Eglises d'Asie, 26 juin 2013 – Le pape François a récemment nommé deux évêques au Vietnam. L’un d’eux est Pierre Nguyên Van Viên, 48 ans, nouvel évêque auxiliaire de Vinh, diocèse du Centre-Vietnam riche d’environ un demi-million de catholiques. Dans une interview accordée à Radio Free Asia (RFA) (2), le futur évêque (qui n’a pas encore été consacré) dresse le portrait d’un diocèse qu’il connaît bien pour en avoir été jusqu’ici le vicaire général. Il en souligne les atouts mais aussi les points faibles sans jamais le séparer le contexte plus général, à savoir l’Eglise locale et universelle et la société particulière du pays. Il envisage aussi les moyens qui permettraient de dépasser certaines limites assignées aujourd’hui aux activités ecclésiales. L’interview est traduite du vietnamien par la rédaction d’Eglises d’Asie.

Mgr Pierre Nguyên Van Viên : Je vois un premier atout dans le fait que la terre de ce diocèse est tout imprégnée de la sueur et des larmes des missionnaires et spécialement du sang versé par les martyrs lors des diverses époques de persécution. C’est grâce à cela que les catholiques du diocèse de Vinh ont toujours eu conscience de leur rôle particulier dans l’Eglise.

Le deuxième point fort est celui-ci : près de 100 % des catholiques du diocèse pratiquent leur foi dans la prière, dans l’étude de la parole de Dieu, dans la participation aux divers sacrements, surtout l’eucharistie, et dans les différentes formes d’activités où les catholiques sont engagés sur le plan personnel comme sur le plan communautaire.

Je vois un troisième aout du diocèse dans une caractéristique que beaucoup considère comme une faille. La plupart des catholiques du diocèse sont des gens pauvres. Habituellement, les pauvres font davantage confiance au Seigneur que les autres parce qu’ils ont davantage besoin d’aide pour conduire leur vie.

Le quatrième atout du diocèse de Vinh, c’est l’abondance des vocations au célibat consacré, que ce soit dans la vie sacerdotale, religieuse ou encore dans les instituts séculiers. Il y a des paroisses qui comptent non pas des dizaines, mais des centaines de personnes gardant le célibat. Pour le concours d’entrée au grand séminaire de Vinh Thanh (séminaire commun de Vinh et de Thanh Hoa) qui aura lieu le 1er et le 2 août prochain, le nombre de candidats déjà inscrits est de plusieurs centaines, alors que les capacités de l’établissement ne lui permettent d’en accueillir que quelques dizaines.

Quant aux difficultés, la première d’entre elles concerne l’éducation des enfants dans un esprit chrétien. Elle est difficile car les enfants ne sont autorisés à étudier le catéchisme qu’à l’intérieur des églises et des paroisses et pendant un laps de temps très réduit. Ils ne peuvent le faire à l’intérieur de leurs écoles.

La participation des catholiques à la vie du diocèse et surtout à celle de la société civile est extrêmement limitée. Ainsi, les catholiques du diocèse de Vinh, formé de trois provinces administratives (Nghê An, Nghê Tinh et Quang Binh), constituent environ 10 % de la population totale. Or, il est extrêmement rare de les trouver aux postes de commandement de la société civile.

Une troisième difficulté réside dans le fait que les catholiques souffrent d’une extrême pénurie des moyens de communication sociale alors que leur besoin d’information est très grand.

Une quatrième difficulté est constituée par les besoins engendrés par le développement de nos paroisses et de leurs annexes. La superficie des terrains dont elles disposent pour s’agrandir est très limitée.

RFA : Comment sortir des difficultés énumérées ci-dessus ? Quels sont les moyens envisagés ?

Actuellement, peu de ces difficultés ont été surmontées. Mais en me plaçant du point de vue de la foi et de la réflexion, je ferais trois remarques. En premier lieu, il est évident que les fidèles du diocèse de Vinh, à cause de leur foi au Christ et à sa mission, découvrent avec confiance l’action de la Providence divine en chaque événement de leur vie. Ensuite, chacun pour son propre compte s’efforce de développer ses possibilités de lire les signes des temps et de fournir sa contribution personnelle en réponse à ces signes selon l’enseignement de Jésus. Ils sont aussi convaincus que ni le péché ni la haine, ni la souffrance ni échec, ni même la mort ne sont les derniers mots dans la perspective de l’éternité. Selon la foi chrétienne, le bonheur, l’amour, la concorde et la paix sont les véritables « derniers mots ». Tout ce que je viens de dire a une signification très profonde mais est très difficile à réaliser. (…)

L’Eglise est un corps composé de membres. L’Eglise au Vietnam est liée à l’Eglise universelle. Quelles sont donc les liens de réciprocité existant entre le diocèse de Vinh et les autres diocèses au Vietnam et ailleurs. En quoi ces liens aident-ils au développement du diocèse ?

Je suis très heureux de votre question car elle correspond à un thème qui m’habite et que je ne cesse d’approfondir. Du point de vue de l’ecclésiologie, les diocèses ne jouissent pas de l’indépendance. Ce ne sont pas non plus des réalités reliées ensemble comme dans les syndicats ou les autres organisations sociales. Au contraire, chaque diocèse est une Eglise locale avec toutes les caractéristiques de l’Eglise fondée par Jésus-Christ. En utilisant le vocabulaire de saint Ignace d’Antioche au début du deuxième siècle, on peut dire : « Là où est le Christ Jésus, là est l’Eglise catholique. » Ou encore, avec les mots du cardinal Henri de Lubac, l’un des inspirateurs du concile Vatican II : « L’eucharistie fait l’Eglise et l’Eglise fait l’eucharistie. »

Si l’on donne ce sens au mot ‘diocèse’, il me semble que les diocèses de l’Eglise au Vietnam remplissent correctement leur rôle. Mais une question reste posée : « Ont-ils rempli pleinement ce rôle ? » Je pense qu’il faut répondre : « Pas encore ! » Dans le domaine de la foi, les différents diocèses sont certes étroitement unis entre eux. Mais, dans celui de l’expression de la foi, il est encore rare que les diocèses fassent entendre une voix commune sur les problèmes de la société civile. Je pense que l’Eglise au Vietnam, pour faire connaître correctement et entièrement sa vie authentique et sa mission, a besoin que la voix commune de ses diocèses se prononce plus fréquemment sur les problèmes de société. L’Eglise catholique ne peut pas vivre en marge de la société ; elle est le levain, le sel, la lumière qui, progressivement, la rendra meilleure pour que tous vivent en conformité avec les droits et la dignité de la personne humaine.

Je constate que la plus grande difficulté rencontrée par chaque diocèse est l’extrême limitation des moyens de communication et d’information. L’Eglise au Vietnam ne dispose d’aucun programme radio. Elle ne contrôle aucun journal et aucune véritable maison d’édition. Nous vivons à une époque où l’information se développe puissamment. Pourtant, la majeure partie des catholiques vietnamiens n’en bénéficient pas comme il serait normal qu’ils en bénéficient. Ils ont conscience que les membres du peuple de Dieu sont limités dans leur expression et que leur activité au service de l’annonce de la parole de Dieu rencontre de nombreuses difficultés.

(Source: Eglises d'Asie, 26 juin 2013)