Le groupe des 72 avait déjà présenté un projet alternatif de Constitution, concurrençant celui que le gouvernement avait soumis à la consultation populaire à partir du mois de janvier 2013. Il se manifeste aujourd’hui de nouveau, avec une lettre de protestation en date du 3 juin (1), contre une nouvelle version gouvernementale du projet qui a été présenté à l’Assemblée nationale le 17 mai 2013. Ce texte s’en prend particulièrement à l’article 4, qui affirme le monopole du Parti communiste et de son idéologie sur le pouvoir et sur la gestion de la société vietnamienne.

A la fin de l’année 2012, une commission de l’Assemblée nationale achevait la rédaction d’un projet d’amendement de la Constitution de 1992, en vigueur actuellement. Le 2 janvier 2013, le texte du projet, qui ne contenait aucun changement fondamental, était soumis à l’appréciation de l’opinion publique au cours d’une grande campagne de consultation populaire. Ses initiateurs ne s’attendaient guère aux réactions radicales que cette campagne allait provoquer.

Divers groupes très représentatifs de certains milieux sociaux, sans tenir compte du texte proposé par la commission, préconisèrent une refonte complète des points essentiels de la Constitution. Le monopole du Parti communiste sur le pouvoir et la gestion de la société fut mis en cause et même rejeté. On demanda l’introduction de plusieurs articles assurant les conditions d’une véritable démocratie et des différentes libertés.

Un premier groupe de 72 intellectuels et personnalités politiques mit en circulation, dès le 23 janvier 2013, une requête exposant les principes qui devaient guider l’élaboration d’une nouvelle loi fondamentale ainsi que le texte entièrement rédigé d’une nouvelle Constitution. Dans les premiers jours qui suivirent son apparition, la requête recueillit des milliers de signatures.

Plus tard, le 1er mars 2013, la Conférence épiscopale catholique du Vietnam proposait au public sa propre contribution à la refonte de la Constitution. Ce texte, par un autre biais, allait aussi loin que le précédent dans la remise en cause de la suprématie du Parti et de son idéologie, montrant comment celles-ci enlevaient toute valeur au reste de la Constitution. Cette contribution fut accueillie avec enthousiasme dans les milieux catholiques ; elle fut lue et affichée dans les églises, discutée dans les sessions d’étude et largement diffusée.

En revanche, ces deux textes provoquèrent une gêne certaine chez les responsables politiques. Après avoir reçu officiellement la contribution des 72, la commission de l’Assemblée nationale fit savoir que la consultation populaire ne portait que sur le texte proposé par elle et que les autres propositions seraient intégrées à l’intérieur d’une synthèse générale qui serait présentée au vote des députés.

Lors de la récente session de l’Assemblée nationale, une nouvelle version censée tenir compte des opinions émises pendant la consultation, a été présentée aux députés le 17 mai 2013. C’est pour lui répondre que le groupe des 72 s’est remis à l’ouvrage et a mis en ligne sur le site Bauxite-Vietnam, un texte intitulé : « Protestation contre le projet de Constitution présentée à l’Assemblée nationale (13e session, séance du mercredi 5 juin)».

Le texte commence par rappeler les faits et souligne en particulier que le projet de refonte de la Constitution présenté par le groupe des 72 était entièrement différent de celui de la Constitution amendée publiée par l’Assemblée nationale en janvier 2013. Il note ensuite que, le 17 mai dernier, un nouveau texte, censé tenir compte des opinions émises pendant la campagne, a été présenté à l’Assemblée nationale. Les 72 signataires du projet de refonte, associés à certains députés, expliquent vouloir faire entendre leurs vives protestations contre ce nouveau texte.

Le contenu du nouveau projet est fortement critiqué. Selon les signataires, la population aspire à un changement du système politique afin qu’il lui permette d’assurer les libertés démocratiques, de donner un nouvel élan au développement et de garantir la protection du pays. Or, la seconde version du projet ne comporte pas de différences notables avec la première.

Au contraire, par certains de ces passages, elle marque un recul par rapport au premier document. Le projet, dans sa dernière version, continue d’accorder le monopole du pouvoir à un parti et à son idéologie, le marxisme léninisme. Cette doctrine a joué un rôle historique certain dans la lutte pour l’indépendance, mais les nombreuses erreurs qu’elle contient la rendent désormais peu fiable et, poursuivent les signataires, voilà plus de vingt ans qu’elle a été abandonnée par de nombreux pays.

Valider par la Constitution le rôle dirigeant du Parti communiste, c’est clairement affirmer le caractère antidémocratique de cette Constitution et priver de leur fondement toutes les affirmations concernant le pouvoir du peuple, les organisations élues par lui, ou encore les droits de l’homme. Cette argumentation qui, semble-t-il, est reprise à la contribution de la Conférence épiscopale est développée longuement dans la protestation du groupe des 72.

La conclusion de cette critique radicale du dernier projet de Constitution est sans ambiguïté. Ce projet va à l’encontre de l’orientation actuelle de la majorité des peuples. Il s’oppose au développement scientifique et aux progrès des peuples. Il est antidémocratique.

(1) La protestation été mise en ligne sur le site Bauxite-Vietnam, le 6 juin 2013.

(Source: Eglises d'Asie, 7 juin 2013)