Après les agressions commises le 8 janvier contre quatre lieux de culte chrétiens dans la région de Kuala Lumpur (1), le week-end des 9 et 10 janvier a été le théâtre de nouvelles attaques contre des églises chrétiennes. Les églises étaient pleines le dimanche 10 janvier, les chrétiens de Malaisie témoignant ainsi de leur volonté de ne pas se laisser intimider par les actions des groupes musulmans radicaux, mais de nouvelles attaques ont été commises, loin de Kuala Lumpur cette fois-ci. Dimanche 10 janvier, deux églises ont été attaquées, l’une catholique et l’autre anglicane, à Taiping, dans l’Etat du Perak (nord-ouest de la Malaisie péninsulaire). A Malacca (sud-ouest de la Malaisie péninsulaire), un temple baptiste a été badigeonné de peinture; à Miri, dans l’Etat de Sarawak (sur l’île de Bornéo), une église catholique a été caillassée; enfin, lundi 11 janvier, dans l’Etat du Negeri Sembilan (centre de la Malaisie péninsulaire), une église évangélique a été subie, à son tour, une attaque, la neuvième de la série. Même si aucune victime n’est à déplorer lors de ces violences, menées à coups de cocktails Molotov ou de pierres et si les dégâts ne sont que matériels, les responsables des Eglises chrétiennes n’ont pas caché leur inquiétude face à la tournure que prennent les événements depuis que la Haute Cour de justice de Kuala Lumpur a autorisé, le 30 décembre dernier, les chrétiens à faire usage dans leurs publications du mot « Allah » pour dire Dieu (2).

Réunis à Johor pour leur assemblée annuelle, les évêques catholiques de Malaisie (3) ont bien entendu évoqué cette actualité. Par un communiqué, ils ont déclaré que l’Eglise en Malaisie « [était] préoccupée et ne s’attendait pas à ce que, suite à l’utilisation du terme ‘Allah’, il y ait une telle réaction, avec des attaques contre les églises et les édifices chrétiens. Il est urgent de travailler pour le dialogue et l’harmonie sociale, en désamorçant la tension que les groupes fondamentalistes veulent créer dans la nation » (4). Les évêques ont ajouté qu’ils étaient en contact quasi permanent avec les autorités civiles et que « des entretiens avec des responsables musulmans [étaient] en cours et se succèder[aient] les prochains jours ». « Il faut en effet agir en harmonie et chercher la collaboration nécessaire du gouvernement et des autorités religieuses pour rétablir un climat pacifique dans la société malaisienne », ont encore expliqué les évêques, pour qui les événements de ces derniers jours « salissent » la réputation de l’islam de Malaisie. A l’attention des chrétiens, les évêques ont demandé que tout soit mis en œuvre pour « maintenir le calme », « ne pas répondre aux provocations » et « prier pour éviter une dangereuse escalade de la violence ».

Auparavant, l’archevêque catholique de Kuala Lumpur, Mgr Murphy Pakiam, avait lui aussi appelé au calme. Evoquant les quatre attaques commises dans sa région, l’archevêque avait déclaré que « des gestes de ce genre [étaient] rares en Malaisie ». Il avait ajouté: « Nous condamnons toute forme de violence et tous ceux qui cherchent à créer des désordres dans la société et des conflits entre les communautés religieuses. De nombreux groupes musulmans se sont unis à nous pour condamner la violence et nous ont manifesté leur solidarité » (5).

De fait, ces derniers jours et notamment durant le week-end passé, des groupes de musulmans modérés ont organisé des rondes de surveillance auprès des lieux de culte chrétiens. De même, une lettre ouverte intitulée: « La Malaisie ne cèdera pas aux actes de violence » a été diffusée le 9 janvier. Elle est signée par 125 instances de la société civile (du Barreau de Malaisie à des organisations chrétiennes, hindoues, bouddhistes et musulmanes en passant par associations professionnelles ou ethniques) et cinq partis politiques (représentant l’essentiel de l’opposition à l’UMNO, le parti au pouvoir), à savoir le PAS, principal parti islamiste du pays, le Keadilan, formation d’Anwar Ibrahim, et le DAP (Democratic Action Party). La lettre ouverte appelle à ne pas interpréter les récentes violences comme étant la manifestation d’« un conflit communautaire opposant musulmans et chrétiens ». Ces attaques sont « un affront fait à l’islam et aux autres religions autant qu’au christianisme et à ses fidèles », peut-on lire dans la lettre, car elles sont « une tâche sur l’image que nous cherchons à promouvoir d’une société multiraciale et diverse où chacun vivrait en harmonie ». Tout en rappelant les principes d’un Etat de droit sur lesquels est bâtie la Malaisie contemporaine, les signataires « dénoncent ceux qui, sans vergogne, instrumentalisent les sentiments ethno-religieux pour en tirer un profit politique. Cette triste situation s’est développée en partie du fait des réponses irresponsables d’une Administration adepte du double jeu ».

Sur les forums Internet de Malaisie, où s’expriment les opinions qui ne trouvent pas à le faire dans les médias classiques, largement contrôlés par le pouvoir politique, l’attitude du Premier ministre Najib Razak a été sévèrement critiquée. Bien entendu, ce dernier avait pris des mesures pour protéger les lieux de culte chrétiens de nouvelles attaques; le 9 janvier, il avait lancé un appel au calme et était allé visiter l’une des églises endommagées la veille. Mais des analystes politiques l’accusent de chercher à consolider son assise politique en milieu malais (60 % de la population) en n’agissant pas de manière plus résolue contre les groupes musulmans radicaux qui agitent le spectre d’une supposée volonté des chrétiens (9 % de la population) de convertir les musulmans au christianisme. Lors des dernières élections législatives, en mars 2008, la coalition emmenée par l’UMNO a conservé de justesse le pouvoir et, depuis, chacun, sur la scène politique, cherche à s’attacher la faveur du vote des Malais tout en ne s’aliénant pas celui des minorités chinoise (25 % de la population) et indienne (10 % de la population). Commentant les attaques contre les églises chrétiennes, Anwar Ibrahim, figure de proue de l’opposition à l’UMNO, n’a pas hésité à sous-entendre que le gouvernement était derrière ces tensions: « C’est là leur dernier espoir: provoquer les passions ethniques et religieuses pour rester au pouvoir. Dès que les résultats des élections de mars 2008, désastreux pour eux, ont été connus, ils ont travaillé à cela. »

(1) Voir dépêche diffusée le 5 janvier 2010.
(2) Voir dépêches diffusées les 7 et 8 janvier 2010.
(3) Les évêques de Malaisie se réunissent avec leurs confrères de Singapour et de Brunei, leur Conférence épiscopale étant régionale (Malaisie, Singapour et Brunei).
(4) Fides, 11 janvier 2010.
(5) Fides, 9 janvier 2010.

(Source: Eglises d'Asie, 12 janvier 2010)