Le 5 octobre dernier, deux jours avant la nomination par le pape François de son successeur à la tête du diocèse de Kontum, Mgr Michel Hoang Duc Oanh a écrit une lettre ouverte au président du Comité populaire d’un des districts qui composent le territoire dont il est responsable. Apparemment, il s’agit d’un problème très particulier : les catholiques ont édifié un lieu de culte sommaire avec quelques troncs d’arbres, des plaques de tôle, comme le dit l’évêque. Mais ils se sont abstenus de demander l’autorisation. Depuis lors, par toutes sortes de moyens, les autorités essaient de faire démolir l’ouvrage. Ils se heurtent toutefois à la résistance de toute la paroisse.

Avec vigueur et sur un temps quelquefois provoquant, l’évêque prend leur parti tout en élargissant sa plaidoirie à l’ensemble des populations montagnardes catholiques qui vivent sur les Hauts Plateaux du Centre-Vietnam et dont le culte est sévèrement réglementé. Ce qui est en cause, affirme l’évêque, c’est la liberté de croyance, affirmée dans le discours politique, mais étouffée dans la pratique quotidienne lorsqu’on oblige les catholiques à sans cesse demander des autorisations, même pour édifier ce que lui-même appelle des « baraques pour le culte ». Il appelle l’Etat à ses devoirs. Ce sont les cadres du régime qui sont en contravention avec la loi du pays et non pas les catholiques. Que le gouvernement s’occupe des affaires importantes et laisse les communautés religieuses célébrer leur culte, affirme l’évêque désormais émérite de Kontum.

En réalité, la lettre dépasse de beaucoup le problème particulier qui est à son origine ; elle permet notamment de comprendre les difficultés éprouvées par les chrétiens des Hauts Plateaux dans leur vie religieuse. On peut donc penser que cette dernière déclaration de l’évêque de Kontum est en quelque sorte son testament.

La lettre a été publiée en vietnamien sur le site Vietcatholic News, le 5 octobre 2015. Elle a été traduite ici en français par les soins de la Rédaction d’Eglises d’Asie.

A M. Cao Trung Tin, président du Comité populaire du district de Dak To, province de Kontum,

Depuis que je suis revenu au Vietnam, après un voyage à l’étranger, l’affaire du district de Dak Nu est devenue mon obsession quotidienne ! C’est une toute petite histoire qui s’est transformée en grosse affaire. Au départ, il ne s’agit que de quelques troncs d’arbres et de plaques de tôle. L’affaire est maintenant devenue une question importante car elle touche à la grande politique de la liberté religieuse et elle sape la confiance de la population à l’égard du régime. Voilà toute l’histoire :

28 juin 2015. La paroisse annexe de Dak Nu édifie une baraque destinée au culte avec quelques troncs d’arbres tordus et des plaques de tôle pour remplacer l’ancienne baraque totalement détériorée. Les paroissiens ne demandent pas la permission, car ils savent bien que s’ils la demandent, elle ne leur sera pas accordée ; en outre, de nombreux ennuis s’en suivront.
17 juillet 2015. Les paroissiens de DaK NU envoient intentionnellement, par trois fois, une demande d’autorisation au Comité populaire de la commune de Ngoc Tu pour avoir un témoignage attestant que leur demande est restée sans réponse.
24 juillet 2015. Dans la soirée, des cadres apportant avec eux de la bière viennent rendre visite à chaque famille pour faire campagne en faveur de la démolition de la baraque. On les reçoit poliment. On leur laisse boire leur alcool. La population s’abstient.
28 juillet 2015. Le Comité populaire de la commune réunit l’ensemble de la population à la maison du dragon. Les cadres déclarent que la construction d’une chapelle sans permission préalable est une erreur. On leur répond que ce n’est pas une erreur. Les cadres demandent l’identité de celui qui a ainsi répondu. Alors, tous se lèvent et s’en vont !
3 août 2015. Le Comité populaire de la commune invite sept personnes à se présenter à son siège pour interrogatoire. Tous refusent de signer le procès-verbal final.
4 août 2015. Le Comité interroge quatre prêtres de la région. Ces derniers exposent les besoins et l’irritation de la population et font savoir qu’on ne peut aller à l’encontre des aspirations du peuple.
5 août 2015 et les jours qui ont suivi jusqu’à aujourd’hui. Dans la soirée, pendant les jours de repos, les cadres du district et de la commune se présentent dans les maisons avec de la bière pour faire campagne pour la démolition. Mais la population n’est pas d’accord. Les cadres boivent leur bière et repartent. S’agissait-il là d’une forme subtile de terrorisme ? Voudrait-on empêcher les gens de travailler ou de se reposer en paix ?
10 août 2015. Le Comité populaire de la commune invite douze catholiques à se présenter à la mairie pour un entretien portant sur un certain nombre de questions en rapport avec Dak Nu. Personne ne vient au rendez-vous, la lettre d’invitation n’indiquant pas clairement les questions qui vont être traitées.
10 août 2015. Le colonel Lê Hông Phong vient voir le prêtre chargé de Dak Nu pour lui proposer la démolition.
12 août 2015. Le bureau du Comité populaire du district invite douze laïcs à venir à une réunion à la commune avec le statut de représentants. Personne n’y va car l’invitation ne précise pas les questions qui seront débattues. Par ailleurs, personne ne veut se faire le représentant des autres ! Pendant ce temps, jour et nuit, les fidèles montent la garde à tour de rôle afin que personne ne vienne saboter la construction récemment élevée pour le culte.

Pourquoi donc les autorités ont-elles dépensé une telle somme d’énergie pour cette pauvre construction ? Il semble qu’au Vietnam, les énormes affaires comme celle de « Vinashin » (NdT - très grosse affaire de corruption) ou le conflit de la mer d’Orient (NdT - archipels des Spratley et Paracel revendiqués par la Chine) deviennent peu à peu banales tandis que les tout petits conflits comme celui de Dak Nu prennent des proportions colossales. Pourquoi les lieux où se commettent les hold-up, les maisons de jeu ou de prostitution, les officines d’avortement, les fumeries, ou encore les endroits où se réunissent ceux qui détruisent nos forêts ou ceux qui font le commerce d’êtres humains, ne reçoivent jamais la visite des cadres ? Alors que les pensions où les religieuses accueillent les enfants pauvres des minorités ethniques, venus des contrées reculées, pour leur apprendre à progresser dans l’humanité, ou encore les lieux de culte qui enseignent aux hommes les mystères de leur existence et leur apprennent à vivre en êtres humains, ne cessent de subir leurs tracasseries des cadres, d’être l’objet de toutes sortes d’interdiction.

Messieurs les cadres, savez-vous pourquoi les chrétiens sont désireux de construire des baraques pour le culte ? Pourquoi ils n’osent pas les démolir ? Ils sont motivés par beaucoup de raisons !

1. (…) Si l’on démolit la baraque en question, quel sera ensuite le sort des 202 autres baraque de culte construites sur le territoire de Kontum ? Rien que sur le seul district de Dak To, on en dénombre vingt-deux. Une lettre secrète intitulée « 03/Kh-UBND, district deDak Tô », datée du 30 janvier 2015, continue d’obséder nos esprits !

2. Lorsqu’on demande l’autorisation, on ne l’obtient pas. La population n’a plus confiance dans les paroles des cadres. A tel point que les gens ont forgé un proverbe : « Menteur comme un cadre » ! Les auteurs du livre Den Cu (NdT - livre écrit par un ancien journaliste officiel portant un regard critique sur la société communiste) ou encore de l’ouvrage Tourments du philosophe Trân Duc Thao (NdT - brillant philosophe, étudiant à l’Ecole normale supérieure en même temps que Jean-Paul Sartre ; revenu au pays, il fut rapidement interdit d’enseignement) n’ont pas renforcé notre confiance dans les cadres.

3. Car, nos besoins vitaux, notre besoin d’adorer conformément à notre foi, personne ne peut nous les dérober ! (…)

Il se peut que la vieille histoire ci-dessous aide les cadres à comprendre la situation et la mentalité des croyants. C’est l’histoire d’un élève qui demande à son maître : « Le bonheur et la liberté, qu’est-ce que c’est ? » Le maître ne répond pas. Un jour, après à l’heure de l’éducation physique, maître et élèves vont se baigner à la rivière. Subitement, le maître prend l’élève par les cheveux et l’enfonce dans l’eau. A la troisième fois, étouffant et n’en pouvant plus, l’élève se résout à donner un coup de pied à son maître afin de pouvoir respirer, de vivre… Il en est de même pour le croyant ; celui-ci doit se résoudre à donner un coup de pied afin d’obtenir une baraque pour la prière afin de pouvoir « respirer », « adorer » !

Quant à vous Messieurs les cadres, vous persistez dans vos accusations : les chrétiens construisent ces lieux de culte sans autorisation ! En notre qualité de pasteur, nous demandons à assumer entièrement cette responsabilité devant la loi, à la place de nos fidèles et de nos prêtres. Ils n’ont commis aucune faute ! Nous demandons à comparaître devant un tribunal pour y être jugé publiquement. Enfin, si vous envoyez des gens pour démonter des lieux de culte, nous demandons à payer l’amende. Si c’est peu, nous le ferons nous-mêmes. Si l’amende est trop lourde, nous irons solliciter les autres Eglises dans le monde. Espérons que nous aurons de quoi payer l’amende ! Si ce n’était pas le cas, qu’on nous mette en prison ! Et puis, qu’importe ce qui se passera, « pourvu que le Christ soit annoncé » (Ph. 1,18).

Nous vous sommes sincèrement reconnaissants, Messieurs les cadres, d’avoir mis et de mettre à l’épreuve notre foi, de nous avoir aidé à annoncer l’Evangile, qui est vérité et amour !

En ce qui concerne la loi, nous autres croyants, sommes fiers de l’observer rigoureusement. Notre foi réconcilie et unifie. Elle exige que, pour nous, « l’amour de Dieu et l’amour des autres soient un seul et même commandement ». Nous avons conscience qu’un bon catholique est un bon citoyen ! La loi reconnaît la liberté de religion. Tous les citoyens doivent la reconnaître. Celui qui ne l’accepte pas sera puni. Est-il juste de dire cela ? Les croyants officiels reconnaissent ce droit en demandant des autorisations ; mais Messieurs les cadres ne nous en donnent pas ! Ou, s’ils autorisent, c’est au compte-gouttes après de multiples démarches. A la fin, il faut se résigner à imiter l’élève que je viens de citer ! Ce sont donc les cadres qui n’appliquent pas la loi. Ce sont eux qu’il faut punir ! Pourquoi toujours accuser les croyants ?

Monsieur le président, en lisant ces lignes, il y aura peut-être des gens pour penser que nous nous opposons au gouvernement, que nous n’appliquons pas la loi, que nous ne demandons pas autorisation… Quelle injustice ! A mon avis, au lieu de porter votre attention sur les croyants ou sur je ne sais quelle autre force, Messieurs les cadres, vous feriez mieux de rechercher avec calme quelles sont les personnes qui, dans de nombreuses régions, sapent véritablement la confiance de la population, sabote le régime, et le conduisent vers sa chute.

Monsieur le président, veuillez agréer mes salutations distinguées.

Mgr Michel Hoang Duc Oanh

(Source: Eglises d'Asie, le 22 octobre 2015)