L’épiscopat vietnamien a envoyé deux évêques le représenter au Synode sur la famille à Rome : Mgr Bui Van Doc, président de la Conférence épiscopale, et Mgr Dinh Duc Dao, évêque coadjuteur de Xuân Lôc. Il est probable que les deux évêques n’auront guère de mal à s’exprimer sur la famille vietnamienne tant celle-ci, en tant que réalité et aussi comme symbole, fait partie du langage ecclésial vietnamien et des références obligatoires à toute homélie.

A ce discours traditionnel sur la famille s’ajouteront sans doute les échos du changement de politique démographique en préparation au Vietnam. Le Synode sur la famille coïncide, en effet, avec une période de discussion et d’hésitation concernant une nouvelle gestion de la démographie au Vietnam, où la population a été jusqu’ici soumise à de très strictes règles en matière de contrôle des naissances.

Un autre facteur enfin entrera en jeu, celui de la tradition vietnamienne où la famille occupe une place centrale.

La première assemblée de tous les évêques du Vietnam avait eu lieu en mai 1980. C’est à cette date que fut publiée leur première « Lettre commune ». Celle-ci est souvent citée, surtout par les autorités civiles, pour des consignes proposées aux catholiques comme : « Vivre l’Evangile au sein de la nation… ». En fait, seule une petite partie de la lettre traitait de ce sujet ; la plus grande partie s’efforçait de mettre en valeur la famille comme « communauté de foi » : « Votre famille, affirmaient les évêques de cette époque, doit devenir comme une école de la foi, un lieu de prières, un milieu de vie de charité, de formation à l'esprit apostolique pour rendre témoignage au Seigneur (Ac. 2,42, 1,8; Lumen gentium, 11 ; Ad gentes, 11 ; Evangelii nuntiandi, 71). »

Cet appel à la famille chrétienne, à la fois cellule de base de la société et jouant un rôle fondamental au sein de la paroisse et de l’Eglise, fut ensuite sans cesse repris dans les exhortations annuelles des évêques au peuple chrétien. Plusieurs lettres communes sont entièrement consacrées à ce sujet. Tout récemment encore, la réalité et la symbolique de la famille sont apparus en force dans les trois dernières lettres communes (celles de 2013, 2014 et 2015). Elles sont destinées à présenter le projet de nouvelle évangélisation mis en œuvre au cours de ces trois années. Pour la première année, la cible principale de cette évangélisation redoublée était la famille comme cellule de base. Celle-ci est définie comme « une communauté au service de la vie, une vie qui prend sa source en Dieu lui-même ».

La seconde lettre (2014) poursuivait le même thème de la nouvelle évangélisation, mais en lui donnant une nouvelle cible, à savoir la paroisse. L’introduction de ce nouveau milieu « à évangéliser » n’implique pas une rupture avec la famille, bien au contraire, puisque la paroisse est entièrement prise en charge par la symbolique de la famille : « Nous vous invitons à vous tourner vers une ‘famille’ plus vaste, à savoir la paroisse. » Dès les premières lignes du texte, les liens de la communauté paroissiale sont pleinement assimilés à ceux de la famille : « En effet, la paroisse est bien la famille des enfants de Dieu qui sont tous frères et sœurs les uns des autres. »

Si l’appréciation des valeurs familiales au sein du discours officiel de l’Eglise catholique au Vietnam n’a guère changé au cours des trente dernières années, par contre, la situation démographique du Vietnam est, aujourd’hui, totalement différente. Pendant des dizaines d’années, les autorités ont fait peser sur l’ensemble de la population une politique de planning familial extrêmement sévère, imposant à chaque couple de ne pas dépasser les deux enfants. Les moyens proposés à la population (contraception, avortement) posaient de très graves problèmes aux familles chrétiennes. Mais voilà déjà quelques temps que la situation est en train de changer. Les autorités vietnamiennes préparent en effet un projet de loi dont la proposition principale sera de rendre aux familles la liberté de décider du nombre d’enfants qui leur convient. Dans ses plus récents articles sur le sujet, VN Express (1) rapportait toutefois qu’il existe toujours, au plus haut niveau, une opposition à ce projet de loi.

Mme Ritsu Nacken, représentante à Hanoi du Fonds des Nations Unies pour la population (UNFPA), relevait récemment les caractéristiques de la démographie moderne au Vietnam. Le taux de fécondité ne cesse de baisser. Depuis dix ans, il se situe même au-dessous du niveau du renouvellement des générations (soit 2,1 par femme en âge de procréer). Depuis 2011, la population vietnamienne est officiellement entrée dans une période de « vieillissement », suite au déclin de la natalité et à l’allongement de la durée de la vie.

Une dernière raison enfin est susceptible de donner une couleur très particulière à la contribution vietnamienne au synode. C’est la place de la famille au sein de la culture du pays. Elle en forme le centre dans la mesure où elle est le modèle des relations interpersonnelles et celui du comportement social. Les linguistes notent que la langue vietnamienne est structurée par elle. Les relations de parenté (oncles, tantes, frères aînés et cadets, etc.) tiennent lieu de pronoms personnels. L’Eglise catholique, ces dernières années, a fait de grands efforts pour rejoindre de plus près la tradition culturelle vietnamienne. Le rappel il y a quelques mois de l’autorisation donnée par Rome d’introduire la vénération des ancêtres dans la liturgie chrétienne en a été une des marques. Le synode abordera-t-il ce sujet ? Au Vietnam et dans d’autres pays, c’est la vénération des ancêtres qui fonde la famille. (eda/jm)

(Source: Eglises d'Asie, le 6 octobre 2015)