Le cardinal Malcolm Ranjith, archevêque catholique de Colombo, s’inquiétant de la confusion qui pourrait être faite entre les catholiques et les protestants évangéliques aux méthodes d’évangélisation plus controversées, a demandé au gouvernement sri-lankais de former un comité interreligieux afin de surveiller les activités des Eglises évangéliques et d’« éviter [ainsi] des conflits potentiels entre bouddhistes et chrétiens »...

... Comme dans de nombreux pays d’Asie, les Eglises évangéliques sont aujourd’hui en pleine expansion au Sri Lanka. Organisant de grands rassemblements de prière et des séances de guérison collective réunissant des milliers de personnes, elles se livrent également, selon le diocèse de Colombo, à un prosélytisme intensif. Partant du constat de l’augmentation des attaques d’églises ainsi que des accusations de conversions forcées dont les chrétiens doivent se défendre de façon récurrente, le cardinal a souligné le fait que les bouddhistes, majoritaires au Sri Lanka, « ne faisaient pas de distinction entre les différentes branches du christianisme ». De cet amalgame qui selon lui est la cause de l’augmentation des violences antichrétiennes sur l’île, Mgr Ranjith ne veut plus. Pour ce faire, il demande au gouvernement de mettre sur pied une commission ad hoc.

« Certaines Eglises évangéliques soudoient financièrement des bouddhistes ou des catholiques pour qu’ils se convertissent », a accusé Mgr Ranjith lors d’une réunion à l’archevêché le 8 novembre dernier à laquelle étaient conviés des hommes politiques, des responsables religieux et des journalistes. « [La création] d’un comité interreligieux pourrait permettre de prévenir des conflits prévisibles [en] surveillant les activités de ces Eglises évangéliques et en décidant si elles peuvent être poursuivies ou encore si elles peuvent construire des lieux de culte », a préconisé le cardinal.

Le Vénérable Kamburugamuwe Wajira Thero, chancelier de l’Université de Sabaragamuwa, a déploré de son côté les nombreuses conversions de bouddhistes au christianisme menées au sein de ces nouvelles Eglises. Déclarant partager le point de vue du cardinal, il a ajouté que « le pays avait besoin d’une institution de ce type ».

Face à ces accusations de prosélytisme, le Rév. Rohan de Silva Ekanayake, secrétaire général de la National Christian Fellowship of Sri Lanka (un regroupement d’Eglises évangéliques) et pasteur de la Margaya Fellowship Church, a tenu à rappeler que chaque chrétien avait pour mission de répandre la Bonne Nouvelle, mais a démenti formellement l’usage de pots-de-vin pour obtenir des conversions. « Nous ne parlons pas de religion lorsque nous aidons quelqu’un dans le besoin. Nos pasteurs n’offrent jamais d’argent à qui que ce soit pour l’amener à l’église », a-t-il affirmé.

La querelle entre l’archidiocèse de Colombo et les évangéliques, désignés sous le terme de « fondamentalistes » par les catholiques sri-lankais, n’est pas récente. Elle remonte à la fin des années 1980, époque où les nouvelles Eglises protestantes, et en particulier les évangéliques, ont commencé leur essor, transformant rapidement le paysage religieux de l’île et la perception du christianisme, pourtant d’implantation ancienne (1).

Leur reprochant leurs techniques d’évangélisation « à l’occidentale » comme la pratique du porte-à-porte la Bible à la main, certains catholiques craignent aujourd’hui que l’engouement que suscitent ces nouvelles Eglises ne touche également leur propre communauté.

En octobre dernier, le cardinal avait invité ses fidèles à la méfiance vis-à-vis des groupes évangéliques. « Il existe une forte opposition aux sectes chrétiennes fondamentalistes dans notre pays, et nous avons du mal à expliquer que les catholiques sont bien différents de ces sectes. Pourtant, les soi-disant « offices de louange » semblent ressembler davantage à ces exercices religieux fon¬damentalistes qu’à ceux de l’Eglise catholique », avait-il notamment déclaré.

Cette mise en garde, son prédécesseur Mgr Oswald Gomis, l’avait déjà faite quelques années auparavant, comme l’attestent des tracts distribués en 2007 dans les églises du diocèse de Colombo enjoignant les catholiques à ne pas frayer avec les « fondamentalistes » chrétiens. « N’entrez pas dans leurs églises, ne prenez pas part à leurs activités, évitez d’accepter de l’aide ou des présents de leur part », spécifiaient les documents qui visaient l’ensemble des dénominations protestantes d’implantation récente, qu’il s’agisse de l’Eglise apostolique, des Témoins de Jéhovah ou encore des Assemblées de Dieu.

En février 2009, la force du mouvement évangélique avait été particulièrement visible lors de la grande manifestation contre le projet de loi anti-conversion alors débattu au Parlement, qui avait réuni plusieurs milliers d’entre eux au Vihara Maha Devi Park, à Colombo (2). A la suite des évêques catholiques, les leaders des différentes dénominations évangéliques avaient demandé au gouvernement de créer une commission interreligieuse afin de représenter les chrétiens du Sri Lanka et de contrer l’hégémonie du Jathika Hela Urumaya (JHU), parti bouddhiste nationaliste, à l’origine du projet de loi (3).

Ce dernier prévoyait une peine de sept ans de prison et des amendes pouvant aller jusqu’à 500 000 roupies (3 400 euros) sanctionnant le fait d’offrir un cadeau, une somme d’argent ou un don quelconque « en vue de convertir ou tenter de convertir une personne d’une autre religion ». Le flou entourant la définition de la « conversion non éthique », terme retenu par les rédacteurs du projet de loi, avait particulièrement alarmé les chrétiens. Comme l’avaient souligné les évêques catholiques du Sri Lanka dans leur déclaration lors de la première présentation du projet en 2004, de simples actes de charité ou de solidarité pouvaient alors être compris comme des actes de prosélytisme passible de poursuites judiciaires.

L’opposition massive des chrétiens (catholiques, anglicans, évangéliques et autres obédiences confondues) avait finalement eu raison du projet de loi qui avait été rejeté par une commission parlementaire spéciale. Malgré l’opposition du JHU, la commission avait conclu à l’incompatibilité d’une loi anti-conversion avec la Constitution, laquelle reconnaît la liberté religieuse.

La création d’un comité interreligieux nommé par le gouvernement sri-lankais et sanctionnant les activités de certaines Eglises chrétiennes pourrait remettre à l’ordre du jour la question d’une loi anti-conversion, font valoir des observateurs locaux.

(1) L’introduction de la religion chrétienne au Sri Lanka serait bien antérieure à l’arrivée des colons catholiques portugais au XVIème siècle puis à celle des protestants hollandais au XVIIème siècle. Selon les dernières études archéologiques, des chrétiens nestoriens venus d’Iran et des chrétiens de Saint Thomas venus de l’Inde, auraient introduit dans l’île la foi chrétienne vers le Vème siècle, voire selon certains historiens, au Ier siècle. Aujourd’hui, au sein d’une population bouddhiste à 70 %, les chrétiens, essentiellement catholiques, représentent près de 8 % de la population. Voir EDA 377 (Dossier) et EDA 381.
(2) Voir EDA 501 : http://eglasie.mepasie.org/asie-du-sud/sri-lanka/plusieurs-milliers-de-chretiens-evangeliques-ont
(3) Le Jathika Hela Urumaya (JHU, Parti de l’héritage national) est étroitement lié au pouvoir en place et majoritaire au Parlement. A l’origine du projet de loi anti-conversion, lequel visait essentiellement les chrétiens, il a tenté plusieurs fois depuis 2004 de le faire voter par l’Assemblée, sous des formes différentes.
(4) Voir EDA 503 : http://eglasie.mepasie.org/asie-du-sud/sri-lanka/face-a-lopposition-des-chretiens-le-parlement

(Source: Eglises d'Asie, 10 novembre 2011)