Le 2 juillet dernier, une première étape vers la dépénalisation de l’homosexualité a été franchie par la Haute Cour de New Delhi, qui a jugé que les relations homosexuelles entre adultes consentants n’étaient pas un délit et que l’article 377 du Code pénal contrevenait aux libertés fondamentales définies par la Constitution. Bien que cette décision ne concerne pour le moment que la juridiction de New Delhi et n’ait pas de portée jurisprudentielle pour le reste de l’Inde, la communauté gay espère que l’exemple de la capitale incitera le Parlement fédéral à étendre l’arrêt à l’ensemble du pays. En attendant, la polémique enfle, après la condamnation du jugement de la Haute Cour par les représentants de toutes les religions de l’Inde.

L’article 377, qui date de l’époque coloniale britannique (1860), « punit les relations sexuelles contre-nature avec un homme, une femme ou un animal » de peines d’emprisonnement pouvant aller de 10 ans à la perpétuité. Peu appliqué dans la réalité (une cinquantaine de condamnations depuis sa promulgation), il garde néanmoins une influence dissuasive importante dans la société indienne. Selon les associations de défense des droits des homosexuels et l’ONUSIDA (1), cette loi empêche le dépistage du VIH chez les homosexuels par crainte d’une condamnation, permet à la police de rançonner la communauté gay et pousse au suicide de nombreux individus. Il demeure impossible aujourd’hui de quantifier la population homosexuelle en Inde, laquelle se définit elle-même comme presque exclusivement masculine (selon les organismes, elle évolue entre 4 et 25 millions de personnes).

L’Inde est à l’heure actuelle l’une des rares démocraties à considérer l’homosexualité comme un crime, tout en lui accordant, dans une démarche très paradoxale, une place incontestable dans sa société, comme l’illustre l’institution des hijra (2). « L’homosexualité n’est pas condamnée en Inde pour des raisons religieuses ou morales, explique Gautam Bhan, militant gay. Le principal problème (...) est l’absence de mariage » et donc de descendance potentielle, notamment masculine (3). Cette forte tradition du mariage en tant que fondement de la société explique que la plupart des homosexuels soient mariés et, ne prévenant pas leurs épouses de leur orientation sexuelle, les exposent à la contamination par le sida.

Le problème de la propagation du VIH en Inde a été, de fait, au cœur des débats concernant l’article 377. Avec plus de 5,7 millions d’individus atteints par le virus, l’Inde est l’un des pays les plus touchés au monde (4). Le ministre de la Santé, Anbumani Ramadoss, qui s’est déclaré en faveur de l’abolition de l’article litigieux, s’en est expliqué en disant qu’il s’agissait du « seul moyen de lutter efficacement contre le sida », en accord avec les arguments des associations de défense des homosexuels comme Naz Foundation India Trust ou encore National Aids Control Organisation (NACO), organisme public de lutte contre le sida. Sur ce point cependant, le gouvernement fédéral indien est divisé, le ministre de l’Intérieur ayant déclaré pour sa part que la légalisation de l’homosexualité, « vice social », permettrait tout au contraire au virus de se propager plus librement. Mais c’est finalement la question de la discrimination qui a emporté la décision de la Haute Cour. Les juges ont en effet mis en avant dans l’arrêt du 2 juillet la non-conformité de l’article 377 avec les « principes d’égalité et de non-discrimination » de la Constitution indienne.

La décision de la Haute Cour, à l’issue de plusieurs années de débats et de rejets successifs (l’ONG Naz avait déposé une demande de révision de la loi en 2001) a été fêtée par une communauté gay en liesse dans les rues de la capitale fédérale. Elle intervenait quelques jours seulement après la deuxième édition de la gay pride en Inde, signe de la visibilité croissante de la communauté homosexuelle dans le pays. Les médias se sont fait l’écho d’une avancée « historique », comme The Hindustan Times dans son édition du 3 juillet: « La dépénalisation de l’homosexualité répare une erreur historique qui datait de la fin du joug britannique en 1947. »

A l’opposé de ces réjouissances, les chefs religieux hindous, musulmans, chrétiens, bouddhistes et sikhs, de toutes les parties de l’Inde, condamnaient la décision de la Haute Cour dans une rare unanimité. L’évêque méthodiste Tharanath Sagar, président du Conseil national des Eglises de l’Inde (NCCI), un rassemblement d’Eglises orthodoxes et protestantes, explique: « Nous saluons cette décision de justice dans la mesure où elle met fin au harcèlement pénal des homosexuels. Néanmoins, en tant que responsables religieux, nous ne pourrons jamais cautionner un comportement sexuel qui va à l’encontre de l’ordre naturel et du projet de Dieu pour l’homme. » L’Eglise catholique, qui avait déjà protesté à de nombreuses reprises contre l’abrogation de l’article 377, a, de son côté, réaffirmé sa position. Le P. Babu Joseph, porte-parole de la Conférence des évêques catholiques de l’Inde (CBCI), a rappelé: « Pour l’Eglise, les relations homosexuelles sont contre les lois de la nature et moralement inacceptables », précisant que la doctrine catholique accordait une « grande importance au devoir de procréation ».

Mgr Stanislaus Fernandes, secrétaire général de la CBCI, souligne, pour sa part, sa crainte que la décision de la Haute Cour conduise à une « valorisation » de l’homosexualité dans la société indienne. Une crainte partagée par les différentes confessions chrétiennes. Le Rev. Richard Howell, secrétaire général du Mouvement évangélique indien (Evangelical Fellowship of India), compare ainsi l’arrêt de Delhi à l’« ouverture de la boîte de Pandore », pouvant conduire au mariage entre personnes du même sexe et à l’adoption par les couples homosexuels. De telles conséquences, dit-il, porteraient « atteinte aux fondements et au caractère sacré du mariage ».

La condamnation est sévère du côté des religieux musulmans. «Légaliser l’homosexualité est une très grave erreur », s’est indigné Ahmed Bukhari, imam de la Jama Masjid, grande mosquée de New Delhi, assurant que la communauté musulmane « n’accepterait jamais une telle décision ». D’autres leaders religieux, comme Maulana Abdul Khalik Madrasi, de l’école coranique Darul Uloom Deoband, avaient déjà rappelé lors des débats ayant précédé la décision de la Haute Cour que « l’homosexualité était interdite par l’islam ».

Les leaders hindous ont également joint leurs voix aux protestations. Le Vishwa Hindu Parishad (Conseil mondial hindou) a fustigé le jugement de Delhi, déclarant que les pratiques homosexuelles allaient à l’encontre de la morale traditionnelle de l’Inde.

Dans l’attente d’une décision à l’échelon fédéral, les différentes communautés religieuses continuent de se mobiliser. Dès le 3 juillet, les évêques catholiques du Kerala ont écrit au Premier ministre Manmohan Singh, lui demandant instamment de prendre en compte l’avis de l’Eglise. De son côté, le ministre de la Justice, Veerappa Moily, s’est engagé à consulter les représentants des différentes religions ainsi que les militants homosexuels, avant de prendre une quelconque décision. Une réunion entre les juges de la Haute Cour et ceux de la Cour suprême afin de débattre des conséquences légales de la décriminalisation des relations homosexuelles est d’ores et déjà prévue.

(1) Programme des Nations Unies de lutte contre le sida
(1) Les hijra, craints et stigmatisés à la fois, forment une caste à part. Ces hommes, dont la plupart sont émasculés volontaires et donc assimilés à des transsexuels, sont considérés comme pouvant accorder la fertilité, d’où leur présence lors des mariages hindous ou la naissance d’un enfant de sexe masculin où ils dansent, chantent et accordent leur bénédiction. Bien que les hijra se disent « ni homme ni femme », il leur est possible de se marier à un homme, ce qui améliore leur condition sociale. La communauté hijra est très importante à New Delhi.
(2) Slate, 13 juillet 2009.
(3) Statistiques de l’ONUSIDA 2007
(4) Ucanews, 1er juillet 2009, Washington Post, 3 juillet 2009, Ucanews, 8 juillet 2009.
(5) Apic, 10 juillet 2009.

(Source: Eglises d'Asie, 17 juillet 2009)