INDE: L’Eglise catholique s’inquiète de certaines dispositions de la récente Loi sur le droit à l’éducation

Eglises d’Asie, 4 mai 2010 – Le 3 mai à New Delhi, Mgr Joshua Mar Ignathios, évêque de Mavelikara et président de la Commission pour l’éducation de la Conférence des évêques catholiques de l’Inde (CBCI), a convoqué une conférence de presse pour dire l’inquiétude de l’Eglise face à certaines dispositions inscrites dans la Loi sur le droit à l’éducation, entrée en vigueur le 1er avril dernier.

« Nous apprécions les efforts du gouvernement (fédéral) pour rendre véritablement universel le droit à l’éducation. Mais certains passages de la Loi sur le droit à l’éducation sont contraires aux droits constitutionnels des communautés minoritaires de ce pays », a expliqué l’évêque catholique.

Aboutissement d’un combat de près d’un siècle, la Loi sur le droit à l’éducation, promulguée le 1er avril par le Premier ministre Manmohan Singh, lui-même issu d’un milieu modeste (1), vise à permettre la scolarisation de tous les enfants, garçons et filles, âgés de 6 à 14 ans en Inde. Aujourd’hui, le nombre des enfants non scolarisés est officiellement de 12,6 millions, mais les ONG spécialisées estiment que le chiffre réel est bien supérieur et se situe entre 70 et 80 millions d’enfants. Désormais, le droit fondamental à l’éducation, qui est inscrit dans la Constitution fédérale depuis un amendement de 2002, devrait devenir une réalité, affirme le gouvernement, qui a débloqué pour cela un budget de trois milliards d’euros sur cinq ans (réparti entre l’Etat central – 55 % – et les Etats régionaux – 45 % –). Les autorités se félicitent de voir l’Inde rejoindre les rangs des 135 pays à travers le monde qui ont inscrit dans leur législation le droit à l’éducation pour tous.

Concrètement, la loi stipule qu’aucun enfant ne doit se voir refuser l’inscription dans une école, en être expulsé ou devoir réussir un examen de passage en classe supérieur avant d’être parvenu à la fin du cycle des études primaires, fixé à l’âge de 14 ans. Le texte législatif vise aussi à garantir un enseignement de qualité à tous les enfants. La question est sensible en Inde où les établissements publics sont souvent d’un niveau médiocre et l’absentéisme des enseignants important. Les écoles privées, souvent confessionnelles, notamment chrétiennes, ont, quant à elles, souvent un excellent niveau, mais sont parfois chères et extrêmement sélectives.

Pour Mgr Ignathios, les objectifs de la loi ne sont pas en question. Ce qui l’est en revanche est l’emprise que les autorités s’arrogent par cette loi sur les établissements privés. L’évêque explique que les articles 21 et 22 de la loi empêchent les groupes minoritaires de gérer comme ils l’entendent leurs propres institutions éducatives, une prérogative pourtant inscrite dans le droit constitutionnel indien. La Constitution de l’Union pose en effet le droit pour les minorités religieuses et linguistiques de fonder et de gérer les institutions éducatives de leur choix. Pourtant, les articles 21 et 22 imposent la mise en place dans toutes les écoles, privées et publiques, d’un comité nommé par l’administration indienne. Le rôle de ce comité, distinct de celui rempli par les comités de gestion propres à chaque école, sera de veiller à la bonne application du principe de l’éducation pour tous.

« Nous ne voyons pas l’intérêt qu’il y a à créer un comité supplémentaire, dans la mesure où les comités de gestion existants remplissent leurs obligations », a déclaré Mgr Ignathios. Si ces comités sont effectivement créés, la loi aboutira à transformer des institutions éducatives réputées en écoles publiques, sous-entendu de piètre notoriété, a ajouté l’évêque.

Afin de trouver une solution à ce problème, l’Eglise a pris contact avec le gouvernement fédéral. « Par la discussion directe et le lobbying, nous approchons les autorités. Nous devrions rencontrer le Premier ministre et les ministres concernés par ce problème », a encore déclaré Mgr Ignathios. Au cas où le gouvernement ne voudrait pas amender le texte de loi, l’Eglise choisira la voie judiciaire, arguant de l’inconstitutionnalité de celui-ci, a-t-il conclu.

Dès le 5 avril, la Haute Cour de Delhi s’est appuyée sur la nouvelle loi pour exiger la réintégration d’une fillette, Suman Bhati, dans l’établissement qui l’avait renvoyée, la prestigieuse St. Xavier’s School. L’institution jésuite de New Delhi avait renvoyé la fillette, son règlement intérieur exigeant qu’un élève ne puisse échouer à plus de deux reprises aux examens de fin d’année. Après un premier échec en classe de fourth grade, Suman Bhati avait à nouveau échoué en fin de classe de sixth grade (11-12 ans). Dans les attendus du jugement, on peut constater que les conséquences de son renvoi pour la fillette n’avaient pas été prises en considération; en citant la Loi sur le droit à l’éducation, les juges ont ordonné sa réintégration. Le principal de l’école a obéi aux juges, tout en précisant que son établissement n’avait fait que suivre son propre règlement, lequel avait été accepté par Suman Bhati et ses parents.

L’Eglise catholique en Inde, dont les fidèles représentent 1,6 % de la population du pays, est très présente dans le domaine éducatif. Du jardin d’enfants à l’université, elle gère 15 000 institutions d’éducation. Souvent réputées, celles-ci forment aussi bien une partie des élites de la nation qu’elles accueillent les plus pauvres, notamment ceux issus des populations dalit ou aborigènes. Une majorité d’établissements se trouve en milieu rural (60 %), même si les institutions les plus prestigieuses se situent dans les grandes villes. Au total, les établissements catholiques forment près de 7 millions d’élèves et d’étudiants. Le 23 mai 2007, la Conférence des évêques catholiques de l’Inde a rendu public un texte intitulé New Education Policy, réaffirmant l’engagement éducatif de l’Eglise auprès des populations les plus marginalisées (2).

(1) Voir EDA 522

(2) Voir EDA 465, 466