Un récent échange de messages entre le président de la République et le président du Parlement au sujet de la nécessité de restreindre la possibilité pour les habitants de l’Union du Myanmar de contracter mariage avec un conjoint d’une autre confession religieuse témoigne de l’extrême sensibilité des relations entre les groupes ethniques et religieux en Birmanie ainsi que de l’instrumentalisation persistante de « la question Rohingya » par les dirigeants du pays.

Le 27 février, Shwe Mann, président du Parlement et président du parti majoritaire, l’USDP (Union Solidarity and Development Party), a déclaré devant les députés, en session parlementaire, qu’il allait écrire au président de la République, Thein Sein, pour lui demander de prendre ses responsabilités. La déclaration du président du Parlement, qui est considéré comme un candidat sérieux pour le poste de président de la République – lequel sera renouvelé à l’issue des élections législatives de 2015 –, intervient à la suite d’une demande du président Thein Sein.

Saisi il y a quelques mois par une organisation de bouddhistes nationalistes d’une requête au sujet de la nécessité du vote d’une loi pour restreindre les mariages interreligieux en Birmanie, Thein Sein demandait, dans sa lettre à Shwe Mann, que le Parlement débatte d’un tel projet de loi. Le président de la République arguait du fait que la Constitution de 2008 ne contenant pas de dispositions relatives « aux problèmes religieux particulièrement délicats », il appartenait au Parlement de se saisir de cette question.

Pour Shwe Mann, c’est au contraire au gouvernement d’agir en la matière. L’organisation de bouddhistes nationalistes ayant proposé quatre projets de loi (sur la conversion religieuse, le mariage, la monogamie et le contrôle des naissances), le président du Parlement demande à ce que les ministères concernés préparent des textes qui pourront ensuite être discutés au Parlement. A savoir le ministère des Affaires religieuses, le ministère de l’Intérieur, le ministère des Affaires étrangères ainsi que le Bureau de l’immigration, la Commission nationale des droits de l’homme et la Haute Cour de l’Union du Myanmar. Interrogé par The Irrawaddy, Pe Than, député du RNDP (Rakhine Nationalities Development Party), a estimé que Shwe Mann, en agissant ainsi, ne faisait que se conformer à la procédure habituelle, qui veut que l’initiative des lois appartienne au gouvernement, le Parlement ne faisant que les discuter pour les amender éventuellement avant de les voter.

L’organisation nationaliste à l’origine de cet échange entre Thein Sein et Shwe Mann est l’OPNRR (Organisation for Protection of National Race and Religion). Dirigée par le moine Tilawaka Biwuntha, proche des moines bouddhistes extrémistes du mouvement 969, elle déclare que le vote de lois « protégeant la race et la religion nationales » est nécessaire pour prévenir la répétition des violences intercommunautaires, comme celles qui ont eu lieu en 2012. Violences dont les victimes ont été principalement des musulmans et notamment ceux de la minorité Rohingya de l’Etat de l’Arakan.

A l’appui de sa demande auprès du président Thein Sein, l’OPNRR affirme avoir réuni une pétition signée par 1,3 million de personnes et ce sont des moines bouddhistes en vue qui ont confié à des juristes la tâche d’écrire les quatre propositions de loi en question. Si ces textes étaient votés en l’état, il deviendrait impossible pour une bouddhiste de se marier avec un non-bouddhiste sans obtenir au préalable l’autorisation de ses parents ainsi que de l’administration de l’état-civil. Parallèlement, un non-bouddhiste devrait se convertir au bouddhisme avant d’épouser une bouddhiste.

« De nombreux bouddhistes craignent que le bouddhisme disparaisse au fur et à mesure de l’accroissement de la part des musulmans dans la population. Nos moines bouddhistes redoutent de voir les musulmans prendre une place importante dans le pays », explique le député Pe Than, qui se déclare prêt à voter ces textes lorsqu’ils arriveront devant le Parlement. « Nous devons protéger notre race et défendre nos frontières », précise-t-il, en référence à la perception commune en Arakan selon laquelle les immigrants musulmans venus du Bangladesh voisins sont toujours plus nombreux. Il ajoute aussi que la Constitution de 2008 comporte des éléments « protecteurs de la race et de la religion », notamment l’interdiction de la polygamie, mais que cet interdit est peu appliqué et doit donc être renforcé (1).

L’initiative de l’OPNRR et la pression qu’elle exerce sur les dirigeants politiques nationaux interviennent à quelques jours du début du recensement de la population. Le 30 mars prochain, les opérations de recensement commenceront et elles promettent d’être sensibles. Alors que les préconisations de l’ONU sont d’organiser un recensement tous les dix ans, le dernier en date en Birmanie remonte à 1983, époque où le pays était dirigé par une junte militaire et que l’on soupçonne d’avoir tronqué certains chiffres. Il y a trente ans, les militaires auraient ainsi minoré le pourcentage des musulmans dans le pays, aux environs de 4 %.

Cette fois-ci, le pays est dirigé par un gouvernement civil et le recensement sera suivi de près par la communauté internationale. Mais les résultats du recensement promettent d’être politiquement sensibles : au cas où le nombre des musulmans doive être nettement révisé à la hausse, cette nouvelle réalité statistique sera alors exploitée par les nationalistes bouddhistes comme preuve du bien-fondé de leurs arguments et pour attiser le sentiment antimusulman, latent chez une part significative de la population.

Khin Saw Wai, députée du Rakhine Nationalities Development Party ne cachait pas son souhait de voir mise en place une loi imposant un renforcement de l’obligation du mariage monogame. « [Les Rohingyas] en Arakan épousent plusieurs femmes. Les personnes dont les droits fondamentaux sont vraiment bafoués sont ces femmes [Rohingyas] car elles ont peur de dire à leur mari les difficultés auxquelles elles font face et ce qu’elles ressentent », a-t-elle expliqué à Radio Free Asia, ajoutant qu’une loi sur la monogamie « aurait aussi un impact positif pour contrôler la croissance de la population ».

Du côté de la Ligue nationale pour la démocratie, l’embarras est perceptible sur cette question qui surgit à un moment où les élections de 2015 sont dans tous les esprits. Contactée par l’AFP, Aung San Suu Kyi s’est dit satisfaite de la décision de Shwe Mann de renvoyer aux ministères concernés l’élaboration des éventuels projets de loi « car c’est ce que la procédure législative prévoit ». Elle ne s’est toutefois pas prononcée sur le fond, bien que l’an dernier elle avait critiqué un appel des moines à limiter les mariages interreligieux ; elle avait alors déclaré qu’une telle mesure serait discriminatoire envers les femmes, contraire aux lois en vigueur et aux droits de l’homme et en contradiction avec l’enseignement bouddhique.

Quelques députés ont toutefois estimé qu’il n’y avait pas « urgence » à légiférer sur ces questions. Interrogé par The Irrawaddy, Win Htein, un député de la LND, rappelle que si le bouddhisme est dominant en Birmanie, le christianisme et l’islam sont pratiqués par certains groupes ethniques et précise que « les questions liées à la religion et à la race sont très dangereuses ». Appartenant à l’USDP, un autre député, Hla Swe, déclare à l’AFP qu’« il serait mieux de formuler ces lois après les élections [de 2015] », ajoutant craindre que « la demande appelant à la rédaction de telles lois ne soit motivée par des desseins politiciens ».(eda/ra)

(1) La Constitution de 2008 de l’Union du Myanmar reconnaît au bouddhisme une « position spéciale » du fait que cette religion est professée par une majorité de la population ; elle reconnaît aussi le christianisme, l’islam, l’hindouisme et l’animisme comme étant des religions présentes dans le pays.

(Source: Eglises d'Asie, le 28 février 2014)