrastructures agricoles. Ce projet prévoit notamment de subventionner la mise en conformité de 200 000 hectares de terre en agriculture biologique sur une période de trois ans. Pour le P. Frederick D’Souza, président de Caritas India, « cette mesure montre que le gouvernement a enfin pris conscience que c’est l’agriculture qui nourrit les gens et génère un revenu aux plus pauvres ». Reste à savoir comment ces mesures s’appliqueront sur le terrain et si les aides arriveront jusqu’aux petits paysans vivant dans les régions les plus reculées de l’Inde.

(Eglises d'Asie, le 29 avril 2016)