Bénéficiant d’une tolérance certaine malgré l’absence d’autorisation officielle, le scoutisme a, au cours de ces vingt dernières années, élargi progressivement le champ de ses activités. On s’interroge sur l’étrange statut accordé par les autorités à ce mouvement, à la fois interdit dans les principes et autorisé dans les faits. Pourtant, il ne manque pas de raisons historiques susceptibles d’éclairer l’ambiguïté d’une telle situation.

Le scoutisme a fait son apparition au Vietnam dès les années 1930 (1). Et c’est en 1957 qu’il fut rattaché à l’association internationale des scouts. Cependant, à partir de 1954 au nord du Vietnam, et 1975 au sud, les activités du mouvement ont été interdites par les autorités communistes. Malgré cela, le mouvement s’est maintenu. Il subsiste et même se développe, aujourd’hui, dans les provinces du Sud où l’on peut voir dans certains lieux publics ses adhérents dans leur uniforme traditionnel. En dépit de cet état de choses, le scoutisme n’a jamais obtenu d’autorisation officielle du gouvernement.

De fait, au Vietnam, le scoutisme n’a jamais été vraiment lié à un régime ou un système politique. Dès le début, le terme choisi pour traduire l’appellation du mouvement « scout » a été « Huong Dao », à savoir « orientation sur la voie », une voie qui ne s’est jamais identifiée à une quelconque religion – ce qui a permis au mouvement d’avoir une influence considérable sur l’ensemble de la société. En témoigne les nombreuses personnalités issues de la première génération du scoutisme et qui s’en réclament au Nord comme au Sud. Elles appartiennent à tous les courants politiques et idéologiques, souvent radicalement différents. On les compte cependant plus nombreux du côté de ceux qui ont apporté leur soutien au régime de Hanoi.

Pendant la première guerre du Vietnam (1946-1954), une majorité des jeunes dirigeants du scoutisme vietnamien participa au mouvement de résistance contre la France et beaucoup y occupèrent des responsabilités importantes. On peut citer, entre autres, Ta Quang Buu (1910-1986), scientifique de haut niveau qui, en 1945, suivit Hô Chi Minh et son mouvement; il fut ministre de la Défense nationale de 1947 à 1948 et ministre des Universités et de l’Enseignement secondaire de 1965 à 1976, Trân Duy Hung (1912-1986), qui fut président du Comité administratif de la ville de Hanoi de 1945 à 1946 puis de 1954 à 1977, Luu Huu Phuoc (1921-1989), compositeur, qui fut ministre de la Communication et de la Culture du gouvernement de la République provisoire du Sud-Vietnam, Tôn That Tung (1912-1982), chirurgien renommé, héros du travail socialiste de la République démocratique du Vietnam, Pham Ngoc Thach (1909-1968), médecin, ministre de la Santé de la République démocratique du Vietnam, une première fois en 1945-1946 puis, une seconde fois, en 1959-1968 (2). Cette participation des scouts à la lutte pour l’indépendance fut telle qu’en 1946, Hô Chi Minh accepta même d’être nommé président d’honneur du mouvement au Vietnam.

Malgré ce passé, le scoutisme ne possède pas aujourd’hui de statut officiel, sans doute parce que, selon l’idéologie en vigueur, les Jeunesses communistes sont censées tenir le rôle de guide dans la formation de la jeunesse vietnamienne. A cela, il faut ajouter que les autorités sont largement ignorantes du fonctionnement du mouvement. Par suite, elles n’apportent aucun soutien au scoutisme.

Il n’existe cependant pas d’interdiction proclamée. En 2004, le secrétariat du Comité central du Parti communiste vietnamien a envoyé un texte officiel aux autorités régionales leur demandant d’empêcher que soit posée la question de la restauration du scoutisme. On reprochait aux scouts du Vietnam d’être en liaison avec des éléments réactionnaires, à savoir les dirigeants du scoutisme vietnamien de la diaspora, lesquels diffusaient des nouvelles négatives sur le régime.

Cependant, depuis 1990, grâce à l’enthousiasme et à l’énergie d’un certain nombre d’anciens chefs scouts, dans la partie du Vietnam allant de Huê jusqu’à l’extrême sud, les activités ont peu à peu été restaurées et ne rencontrent guère d’obstacles de la part des autorités locales. Les rassemblements ont d’abord eu lieu sans uniformes puis peu à peu on a vu réapparaître le costume traditionnel bien connu de tous. De nouveau, des activités en plein air ont été organisées. Les premiers camps n’ont duré que quelques jours. Ils se prolongent aujourd’hui plusieurs semaines. Déjà, à Saigon comme dans plusieurs provinces, le mouvement dispose d’un siège et de locaux. Cependant, les activités ont toujours besoin d’une autorisation du gouvernement, qui contrôle et suit de près les activités de ces jeunes gens (3).

(1) Pour plus de renseignements sur origine du scoutisme ou Vietnam et sur son évolution postérieure, on pourra consulter dans Eglises d’Asie les dépêches suivantes: ici, ici, ici et ici.

(2) Dans l’autre camp, se sont engagés d’autres membres de cette première génération du scoutisme vietnamien: Trân Van Tuyên (1913-1976), juriste, qui fut le vice-Premier ministre de la République du Vietnam du Sud et mourut en camp de rééducation en 1976, Pham Biêu Tâm (1912-1999), grand chirurgien qui s’exila au Sud après l’arrivée du pouvoir communiste à Hanoi en 1954 et continua son enseignement et l’exercice de sa profession après le changement de régime de 1975, à Saigon. A sa retraite, il gagna les Etats-Unis, où il mourut.

(3) Le présent article est largement inspiré d’une émission en vietnamien de Radio Free Asia, dont le script a été mis en ligne le 5 juin 2013.

Copyright Légende photo: Rassemblement de scouts et guides à Saigon

(Source: Eglises d'Asie, 5 juin 2013 )