A l’occasion de leur rencontre annuelle, les évêques catholiques japonais et sud-coréens ont réfléchi ensemble aux moyens d’enrayer l’accroissement alarmant du taux de suicide dans leurs deux pays.
Le XVIème rassemblement des évêques du Japon et de Corée du Sud s’est tenu à Cheongju, en Corée du Sud, du 16 au 18 novembre derniers, en présence de 19 prélats coréens et de 13 évêques japonais. Présidaient conjointement ce rendez-vous annuel, Mgr Peter Kang U-il, évêque de Cheju et président de la Conférence des évêques catholiques de Corée du Sud (CBCK) et Mgr Leo Ikenaga Jun, archevêque d’Osaka et président de la Conférence épiscopale du Japon (1).

« Ces cinquante dernières années, la Corée du Sud a réalisé un développement économique remarquable. Mais paradoxalement, ce succès a été à l’origine d’un accroissement considérable du nombre des suicides », explique Michael Hong Kang-eui, de l’Association coréenne pour la prévention du suicide.

Les bouleversements économiques consécutifs à la crise financière des années 1997-1998 ont fait basculer dans la précarité toute une frange de la société; ce sont les « nouveaux pauvres », qui représenteraient aujourd’hui deux Coréens sur dix. Selon Hong Kang-eui, les principales causes de l’augmentation des suicides sont à chercher dans l’isolement que provoque la précarité – lequel est renforcé par le matérialisme ambiant – mais aussi dans un ensemble de facteurs propres à la société coréenne, dont le stress dû à une compétition sociale menée dès l’enfance ou encore le manque d’infrastructure familiale forte, avec des foyers brisés et des enfants surprotégés par leurs parents.

En Corée du Sud, si le nombre total de morts par suicide est inférieur à celui du Japon (15 413 décès contre plus de 30 000 pour son voisin insulaire), le pays se retrouve en tête de classement, si l’on considère la proportion des suicides pour l’ensemble de sa population. Avec un ratio de 31 pour 100 000, le pays détient le record du taux de suicide des pays membres de l’OCDE, suivi de près par le Japon (2).

Une tendance qui ne fait que s’accentuer. En 2006, l’Eglise de Corée du Sud s’alarmait des chiffres de l’année 2004, qui le désignait déjà comme le pays développé comptant le nombre de suicides le plus élevé, avec un taux de 24,2 pour 100 000 (3). A plusieurs reprises, la Conférence des évêques sud-coréens a souligné la gravité de la situation d’une société qui cumule le taux de natalité le plus faible au monde avec l’un des taux les plus élevés de suicide et d’avortement (4). « Une culture de mort » contre laquelle les chrétiens doivent s’élever fortement, rappelle-t-elle, et ce d’autant plus que les Eglises chrétiennes jouissent d’une influence et d’une crédibilité non négligeable, représentant toutes tendances confondues, plus de 30 % de la population.

Même constat du côté de l’Eglise du Japon, qui, par la bouche de Mgr James Koda Kazuo, évêque auxiliaire de Tokyo et vice-président de Caritas-Japon, s’est exprimée à la conférence de Cheongju: « L’Eglise devrait être le lieu où ces personnes pourrait exprimer leurs angoisses et leurs souffrances. Nous devons prêter une oreille attentive à leur appel. »

Comme leurs confrères sud-coréens, les prélats japonais estiment que le taux élevé des suicides a pour origine principale l’effondrement de la communauté traditionnelle qui soutenait auparavant les individus. Difficultés économiques, chômage et endettement sont autant de facteurs de fragilisation, qui peuvent, à terme, conduire à envisager le suicide. Pour remédier à ce manque de soutien de la société, des groupes de chrétiens tentent d’offrir une alternative aux personnes isolées. Parmi eux, le FIND (Inochi No Denwa - ‘le téléphone pour la vie’), un service d’assistance téléphonique bénévole, ou encore le site du Rév. Saito qui s’adresse aux adolescents, de plus en plus nombreux à être tentés par un « pacte suicidaire », préparé collectivement sur Internet. Selon le pasteur méthodiste, cette vague de suicides collectifs est à mettre en relation directe avec le hikikomori (‘repli sur soi’), un phénomène psychologique bien connu au Japon, qui pousse à s’enfermer chez soi, sans avoir aucune relation avec l’extérieur ni sortir, pendant des mois, voire des années (5). Par son site, qui rencontre un grand succès, il cherche à offrir aux jeunes « un lieu où trouver l’espérance à travers une communication interpersonnelle ».

Le principe d’une assemblée annuelle entre les évêques catholiques de Corée et du Japon a été lancé en 1995, dans une démarche de réconciliation entre ces deux nations qui partagent une histoire contemporaine encore marquée par les blessures de la colonisation et de la guerre. La prochaine réunion se tiendra au Japon en 2011.

(1) Ucanews, 17 novembre 2010.
(2) Au sujet de l’augmentation du nombre des suicides pour la Corée du Sud, voir EDA 453, 460. Pour le Japon, voir EDA 382, EDA 444, Supplément EDA 1/2008
(3) A titre de comparaison, l’étude de 2006 évaluait le taux de suicide au Japon à 20,3 pour 100 000, en Finlande à 18,4 et en Autriche à 14,5. D’après le Bureau national des statistiques, 12 047 Coréens se sont suicidés en 2005 (soit trois suicides par jour). Parmi eux, 4 844 étaient des chômeurs, des employés de maison ou des étudiants, 1 016 des employés de commerce ou des ouvriers sans qualification, 671 des agriculteurs ou des pêcheurs et 597 des employés de bureau. En 1995, on ne comptait « que » 4 840 suicides.
(4) Le Bureau national des statistiques coréen a indiqué qu’en 2005 le taux de natalité a été de 10,8 ‰, soit le plus bas au monde. Enfin, selon l’Eglise catholique, le nombre des avortements dans le pays s’élève chaque année à près de 1,5 million. Voir EDA 460
(5) Ces dernières années au Japon, les « pactes suicidaires », surtout entre jeunes, se sont multipliés sur Internet, démontrant la défaillance du lien social, lequel n’est activé que pour « mourir ensemble » avec des inconnus.


(Source: Eglises d'Asie, 18 novembre 2010)