L’opinion publique vietnamienne vient à nouveau de s’enflammer comme elle l’avait fait lors de l’affaire de Doan Van Vuon, du nom de cet entrepreneur qui avait résisté les armes à la main aux policiers venus l’exproprier. Les circonstances sont cette fois-ci encore plus tragiques. Le 11 septembre dernier, un habitant de Thai Binh, Dang Ngoc Viêt, victime d’une récente expropriation de terrain, a pénétré à l’intérieur du siège du Comité populaire et a ouvert le feu sur cinq cadres du Centre pour le développement des terres, organisme chargé de l’indemnisation des personnes expropriées. L’un d’eux est mort, trois autres ont été blessés. Dang Ngoc Viêt s’est ensuite donné la mort en retournant son arme contre lui-même.

Selon le journal Thanh Niên du 12 septembre, l’auteur de cet acte désespéré n’avait aucun antécédent judiciaire. L’enquête policière n’a révélé aucune trace de produit stupéfiant dans son corps. Les divers témoignages rapportés indiquent que, depuis son expropriation, sa famille se trouvait dans une situation très précaire. La presse officielle se montre discrète sur les motivations de l’agresseur. Celui-ci, dit-elle, était en désaccord avec la somme proposée pour l’indemniser de la perte de ses terres. Selon les déclarations faites au site Dât Viêt par la jeune fille qu’il devait épouser, Dang Ngoc Viêt avait, à de multiples reprises, fait part de son exaspération devant l’insuffisance de l’indemnisation proposée par les pouvoirs publics, à savoir 7 millions de dongs au mètre carré (250 euros), alors que le prix du marché était de 10 millions de dôngs (360 euros). Au total, pour sa maison et son terrain expropriés, il devait recevoir 500 millions de dongs (17 800 euros), somme qu’il devait recevoir en plusieurs versements. Au troisième paiement, il avait exprimé le désir de rendre l’argent déjà reçu et d’être indemnisé en nature par un nouveau terrain pour lequel il était prêt à payer une somme supplémentaire. Cela lui avait été refusé.

Cependant, la plupart des commentaires parus sur des tribunes plus indépendantes font de ce geste désespéré un signe de l’exaspération croissante de la population vietnamienne devant la multiplication des spoliations de terrains au profit de projets lucratifs pour l’administration. Certains articles ont pris pour titre l’énoncé d’un dicton vietnamien : « Lorsque le cours d’eau s’emporte, il brise les digues » (‘Tuc nuoc vo bo’) (1).

Dès le lendemain, le 12 septembre, l’affaire a fait l’objet de débats au sein du Comité permanent de l’Assemblée nationale. Le président de l’Assemblée, Nguyên Sinh Hung, a déclaré qu’il fallait d’urgence remanier le projet de loi sur les terrains, qui sera débattu à la prochaine session du Parlement. Celui-ci devra délimiter précisément le degré d’importance des projets donnant lieu à des expropriations, afin de diminuer ces dernières. Des juristes ont aussi fait remarquer les imprécisions et contradictions de la loi actuelle en ce domaine. L’article de la Constitution faisant du peuple tout entier le propriétaire collectif de la terre et de l’Etat son représentant donne lieu à de multiples interprétations. Par ailleurs, cette même constitution ne prévoit d’expropriation que pour des motifs de défense nationale, de sécurité publique ou encore d’intérêt général. Or, le projet de loi sur les terrains ajoute un autre motif, très vague, à savoir « le développement économique et social ».

Bien que ce soit la première fois qu’un conflit entre les autorités et les personnes spoliées de leurs biens entraînent mort d’homme, l’affaire de Thai Binh n’est qu’un des innombrables conflits liés à des expropriations et des indemnisations non satisfaisantes. La presse a signalé des centaines de manifestations protestant contre des accaparements de terrain pour des projets dits d’urbanisation, mais souvent de caractère commercial (2).

Les évêques vietnamiens ont clairement énoncé, et cela à plusieurs reprises, leur point de vue sur le problème des expropriations des terres. Particulièrement, en 2008, à l’occasion des conflits de l’archidiocèse de Hanoi avec l’Etat concernant les propriétés spoliées, la Conférence épiscopale avait mis en cause le statut légal de la terre dans le Vietnam d’aujourd’hui et rappelé que la propriété privée est un des droits de l’homme.

(1) Voir Radio Free Asia, émission en vietnamien du 13 septembre 1013.
(2) Les informations utilisées dans cette dépêche ont été recueillies sur les sites en langue vietnamienne : Vietcatholic News, Radio Free Asia, RFI et sur plusieurs organes de la presse officielle.

(Source: Eglises d'Asie, 16 septembre 2013)