Le 5 avril dernier, Mgr Jose Colin Bagaforo, évêque auxiliaire de l’archidiocèse de Cotabato, a appelé le gouvernement à une résolution immédiate des conflits armés dans la province de Maguindanao, située dans la Région autonome musulmane de Mindanao (ARMM). Au moins onze personnes ont été tuées dimanche 3 avril, lors d’un affrontement entre des membres du Front moro de libération islamique (MILF) (1)...

... et les milices du gouverneur de Maguindanao, Esmael « Toto » Mangudadatu. Le mouvement indépendantiste a déclaré avoir voulu défendre les habitants contre l’armée privée du gouverneur qui se livrait au pillage (2). L’armée fédérale a été déployée dans la région, et près de 200 familles ont été évacuées dans des camps du gouvernement.

Depuis plus de quarante ans, cette région du sud philippin, où se trouve une grande partie de la minorité musulmane de l’archipel, vit dans un climat de guerre civile permanent, entrecoupé de cessez-le-feu éphémères suivis de massacres interreligieux et de règlements de comptes entre clans rivaux. Outre les groupes armés se réclamant du MILF, l’armée philippine y combat le groupuscule Abu Sayyaf, proche d’Al-Qaeda, la Nouvelle armée du peuple (communiste) ainsi que divers groupes évoluant à la lisière du terrorisme et du grand banditisme. Des armées privées commanditées par les clans puissants de l’île multiplient parallèlement les vendettas, renforçant l’insécurité à Mindanao, en particulier dans l’enclave de l’ARMM.

« Nous invitons les autorités de Maguindanao à envisager toutes les solutions pour éviter l’escalade de la violence », a demandé Mgr Bagaforo, soulignant que le processus de paix qui était à nouveau en bonne voie risquait une nouvelle fois d’être rompu, déjà fragilisé par le contexte du procès en cours des responsables du massacre de Maguindanao (3) et des prochaines élections dans la région autonome musulmane.

Le 14 mars dernier, Teresita Quintos-Deles affirmait pourtant que « le processus de paix n’avait jamais connu d’avancées aussi importantes » depuis qu’il avait été relancé officiellement en 2009. La responsable auprès du gouvernement du processus de paix avait déclaré qu’un calendrier avait été fixé, échelonnant sur dix-huit mois les échanges entre les parties afin de réaliser les ajustements juridiques et constitutionnels nécessaires, le désarmement des troupes rebelles étant envisagé pour l’été 2012.

Une grande étape semblait également avoir été franchie le 30 mars dernier, lors d’une rencontre à Davao City entre les chefs rebelles moro et les évêques catholiques qualifiée d’« historique » par Mgr Orlando Quevedo, archevêque de Cotabato et président de la Conférence des évêques et des oulémas (BUC) (4). Les leaders du MILF mènent, depuis le 6 mars, une série de consultations des différentes parties impliquées dans le processus de paix afin d’« expliquer la question de l’identité moro » et de les convaincre de les soutenir dans leur projet d’un Etat islamique à Mindanao.

Cette rencontre au sommet avait été organisée par le Mindanao Peoples Caucus (MPC), un rassemblement de différents mouvements aborigènes, chrétiens, bangsamoro (moro) et musulmans, en faveur de la paix. Créé en 2001 et travaillant en étroite collaboration avec la Conférence des évêques et des oulémas, ce réseau a déjà participé de façon active à plusieurs cessez-le-feu et à l’organisation de pourparlers entre les parties.

Aux évêques de Mindanao qui l’interrogeaient sur l’épineuse question du « domaine ancestral », principale pierre d’achoppement entre Manille et le MILF (5), Mohagner Iqbal Mohagner Iqbal, chargé des négociations de paix pour le MILF, a répondu que les institutions de l’Eglise catholique seraient respectées et qu’aucune terre appartenant aux chrétiens ne serait confisquée si les négociations de paix avec le gouvernement aboutissaient.

Lorsque la Cour suprême avait rejeté en août 2008 le Memorandum of Agreement on Ancestral Domain (MOA), projet qui devait donner naissance à un Etat islamique bangsamoro, des chrétiens avaient été tués, des maisons brûlées et des biens saisis par des groupes du MILF. « Ne craignez pas pour vos diocèses, nos revendications ne concernent pas les propriétés et les institutions d’Eglise », a assuré encore Datu Michael Mastura, ancien député et actuellement membre du comité de négociation pour la paix du MILF, à Mgr Orlando dont le diocèse avait particulièrement souffert des violences de 2008 et qui relayait l’inquiétude de ses fidèles.

Mgr Fernando Capalla, archevêque de Davao, a quant à lui interrogé les représentants du MILF sur l’organisation des pouvoirs exécutif, judiciaire et administratif au sein du futur Etat Bangsamoro, notamment sur l’éventuelle application de la charia, sur la liberté de culte, d’association et de religion. Il a également demandé des éclaircissements au sujet de la proposition du MILF d’ériger un « mémorial aux victimes de la violence », soulignant que les victimes appartenaient aux deux communautés. Mohagner Iqbal a répondu qu’il fallait comprendre ce mémorial comme un symbole de « réconciliation post-conflit » dans le cadre d’un processus de guérison pour des peuples qui avaient longtemps souffert.

A l’issue de ces échanges, Mgr Orlando Quevedo a tenu à préciser : « Ill s’agissait d’une « consultation », et non d’accepter ou de refuser des dispositions particulières. Nous étions là, évêques, avant tout pour écouter et faire des observations. »

(1) Le MILF (Front moro de libération islamique) a repris le flambeau de la lutte pour l’autonomie des populations musulmanes de Mindanao, après la paix signée en 1996 entre Manille et le MNLF (Front moro de libération nationale). La guerre civile, commencée dans les années 1960, entre les rebelles moro et l’armée philippine aurait plus 160 000 morts. Voir EDA 409, 490, 491, 501 (‘Pour approfondir’ : « Mindanao : la paix insaisissable »), 511, 518, 519, 520, 521, 527, 534, 535

(2) La province de Maguindanao est l’une des plus affectées par le phénomène des armées privées (on en dénombrerait 132 dans le pays), dépendant de personnalités politiques locales, officiellement afin de défendre la population contre les groupes terroristes de la région. Le massacre de Maguindanao en novembre 2009 a relancé la polémique sur l’impunité des clans qui entretiennent ces milices, souvent protégés par le gouvernement, à l’époque, la présidente Gloria Arroyo.

(3) Le 23 novembre 2009, 57 personnes, dont plusieurs femmes et de nombreux journalistes, étaient massacrées dans une embuscade tendue par une centaine d’hommes armés, à la solde de la puissante famille Ampatuan, alliée de la présidente Arroyo, dont l’un des membres était gouverneur de la Région autonome musulmane de Mindanao. Les victimes appartenaient au clan rival et venaient déposer la candidature de Datu Ismail Mangudadatu au poste de gouverneur de la province de Maguindanao. Le principal inculpé Andal Ampatuan Jr. est actuellement jugé pour meurtre ainsi qu’une centaine d’autres personnes.

(4) La Conférence des évêques et des oulémas est l’héritière du Forum des évêques et des oulémas, créé en 1996 pour instaurer un dialogue islamo-chrétien à Mindanao. La Conférence, qui mène ses activités en coordination avec Manille, organise régulièrement des consultations (Konsult Mindanaw) avec les communautés locales. Aujourd’hui, elle réunit 24 évêques catholiques, 18 pasteurs et évêques protestants et 26 responsables religieux musulmans. Voir EDA 405 (‘Dossiers et documents’ : « Une expérience de dialogue islamo-chrétien aux Philippines : la Conférence des évêques et des oulémas » par le P. Michel de Gigord, MEP), 505, 525

(5) Le « domaine ancestral » désigne le territoire qui serait concédé à la Région autonome musulmane de Mindanao créée en 1990, une fois élargie aux communautés qui la rejoindraient afin de créer l’« Entité juridique Bangsamoro » (BJE). En 2003, une trêve des combats avait été signée entre Manille et le MILF, le gouvernement philippin ayant reconnu au MILF « le droit à l’autodétermination » dans le sud-ouest de l’île de Mindanao. Manille avait accepté un préaccord fixant les modalités de la future Région autonome musulmane, le « Memorandum of Agreement on Ancestral Domain » (MOA-AD), texte qui n’a finalement jamais été signé, la Cour suprême ayant décrété qu’il était inconstitutionnel le 5 août 2008. Une décision qui avait déclenché une vague de violence contre les chrétiens et l’exode de plus de 600 000 personnes.

(Source: Eglises d'Asie, 6 avril 2011)