« La loi s’applique à tous, que vous soyez ministre, simple citoyen, pasteur ou imam. » Ces mots sont ceux du ministre de la Justice et de l’Intérieur, K. Shanmugam, suite aux différents démêlés avec la justice impliquant récemment, d’une part, les responsables de la City Harvest Church, une importante Eglise évangélique, et, d’autre part, un iman étranger.

Peines de prison réduites pour les responsables de l’Eglise évangélique

Condamnés en novembre 2015 à des peines allant de 21 mois à huit ans de prison pour abus de confiance et falsification de comptes, les six accusés dans le procès de la City Harvest Church avaient fait appel auprès de la Haute Cour de justice. Le verdict est tombé le 7 avril dernier : le tribunal a confirmé le verdict de culpabilité des accusés, mais a significativement réduit leurs peines, prenant en compte notamment le fait qu’il n’y avait pas eu d’enrichissement personnel par les six accusés qui ont agi dans ce qu’ils considéraient être l’intérêt supérieur de leur Eglise. Le principal accusé, le Rév. Kong Hee, fondateur de cette importante Eglise évangélique de Singapour, a vu sa peine passer de huit ans à trois ans et demi de prison ferme. Pour rappel, lui et ses collaborateurs avaient détourné une somme de 50 millions de SGD (dollars de Singapour), soit 32 millions d’euros, afin de financer la carrière musicale de Ho Yeow Sun, chanteuse pop et épouse du Rév. Kong Hee.

La City Harvest Church a publié une déclaration sur son site Web en se disant « profondément attristée par cette décision (de condamnation) », mais « remerciant Dieu pour les réductions de peines ». Le Rév. Kong Hee a déclaré sur les réseaux sociaux qu’il était reconnaissant que sa peine ait été réduite, même si « les termes du jugement retenus ne sont pas ceux que j’avais espérés ». Le procès criminel le plus coûteux de l’histoire de Singapour aurait dû s’arrêter ici. Mais le procureur général en a décidé autrement : la semaine dernière, l’affaire a été renvoyée devant la Cour d’appel dans le but de maintenir ou d’alourdir la condamnation initiale. Les honoraires des avocats, déjà estimés à plus de 10 millions de SGD, pourraient augmenter entre un million et cinq millions de dollars de plus, maintenant que le procès va continuer, souligne la presse locale.

Malgré une nette baisse de fréquentation due au scandale, la City Harvest Church continue ses activités, une nouvelle direction a été mise en place, sous le label « CHC 2.0 » afin de se donner une nouvelle image.

La tolérance zéro du gouvernement singapourien

« Il y a une règle de droit, et la règle de droit est que, si les faits montrent qu’une infraction a été commise, peu importe ce que vous êtes, des mesures seront prises », a souligné le ministre de la Justice et de l’Intérieur lors d’un dialogue sur l’harmonie raciale et religieuse tenu au début de ce mois. K. Shanmugam faisait référence au procès de la City Harvest Church, mais aussi à celui de l’imam Nalla Mohamed Abdul Jameel, dont le verdict a aussi été rendu au début du mois (le responsable musulman était accusé d’avoir fait des remarques offensantes envers les chrétiens et les juifs).

Les commentaires de l’imam, prononcés lors d’un prêche dans une mosquée, avait été filmés et postés sur les réseaux sociaux. Ayant admis avoir prié en public pour que « Dieu accorde aux musulmans la victoire sur les juifs et les chrétiens », citant non pas le Coran, comme certains l’avaient affirmé dans un premier temps, mais un texte venant de son village natal en Inde, l’imam s’est excusé devant une assemblée d’une trentaine de représentants religieux chrétiens, sikhs, taoïstes, bouddhistes et musulmans. « Les Singapouriens tiennent beaucoup à la diversité et l’harmonie de leur peuple, et je n’ai pas le droit de les déstabiliser. C’est la raison pour laquelle j’ai bien compris et accepté la décision d’être poursuivi en justice afin de maintenir l’ordre public », a-t-il déclaré.

Les représentants juifs n’étant pas présents ce jour-là, l’imam est à nouveau allé s’excuser deux jours plus tard auprès du rabbin Mordechai Abergel. Malgré tout, le responsable religieux a été condamné à une amende de 4 000 dollars de Singapour (2 700 euros) et a été expulsé vers l’Inde, son pays d’origine.

La question religieuse reste très sensible à Singapour. Le public réagit avec passion aux affaires impliquant l’une ou l’autre religion, et le gouvernement n’hésite pas à régulièrement brandir le souvenir du précédent historique des émeutes religieuses qui avaient fait 36 morts en 1964, afin de signifier qu’il est le meilleur garant contre le pire. Singapour étant le pays au monde ayant la plus forte diversité religieuse (c’est ce qu’affirme une récente étude du Pew Research Centre), les autorités maintiennent une attitude punitive très stricte pour éviter tout éventuel débordement. Amos Yee, un adolescent très anti-establishment, issu d’une famille catholique, en a aussi fait les frais après avoir « offensé les sentiments religieux des musulmans et des chrétiens » dans plusieurs vidéos postées sur Internet. Les Etats-Unis viennent de lui accorder l’asile politique…(eda/fb)

(Source: Eglises d'Asie, le 20 avril 2017)