Jusqu'ici les protestations officielles de Mgr Michel Hoang Duc Oanh, évêque de Kontum s'étaient surtout fait entendre à propos de violations de la liberté religieuse dans certaines régions de la province de Kontum. Dans cette lettre écrite le 28 mai 2012, il est question des propriétés du diocèse spoliées par l'État. Dénonçant plus particulièrement un projet de destruction du centre caritatif appartenant à l'Eglise, l'évêque étend sa plainte à l'ensemble des établissements du diocèse, aujourd'hui entre les mains des autorités.

A Kontum, comme dans beaucoup d'autres diocèses du Vietnam, les propriétés d'Eglise ‘empruntées’ par l'État, sont nombreuses et importantes. Dans cette lettre ouverte au président du comité populaire de la province de Kontum, Mgr Hoang Duc Oanh énumère ces biens, tout en soulignant que la perte d'une propriété n'est pas une « plaie mortelle ». La raison de sa protestation, explique-t-il, c'est la défense de la justice et des droits inaliénables du peuple dont fait partie la communauté catholique de son diocèse et que l'État est censé représenter et protéger.

Le texte vietnamien de cette lettre ouverte, mis en ligne sur le site de Vietcatholic News a été traduit par la rédaction d’Eglises d’Asie.

A Monsieur le président du comité populaire de la province de Kontum

Monsieur le président,

De différentes sources nous parviennent des informations selon lesquelles le service provincial de l'Education nationale s'apprête à faire abattre l'ensemble du centre caritatif de l'évêché de Kontum, situé au 12 de la rue Nguyen Huê, district de Thông Nhât, dans la ville de Kontum, pour y faire construire une école de formation du personnel des écoles maternelles. Comment cela est-il possible ? Cet établissement que les autorités ont ‘emprunté’ après 1975, a été réclamé de nombreuses fois par l'évêché qui a envoyé plusieurs demandes écrites à ce sujet ! Mais les autorités ont à chaque fois trouvé une échappatoire… Cette affaire ne concerne pas simplement les biens d'une collectivité ; elle illustre la manière de faire et la politique d'un régime. Accepter en silence qu'à la suite d’une décision du service de l'éducation, l'établissement ‘emprunté’ mais jamais rendu, disparaisse, ou plutôt se volatilise, serait criminel. C'est pourquoi, nous nous permettons de vous alerter à temps, Monsieur le président, pour que vous vous opposiez aux agissements illégaux de ce service et répondiez ainsi aux aspirations légitimes de notre Eglise.

L'expérience acquise pendant sa vie a fait dire au poète Goethe des paroles que tous ceux qui sont soucieux de l'avenir de leur pays devraient méditer : « Une perte d'argent est une perte légère ; une perte d'honneur, une grosse perte ; une perte de confiance, une perte irréparable ».

La loi naturelle nous enseigne que chaque bien doit être rendu à son propriétaire. Mais que nous enseigne la loi de la Réplique socialiste du Vietnam à ce sujet ? Nous entendons les cadres [du Parti] nous déclarer : « Notre régime ne prend rien au peuple, ne serait-ce qu’un simple fil ! » Mais les biens dérobés par l'usage des armes, à qui appartiennent-ils ? En réalité, les autorités locales continuent ‘à faire comme si elles ne savaient rien’ et agissent en contradiction avec les dispositions qu'elles ont elles-mêmes établies. Mais soyons plus concrets : le couvent des religieuses de la charité du 11 rue Nguyên Huê, qui existait depuis 1936, a été abattu par les autorités pour construire l'école spécialisée Nguyên Tât Thanh. Les sœurs ont dû chercher asile dans la maison de retraite des prêtres, 19 rue Nguyên Trai. Les religieuses de la Providence qui ont été expulsées de leur couvent, sont logées à l'évêché depuis plus de 30 ans. Quant au centre caritatif, les autorités l'ont ‘emprunté’ en 1978 et elles acceptent aujourd'hui que le service d'éducation nationale détruise ces constructions, (ce qui est une action tout à fait anti- éducative !). Les gens du peuple ont des oreilles, des yeux et un cerveau pour réfléchir. Le peuple est là pour très longtemps, mais les mandarins n'ont qu'un temps ! Vous faudra-t-il attendre la fin de votre mandat pour avoir accès à ces vérités-là ? ...

La tradition populaire nous a rapporté cette histoire : un homme riche envoya son intendant à la fin de l’année au marché pour se procurer ce qui lui manquait encore. Ayant appris que l'économe avait proclamé sur le marché que toutes les dettes contractées à l'égard de son maître étaient abolies, ce dernier lui en demanda raison. L'intendant lui répondit : « Maître, notre maison est bien pourvue dans tous les domaines. De l'or, de l'argent, de la nourriture, nous en avons en abondance. Il nous manque simplement de ‘l'humanité’. C'est pourquoi, en votre nom, j'ai remis les dettes de tout le monde. » Quelque temps plus tard, l'homme riche fit faillite. Mais alors, où qu'il aille, il y avait toujours quelqu'un pour le recevoir… C'était une stratégie à long terme : « Les sacrifices de la génération du père profitent à la génération du fils ». Voilà l'exemple que les fonctionnaires gouvernementaux devraient méditer et mettre en oeuvre dans l'intérêt de la nation, pour qu'ensuite, ils puissent se retirer le coeur paisible !

Je vous proposerai encore une histoire. Elle s'est déroulée entre le responsable des affaires religieuses et nous-mêmes dans un certain bureau. Ce jour-là, il y avait avec moi le vicaire général et le directeur du séminaire. La question débattue était de savoir si c'était le chauffeur ou la voiture ayant heurté et tué un piéton qui devait en assumer la responsabilité, indemniser la famille de la victime et être mis en prison. Le cadre des affaires religieuses répondit : « Bien évidemment, c’est le chauffeur ! La voiture n'a aucune conscience… Comment la mettre en prison ? ». Quant à nous, nous lui avons répliqué : « C'est la voiture qui a tamponné cet homme et l’a tué. C'est elle qui doit payer l'indemnisation et être mise en prison, et non pas le conducteur ». Mais en fin de compte, nous avons abandonné notre point de vue et humblement reconnu que le responsable des affaires religieuses avait raison. En fait, nous avions utilisé ce stratagème pour qu’il transmette aux instances supérieures notre requête, à savoir la demande de restitution de l'église Hiêu Dao, de l'école des catéchistes, du couvent des religieuses de la charité, du couvent de Kim Phuoc et de quelques autres propriétés. Je pense que ces établissements n'ont « aucune conscience ». Voilà des années qu'ils sont emprisonnés tandis que les fidèles et les religieuses sont obligés de se joindre à d'autres communautés et de se faire héberger ici et là... Sans lieu de résidence, comment pourraient-ils jouir de la tranquillité et travailler en paix ?

Monsieur le président, alors que nous vivons dans une société où tant de grandes choses restent à faire, c'est vraiment à notre corps défendant que nous revenons sans cesse vers cette question de propriété. Nous sommes persuadés que les biens de ce monde passent rapidement et que les hommes sont mortels. « Pertes d'argent, pertes de biens, pertes légères ; perte d'honneur, grosse perte ; perte de confiance, perte irréparable ! ». Mais il ne s'agit pas ici seulement d'une question de biens ou de propriétés. C'est une question de justice et d'équité ; il s'agit des sentiments du peuple et de ses intérêts, de la loi et du bonheur de l'homme. Lorsque le coeur du peuple n'est pas en paix, tout le reste devient sans importance. Déclarer que l'on oeuvre pour le peuple, en son nom, et à cause de lui mais en fait, ne pas vivre et agir en fonction, c'est une trahison. Être complice, se taire, ne pas élever la voix pour protester contre les erreurs des cadres, c'est contribuer à la détérioration de la société.

Monsieur le président, je vous ai rapporté les deux histoires citées plus haut pour que vous puissiez comprendre les difficultés rencontrées par le peuple des croyants depuis longtemps déjà, et que vous compreniez quels doivent être les sentiments de ceux qui ont été placés au service du peuple et qui ont pour devoir de protéger ses intérêts légitimes. Nous ne demandons pas de faveur, nous souhaitons seulement être traités avec la justice due aux membres du peuple qui ont le droit de vivre correctement dans une société où la loi est correctement appliquée. Nous souhaitons seulement que toute affaire soit réglée dans le respect de la vérité, de la justice et dans l'amour

Michel Hoang Duc Oanh
évêque du diocèse de Kontum

(Eglises d’Asie, 25 juin 2012)