NDT: Dans cette interview accordée à Thomas Fox, rédacteur en chef du National Catholic Reporter, le cardinal archevêque de Saigon répond à dix questions posées par le journaliste américain. Les thèmes abordés sont les plus divers. Cependant, le tableau de la communauté catholique de l’archidiocèse (toujours nommé Saigon et non plus Hô Chi Minh-Ville) occupe la plus grande place. Le cardinal souligne la croissance remarquable des effectifs du diocèse au cours des années récentes mais il n’évite pas certaines questions « sensibles » touchant l’ensemble de l’Eglise du Vietnam, comme celle du veto gouvernemental aux nominations d’évêques, d’une certaine désunion entre la hiérarchie du Nord et du Sud du Vietnam ainsi que des rapports entre l’Eglise et l’Etat. La traduction de la version vietnamienne de l’interview est de la rédaction d’Eglises d’Asie (1).

1.) J’ai entendu dire que votre archidiocèse était l’un de ceux dont la croissance a été la plus rapide au Vietnam ? Quelles en sont les raisons ?

(A une première question du journaliste concernant les effectifs, le cardinal répond en présentant un tableau des statistiques comparées de l’archidiocèse en 1998 et en 2009, où l’on constate que le nombre des paroisses est passé de 191 à 200, celui des fidèles de 524 281 à 662 148, des prêtres diocésains de 244 à 318, des prêtres religieux de 169 à 327, des religieux et des religieuses passait de 2 655 à 4 754.)Les raisons de la croissance du diocèse sont les suivantes: le nombre des naissances a tout simplement été plus élevé que celui des décès; chaque année, de 5 000 à 7 000 adultes reçoivent le baptême; de nombreux catholiques migrants viennent s’installer dans la ville (…). Il y a cependant des raisons plus fondamentales. Le Seigneur dispense de nombreuses semences de chrétiens sur une terre défrichée par les pionniers de l’évangélisation, arrosée et fécondée par le sang versé par les témoins de la foi. En outre, l’esprit religieux, la vie de prière, la charité, l’esprit de sacrifice et de généreuse disponibilité de nombreuses familles catholiques et des diverses communautés de fidèles ont permis à ces semences de croître et de porter du fruit.

2.) En tant que responsable de cet archidiocèse, que considérez-vous comme étant votre plus grand défi ?

Les familles du diocèse, dont la foi s’appuie sur une antique tradition devenue leur cadre de vie aujourd’hui, doivent maintenant répondre à l’appel lancé par la « Grande assemblée du peuple de Dieu » de l’Année Sainte 2010, qui les invite au renouvellement et à l’élargissement de la communion dans l’Eglise du Christ de façon à ce que le peuple de Dieu au Vietnam s’intègre à la vie sociale pour y annoncer la bonne nouvelle de l’amour dans le cadre de la mondialisation actuelle.

3.) Les prêtres doivent-ils toujours être approuvés par le gouvernement pour être ordonnés ?

Depuis 2007, je n’ai plus à demander la permission d’accueillir de nouveaux candidats au sacerdoce ni de déplacer mes prêtres dans l’archidiocèse. Autrefois, le séminaire avait le droit de recruter vingt nouveaux étudiants tous les deux ans. Aujourd’hui, vingt nouveaux candidats entrent au séminaire chaque année. Actuellement, pour la ville de Saigon, près de 300 jeunes gens sont inscrits sur la liste d’attente, espérant être acceptés un jour au grand séminaire. Pour les années à venir, le nombre de jeunes gens se préparant au sacerdoce est de 140 pour Saigon et 240 pour les diocèses de Phu Cuong et My Tho. Au total, 280 séminaristes suivent une formation commune au grand séminaire de Saigon. Pour les douze années passées, le nombre moyen des nouveaux prêtres a été de dix. Dans quatre ans, nous espérons que ce chiffre s’élèvera à vingt.

4.) Combien de religieuses ont-elles pu prononcer leurs vœux ? Leur nombre a-t-il été limité par les autorités ?

Voilà aussi quatre ans que les religieux et religieuses n’ont plus à demander l’autorisation pour accueillir de nouveaux membres. Au cours des douze années écoulées, le nombre de religieux prêtres s’est élevé de 169 à 327. Le nombre de religieux et de religieux est passé de 2 655 à 4 754, ceci sans parler des jeunes qui sont entrés dans les quelque cinquante communautés religieuses vietnamiennes présentes à l’étranger.

5.) J’ai entendu dire que cette forte croissance avait engendré d’autres problèmes, comme celui de la formation. Qu’en est-il ?

Actuellement dans l’archidiocèse, dix institutions sont chargées de la formation des religieux et des religieuses. D’une façon générale, le monde des religieux comme d’ailleurs celui des prêtres et des laïcs a tout d’abord besoin de se défaire d’une mentalité d’auto-défense, de lutte pour la survie. Ensuite seulement, ils pourront avancer ensemble à la suite du Christ sur le chemin de l’incarnation et de l’engagement, au service de l’Evangile et de la vie humaine, dans l’amour et l’offrande de soi pour une vie nouvelle et l’unité de la famille humaine dans l’univers mondialisé qui est le nôtre aujourd’hui.

6.) On dit également que le taux d’avortement est extrêmement élevé au Vietnam. Que peut faire l’Eglise face à ce fléau ?

Selon les informations publiées dans les médias, chaque année, il y a plus de deux millions d’avortements au Vietnam. Un tel fléau va à l’encontre de la tradition morale et culturelle de notre peuple. Où cela nous mènera-t-il ? Dix après que j’ai soulevé cette question, les autorités gouvernementales en sont venues à se préoccuper du problème et ont publiquement mis en garde contre lui. Parallèlement, de nombreuses organisations catholiques comme non catholiques ont cherché, par différents moyens, comment aider les femmes à ne pas recourir à l’avortement. Mais aujourd’hui, un autre phénomène désastreux est apparu: de plus en plus de nouveau-nés sont abandonnés. Il existe des organisations religieuses et profanes qui tentent de remédier aux conséquences destructrices d’une « culture de mort ». Mais il n’y a pas encore de mobilisation de l’ensemble de la société pour inculquer aux générations d’aujourd’hui et de demain une attitude conforme à « la civilisation de la vie et de l’amour ». Après la grande assemblée du peuple de Dieu de l’année 2010, j’ai adressé une lettre ouverte appelant chaque fidèle à se pencher sur ce problème afin que s’ouvre un horizon plus lumineux aux jeunes d’aujourd’hui.

7.) Comment se déroule le processus de nomination des évêques ?

D’habitude, les évêques établissent une liste de candidats envoyée au Vatican. Le Vatican fait son choix et soumet le nom du candidat à l’Etat. Ensuite, le Saint-Siège fait connaître la nomination. D’une façon générale, dans de très nombreux cas, cela se passe sans anicroche. Dans quelques cas, il y a difficulté. Mais le Vatican la surmonte…

8.) Vous avez déclaré que la formation des laïcs était primordiale. Comment cela se passe-t-il aujourd’hui ?

Pendant trente ans après 1975, les laïcs n’ont pas eu l’occasion d’élargir et d’élever le niveau de leurs connaissances en matière de foi et de pastorale. Le centre pastoral ainsi qu’un institut de pastorale ont vu le jour dans le diocèse en 2004 afin de répondre aux besoins particuliers des membres des organisations pastorales laïques, à savoir les 5 000 membres des conseils paroissiaux, les 5 000 catéchistes, les très nombreux membres des 900 chorales appartenant aux 200 paroisses du diocèse et des 25 associations apostoliques diocésaines. Chaque année, plus de 6 000 personnes participent dans le centre pastoral à diverses sessions et à des classes de formation. Elles y développent leurs capacités qu’elles pourront utiliser à l’édification de l’Eglise et au renouvellement de la vie religieuse. En outre, quinze associations pastorales diocésaines se sont spécialisées dans le domaine de l’enfance, la jeunesse, les familles, les migrants, l’instruction religieuse, les vocations, la liturgie, la musique sacrée, la mission Caritas, la tradition culturelle catholique, l’éducation catholique, le dialogue interreligieux, le comité ‘Justice et Paix’.

9.) Comment définiriez-vous les relations entre l’Eglise et l’Etat ? Ont-elles évolué ? Y a-t-il une différence à ce sujet entre le Nord et le Sud du Vietnam ?

Lors des deux dernières visites ad limina des évêques à Rome, deux papes, Jean Paul II et Benoît XVI, leur ont rappelé que l’Eglise devait se tenir avec fermeté sur le chemin du dialogue et de la collaboration avec toutes les composantes de la société – y comprise avec l’Etat – pour le service de l’Evangile, de la vie humaine et du développement durable du pays. Les circonstances culturelles, historiques, économiques et politiques ayant été différentes au Nord et au Sud du pays, il existe entre les deux régions une différence qui touche à la façon de penser et aux comportements. Nous espérons que, grâce au renforcement de la communion au sein de l’Eglise, ces différences s’estomperont peu à peu.

10.) Y a-t-il une réelle possibilité que le pape se rende au Vietnam d’ici deux ou trois ans ?

J’ai exprimé cet espoir au moins deux fois. La première fois, j’ai dit au pape Jean Paul II que le peuple du Vietnam serait très heureux d’accueillir le souverain pontife dans son pays. Celui-ci m’a demandé quelle était l’opinion des communistes et de la Chine à ce sujet. La deuxième fois, j’ai dit au pape Benoît XVI que sa visite au Vietnam apporterait un surcroît de stabilité et d’espérance à de nombreux peuples de l’Asie du Sud-Est, comme cela a avait été le cas pour le Moyen-Orient. Il a levé ses deux bras au ciel et m’a invité à prier afin de connaître le dessein de la Providence. Je n’ai pas compris s’il faisait allusion à sa santé ou à la situation mondiale actuelle… Peut-être aux deux ?

(1) La version vietnamienne de cette interview a paru, le 18 février 2011, sur le site de la Conférence épiscopale du Vietnam ainsi que sur celui de l’archidiocèse de Saigon, la version en anglais de l’interview étant publiée sur le site du National Catholic Reporter le 19 février.

(Source: Eglises d'Asie, 21 février 2011)