Dans le n° 548 d'Eglises d’Asie, nos lecteurs ont pu lire le texte du P. Jeroom Heyndrickx, appelant à la poursuite du dialogue entre la Chine et le Saint-Siège malgré la tenue, fin 2010, d’une ordination épiscopale illicite dans le diocèse de Chengde et de la Huitième Assemblée nationale des représentants catholiques à Pékin. Dans un texte diffusé par les agences Ucanews et AsiaNews le 1er avril 2011, le cardinal Zen Ze-kiun répond au missionnaire belge que le dialogue mené avec Pékin ne doit pas amener les catholiques à renoncer à leur foi, ni à la discipline ecclésiastique commune. La traduction est de la rédaction d'Eglises d’Asie.
Comme à son habitude, le P. Jeroom Heyndrickx choisit les papes auxquels il se réfère, pour mieux les opposer. Dans le cas qui nous occupe, il oppose le pape Paul VI, présenté comme un partisan du dialogue, au pape Pie XI, qui aurait été plus enclin à la confrontation.

Le dialogue

Je me permets de rappeler au P. Heyndrickx qu’il y a différents types de dialogue. Il y a une grande différence entre un pape qui énonce les principes généraux du dialogue et un pape qui dialogue avec ceux qui tuent sans aucune pitié ses propres enfants.

Dans le cas concret dont nous parlons, je pose la question : faut-il vraiment se préoccuper des subtilités du dialogue, quand notre Saint Père a été très sérieusement insulté ? Quel est, en fait, le sens des événements de fin novembre, et de début décembre de l’année dernière, sinon un camouflet au pape ?

Le dialogue est sûrement d’une importance primordiale, mais dans le cas en question, nos partenaires ont rudement claqué la porte au nez de leurs trop accommodants interlocuteurs

L’Ostpolitik

Le P. Heyndrickx est un fervent admirateur de l’Ostpolitik que pratiqua le cardinal Casaroli avec les régimes totalitaires d’Europe de l’Est. Cette politique aurait été, selon lui, fortement encouragée par le pape Paul VI. J’ignore jusqu’où pouvaient aller ces encouragements, mais ce que je sais de source particulièrement sûre, c’est que le pape Jean Paul II y mit un terme tout de suite après son élection.

Le cardinal Casaroli et ses partisans pensèrent avoir fait des miracles, en poursuivant une politique de compromis à tout prix. Mais, en réalité, ils ont fait la paix, assurément, avec des gouvernements totalitaires, mais au prix d’un grave affaiblissement de notre Eglise. Il n’est pour s’en convaincre que d’écouter des ecclésiastiques de ces pays. L’un d’eux m’a raconté que le cardinal Wyzinsky est venu un jour à Rome pour demander aux officiels de la Curie de cesser de s’occuper des affaires de l’Eglise de Pologne.

Le P. Heyndrickx pense que Jean Paul II aurait été, comme lui, un modèle exemplaire de modération. C’est oublier que c’est précisément Jean Paul II qui a autorisé les démarches qui ont conduit à la canonisation des martyrs chinois, tout en sachant parfaitement que cela déplairait au plus haut point au gouvernement de Pékin. Après l’avoir fait, il ne s’excusa en aucune manière de cette canonisation, comme le reconnaît lui-même P. Heyndrickx.

Venons-en à l’Eglise de Chine d’aujourd’hui.

L’Eglise de Chine

La situation de notre Eglise en Chine est actuellement désastreuse, parce que, ces dernières années, certains ont poursuivi aveuglément et obstinément la même Ostpolitik, sans tenir compte des instructions claires données sur la direction de l’Eglise par le pape Benoît XVI dans sa Lettre à l’Eglise de Chine de 2007 et contre l’avis majoritaire de la Commission instaurée par le pape pour conseiller le Saint-Siège sur les problèmes de l’Eglise en Chine.

Le dialogue et les compromis sont nécessaires, mais jusqu’à une certaine limite. On ne peut pas renoncer aux principes de sa foi, ni à la discipline ecclésiastique élémentaire, simplement pour faire plaisir au gouvernement de Pékin.

Le pape Benoît XVI a jugé que le moment des éclaircissements était venu. La Commission pour la Chine, de son côté, a été d’avis que nous avions atteint la dernière ligne de compromis acceptable et qu’il était temps d’arrêter. Mais le préfet de la Congrégation pour l’évangélisation des peuples, un de ses clercs et le P. Heyndrickx pensèrent que, tous les trois, ils savaient mieux que les autres ce qu’il convenait de faire.

L’Eglise de Pologne était forte et courageuse. Ce qui n’est pas le cas de l’Eglise de Chine. Nos évêques y avaient besoin qu’on leur apporte un surcroît de courage. Mais ils n’ont reçu, à la place, qu’une compassion mal placée, qui les a conduits encore davantage dans l’enlisement d’un assujettissement servile.

On leur a dit : Frères, nous vous comprenons. Ce qui, à l’évidence, signifiait : Nous vous comprenons, même, si sous la pression, vous obéissez aux ordres du gouvernement. Mais, dans ce cas, obéir aux ordres du gouvernement signifiait trahir gravement la loyauté due au pape et à la communion à l’Eglise universelle !

Après l’ordination de Chengde et la tenue de la Huitième Assemblée nationale des représentants catholiques, quelques-uns des évêques concernés se sont excusés auprès de leurs prêtres. Quelques autres ont éclaté en sanglots. Mais d’autres, comme le P. Heyndrickx l’a confirmé, ont été enthousiasmés par cette situation. Je crains que ces gens n’appartiennent plus à notre Eglise. Ce n’est que par pure bonté que le pape se retient de qualifier de « schismatique » cette fraction de l’Eglise, qui proclame solennellement sa volonté d’indépendance et son souhait de réaliser des ordinations épiscopales sans mandat pontifical.

La chasse aux coupables

Le P. Heyndrickx trouve très commode de rejeter la responsabilité de cet état de fait sur de vagues éléments conservateurs du Parti communiste chinois. Le Parti a certainement sa part de responsabilité. Mais tout le monde peut aisément se rendre compte que c’est bien M. Anthony Liu Bainian qui tire toutes les ficelles en coulisse, en ayant réussi à placer à la tête de l’Association patriotique et de la Conférence épiscopale deux évêques qui sont des fantoches à ses ordres. D’ailleurs, M. Liu Bainian continue d’aller travailler avec diligence tous les jours à son bureau, alors qu’officiellement il n’est plus maintenant que président honoraire.

Il me semble ridicule que le P. Heyndrickx remette toujours sur le tapis la communauté « clandestine », quand il est question de la punition que mériterait les membres de la communauté « officielle ». Qu’est-ce qui justifie de mettre sur un pied d’égalité nos frères persécutés et ceux qui sont honorés et portés aux nues par le gouvernement ?

Il est évident que je suis moi-même parmi ceux que le P. Heyndrickx qualifie de politiciens cherchant à diviser l’Eglise et d’éléments extérieurs réagissant plus vite que Rome pour condamner les évêques chinois. Et cela, parce que j’ai organisé une réunion de prières pour l’Eglise en Chine, dans un esprit de pénitence et de conversion. Je souhaite donc simplement rappeler, ici, au P. Heyndrickx que j’incluais tout le monde – moi, y compris – dans ceux qui nécessitaient la pénitence et la conversion.

Ce qui est triste dans cette affaire est, que, pendant qu’on recherche qui sont les coupables, tout reste au point mort dans l’Eglise de Chine. Les fidèles en Chine attendent en vain une explication claire de ce que devrait être l’Eglise. Chaque jour, pour nos frères dans la souffrance, est comme une éternité. Quand donc leurs cris seront-ils entendus par le Seigneur ?
(Source: Eglises d'Asie, 5 avril 2011)