Hier, 12 juin, au micro d’une radio de Hongkong diffusée sur Internet, le cardinal Zen Ze-kiun, évêque émérite de Hongkong, a critiqué en des termes très vifs les autorités centrales chinoises pour avoir publié un Livre blanc réaffirmant le contrôle total de Pékin sur la Région administrative spéciale de Hongkong.

« Vous (le gouvernement communiste), vous pouvez me ligoter, m’enlever ou me décapiter, mais jamais vous ne ferez de moi un esclave », a affirmé le cardinal, enjoignant les Hongkongais « à ne pas succomber à la fatalité mais au contraire à défendre leur dignité propre ».

« Si vous vous inclinez, si vous mettez un genou à terre, alors tout sera fini », a-t-il déclaré, dans une mise en garde destinée à convaincre les Hongkongais de défendre la lettre et l’esprit de la formule ‘Un pays, deux systèmes’ qui sert à définir le particularisme de l’ancienne colonie britannique retournée en 1997 sous le drapeau chinois.

La publication, ce 10 juin, par le gouvernement chinois d’un ‘Livre blanc’ intitulé « Application de la politique ‘Un pays, deux systèmes’ dans la Région administrative spéciale de Hongkong », a mis la société civile hongkongaise en ébullition. On peut en effet lire dans ce document de soixante pages que « le haut degré d’autonomie dont jouit Hongkong » n’équivaut pas à « la pleine autonomie », ni à « un pouvoir décentralisé », mais est « sujet à autorisation de la part du gouvernement central ». Un peu plus loin, il est écrit que la Région administrative spéciale de Hongkong « ne jouit en rien d’un ‘pouvoir résiduel’ ».

De plus, là où les Hongkongais se plaisent à souligner qu’une des forces de leur territoire réside dans l’indépendance de son système juridique, le Livre blanc place les juges au rang des « administrateurs » que sont le chef de l’exécutif et la haute administration, toutes ces personnes étant tenues d’avoir « l’amour de la patrie » comme « pré-requis politique de base ». Une telle formulation ne laisse pas d’inquiéter les Hongkongais, les juristes notamment, étant entendu que, dans le système politique chinois, « l’amour de la Patrie » n’est pas séparable de « la fidélité au Parti ».

Bien que cela ne soit pas la première fois que la Chine exprime de telles vues, le moment où ce Livre blanc est publié ainsi que le choix de l’organe qui le publie (le Conseil pour les affaires d’Etat, c’est-à-dire le gouvernement central) indiquent que Pékin est déterminé à imprimer sa marque sur la vie politique hongkongaise.

Depuis des semaines, les milieux pro-démocratie mènent un débat intense pour que la promesse inscrite dans la Loi fondamentale, le texte qui fait office de Constitution à Hongkong, soit respectée, à savoir l’instauration pleine et entière du suffrage universel en 2017. A l’heure actuelle, seule une moitié des députés du Legco, le Parlement local, sont élus au suffrage universel et la procédure de nomination du chef de l’exécutif par un corps de 1 200 grands électeurs laisse le champ libre à Pékin pour choisir le dirigeant de la Région administrative spéciale.

Un mouvement de désobéissance civile, appelé « Occupy Central » (du nom du quartier d’affaires de Hongkong), menace de bloquer le centre-ville en juillet au cas où aucun élément de démocratie ne serait introduit dans cette procédure de désignation du chef de l’exécutif.

Du 20 au 22 juin, Occupy Central organisera un référendum non officiel, appelant les Hongkongais à se prononcer pour l’une des trois formules que les militants pro-démocratie ont préparées. En réponse, les éléments pro-chinois de Hongkong ont mis en garde contre le risque de « chaos » que faisait peser ce référendum fictif ; ils n’ont pas hésité à agiter le spectre d’une intervention militaire chinoise (une caserne de l’Armée populaire de libération jouxte le quartier de Central).

Dans ce contexte surchauffé, l’Eglise catholique locale a pris position. Rédigée par la Commission ‘Justice et Paix’ du diocèse de Hongkong, une brochure de 28 pages expliquant les enjeux du référendum des 20-22 juin a été distribuée dans toutes les paroisses. Lors de la prière organisée en marge du rassemblement géant pour le 25ème anniversaire de Tienanmen, de nombreux intervenants, dont le cardinal Zen, ont expliqué l’importance de cette consultation, soulignant qu’il ne fallait pas laisser passer ce moment de l’Histoire. Après ce sera trop tard, les jeux seront faits, ont-il déclaré en substance. Le 26 mai dernier, dans un article du Kung Kaopo, le journal en chinois du diocèse, l’évêque de Hongkong, le cardinal John Tong Hon, a écrit qu’un système démocratique de gouvernement était nécessaire au bien-être des Hongkongais ; selon lui, le référendum « peut donner une expression concrète de l’opinion publique ».

Pour le cardinal Zen, « le compromis n’est plus une option », les Hongkongais doivent s’exprimer démocratiquement et ne pas se laisser intimider par les pressions de Pékin (1). Afin d’encourager les habitants du territoire à aller voter les 20-22 juin, Mgr Zen a annoncé qu’il parcourrait à pied tout Hongkong. Samedi 14 juin, il débutera ainsi une marche de sept jours qui l’emmènera dans presque chacun des 18 districts du territoire. A l’âge de 82 ans, il a annoncé sa volonté de marcher douze heures par jour durant une semaine, malgré les fortes chaleurs et l’humidité élevée de l’été. Les catholiques sont invités à se joindre à lui, mais dans la limite de 30 personnes au maximum en même temps – ceci afin de ne pas dépasser le seuil au-delà duquel il est obligatoire de déclarer une manifestation sur la voie publique. « Notre principe d’action est de recourir à une approche non violente », a-t-il confié.

(1) Le Livre blanc met en garde contre « le petit nombre de personnes qui agissent en collusion avec les forces extérieures en vue d’interférer dans la mise en œuvre de la politique ‘Un pays, deux systèmes’ ». Rien ne permet de penser que Pékin vise ainsi le cardinal Zen ou les catholiques de manière générale, dont le lien avec le Saint-Siège peut les faire entrer dans la catégorie des personnes agissant en collusion avec des « forces extérieures ». Toutefois, un Livre bleu publié en mai dernier indiquait que Pékin comptait l’« infiltration religieuse en provenance de l’étranger » au nombre des quatre plus « sérieux défis » qui se posent à lui.

(Source: Eglises d'Asie, le 13 juin 2014)