[NDLR: Dans la matinée du mardi 6 janvier 2010, à partir de 2 h 00 du matin, plusieurs centaines d’agents armés ont investi la paroisse de Dông Chiêm de l’archidiocèse de Hanoi. Ils ont abattu et détruit une croix, refoulé et frappé férocement des fidèles venus protéger ce lieu sacré (1). Dans l’après-midi, un catholique venu sur les lieux a consigné ses observations dans un texte, mis en ligne sur le site Internet de l’archidiocèse de Hanoi (2). La traduction a été réalisée par la rédaction d’Eglises d’Asie.]

Dans l’après-midi du 6 janvier 2010, le jour où la croix de la montagne Tho, de la paroisse de Dông Chiêm, a été abattue par les autorités, je suis venu sur les lieux. La première image qui m’a sauté aux yeux, ce sont les bandeaux blancs de deuil de la population de la paroisse. Tous, jeunes et vieux, le portaient sur le front, avec un visage grave et tourmenté. Les prêtres de l’archidiocèse, à la fin de leur retraite mensuelle, s’étaient également rendus à la paroisse pour partager la tristesse des fidèles. Dès que la voiture s’est arrêtée, chacun s’est tourné vers la montagne Tho pour y chercher la croix du regard. Nous fûmes étonnés de voir deux croix au lieu d’une sur la cime de la montagne.

« Mais, pourquoi donc rapporte-t-on que la croix a été abattue ? » - « Ils l’ont véritablement abattue. Elle était en fer et en ciment. Les croix que vous voyez sont en bois ordinaire. Nous venons de les élever. » - « Où ont-ils mis l’ancienne croix ? » -« Ils ont travaillé le socle au ciseau, puis ils l’ont renversée. Et, enfin, ils l’ont brisée entièrement sur place, à l’aide de marteaux et de masses. »

Ainsi l’ancienne croix avait été abattue et on voyait maintenant sur la cime de la montagne ces deux croix en bois et en bambou, des étendards de deuil, des lanternes. Grâce à une longue-vue, le sommet se rapprocha de moi et je fus étonné d’apercevoir une longue file serrée de personnes grimpant du pied de la montagne jusqu’à son sommet. J’interrogeai la personne qui était auprès de moi: « Pourquoi y a-t-il tant de gens ? Les autorités sont-elles encore la ? » - « Toutes ces personnes participent à une procession aux flambeaux. Les autorités s’en sont allées après avoir achevé leur œuvre. Nous avons dressé un procès-verbal et nous avons prié le chef de hameau de le signer pour certifier ce qui s’était passé. Celui-ci a répliqué qu’il n’était au courant de rien. » - « Pourquoi ne pas les avoir photographiés lorsqu’ils étaient présents ? » - « A ce moment-là, il faisait encore nuit et, ici, nous n’avons pas autant d’appareils photographiques qu’en ville ! »

Nous entrons alors dans l’église, construite il y a un siècle environ sur un monticule rocheux. Je suis surpris par la couleur de deuil qui recouvre les murs de l’église. La messe de l’exaltation de la Sainte-Croix est en train d’être célébrée. Quarante prêtres concélèbrent. Au cours de la messe, nous sommes invités à communier au mystère de la Croix du Christ Jésus et à pardonner les offenses.

Au sortir de l’église, sur le chemin, nous apercevons un groupe de personnes courant derrière une voiture. Plus près, nous entendons des cris et des pleurs. Dans la voiture, sont couchées deux femmes, l’air abattu, pourtant divers pansements et bandages. On nous apprend qu’il s’agit là des deux victimes, blessées dans la matinée par la police. Elles avaient été amenées à l’hôpital. On vient de les renvoyer, car elles ne sont pas autorisées à y rester. Aussitôt, la voiture ayant transporté les prêtres de Hanoi les prend en charge et les conduit au poste de secours le plus proche. Apparaît alors un homme au visage bouleversé. A peine un instant plus tard, il tombe à terre, évanoui. On me dit qu’il s’agit là du mari de l’une des victimes qui vient de reconnaître son épouse.

Venant de loin, on entend des voix résonner à travers des haut-parleurs. Il s’agit des haut-parleurs des autorités locales diffusant leur version des événements. Le vocabulaire employé est étonnant: nous apprenons que « l’Eglise du Vietnam est en train de vivre l’Année sainte sur le thème du renouvellement, de la pénitence et de la réconciliation…».

La nuit tombe peu à peu. De nombreux endroits dans le village, monte la rumeur des prières. Les paroissiens se sont divisés en groupes qui vont prier devant les maisons des cadres responsables des quartiers afin que ceux-ci se repentent. Au presbytère, j’apprends que le curé de la paroisse ne cesse d’envoyer des émissaires auprès des divers groupes pour les apaiser et leur demander de ne rien faire qui puisse nuire aux familles des cadres. Le prêtre ne cesse de décrocher le téléphone pour répondre aux appels. De partout, on lui adresse des messages de sympathie. Les médias internationaux l’interrogent… « Mon père, vous devez être bien fatigué ! » - « J’ai surtout pitié de la population ! J’ai pitié encore davantage du comportement des autorités ! »

(1) Voir dépêches envoyées le 7 janvier et ce jour
(2) Mis en ligne le 7 janvier 2010 à l’adresse suivante: http://tgphanoi.org/modules.php?name=News&op=viewst&sid=1435

(Source: Eglises d'Asie, 8 janvier 2010)