Dans l’affaire Chen Guangcheng, qui a provoqué de vives tensions dans les relations sino-américaines ces derniers jours, la fuite de l’avocat aveugle depuis sa résidence surveillée de Dongshigu, dans le Shandong, jusqu’à l’ambassade américaine de Pékin, au nez et à la barbe de l’appareil de sécurité chinois, a bénéficié de l’appui d’un important réseau clandestin...

... où les milieux chrétiens, protestants notamment, sont très présents.

Agé de 41 ans, aveugle depuis l’âge de 1 an, Chen Guangcheng fait partie de ces avocats défenseurs des droits de l’homme qui ont acquis une visibilité réelle au sein de la société chinoise comme dans les médias internationaux. Né en 1971, juriste autodidacte, Chen Guangcheng a notamment défendu la cause de femmes contraintes à être stérilisées ou forcées à avorter, parfois à un stade avancé de leur grossesse. Il a ainsi mis en lumière les agissements du planning familial dans la région de Linyi, au Shandong, où des milliers de femmes ont subi des avortements forcés. A l’exemple des avocats qui se revendiquent du « camp de l’autorité du droit », il a saisi la justice chinoise pour porter plainte contre les agissements de fonctionnaires qui enfreignaient les lois de la République populaire de Chine, lesquelles proscrivent de telles actions. En retour, la répression et le harcèlement des autorités ont été implacable : en août 2006, Chen Guangcheng a été condamné à quatre ans et trois mois de prison ferme pour « troubles à l’ordre public, dégradation volontaire des biens de l’Etat et obstruction de voies de circulation ». A l’issue de sa peine, en septembre 2010, le jeune avocat, sa femme et ses deux enfants se sont trouvés de facto assignés à résidence dans son village d’origine du Shandong. Et c’est de cette prison qui ne dit pas son nom qu’il a réussi à échapper à la surveillance de ses gardes le 22 avril dernier pour, après plusieurs jours d’un périple secret, trouver refuge à l’ambassade américaine de Pékin. Le 2 mai, il en sortait en compagnie de l’ambassadeur américain pour gagner l’hôpital Chaoyang, à Pékin, d’où il déclarait rapidement qu’il ne faisait pas confiance aux autorités chinoises et à leur engagement de le laisser, lui et sa famille, en paix ; il a demandé à partir étudier aux Etats-Unis, où l’Université de New York s’est déclarée prête à l’accueillir.

De cette retentissante évasion, puis de l’incroyable escapade diplomatique et de la volte-face de Chen Guangcheng affirmant son désir de partir, au moins temporairement, aux Etats-Unis, il ressort que l’avocat aveugle a bénéficié du soutien d’un réseau clandestin. La manifestation la plus éclatante de ce soutien est intervenue le 3 mai dernier à Washington, en plein milieu d’une audition consacrée à son cas : Bob Fu, Sino-Américain à la tête de l’ONG China Aid, qui vient au secours des chrétiens en Chine, était entendu par la commission exécutive du Congrès américain lorsqu’il a fait intervenir, par téléphone portable interposé, Chen Guangcheng en personne. La scène avait quelque chose de surréaliste : évoquant ses craintes pour la vie des membres de sa famille, notamment sa mère et son frère, restés à Dongshigu, le dissident chinois depuis sa chambre d’hôpital à Pékin demandait à rencontrer Hillary Clinton, la secrétaire d’Etat des Etats-Unis alors dans la capitale chinoise pour un sommet sino-américain. Le président de la commission, Chris Smith, appelait alors Madame Clinton pour lui demander de se rendre au chevet du dissident, et lui apportait son soutien : « Votre cas est un véritable test pour la Chine qui nous a donné des garanties sur votre sécurité dont nous doutons. Mais c’est aussi un test pour les Etats-Unis, pour voir si les droits de l’homme comptent vraiment », ajoutant : « Vous, votre famille et vos soutiens devriez être à bord d’un avion en direction des Etats-Unis » (1).

De toute évidence, l’activiste Bob Fu, qui lui-même a quitté la Chine dans les années 1990, était très au fait de la situation de Chen Guangcheng et du déroulement du périple lui ayant permis de gagner Pékin et l’ambassade américaine. De son côté, en Chine, He Peirong, jeune professeur d’anglais qui figure au nombre des personnes qui ont aidé le juriste aveugle dans sa fuite, a précisé que toute cette aventure avait été préparée très en amont, des mois durant. Aucune information ne permet d’écrire que Chen Guangcheng doit sa fuite à des chrétiens uniquement, mais de toute évidence des chrétiens ont prêté leur concours à cette entreprise.

Parmi les avocats et autres militants qui tentent de défendre les droits de l’homme devant les tribunaux chinois et qui luttent contre l’arbitraire du pouvoir en place, nombreux sont ceux qui ou qui se disent proches de la doctrine chrétienne, voire se sont convertis au christianisme, le plus souvent au sein de communautés protestantes. Chen Guangcheng ne semble pas s’être converti au christianisme, même si, il y a quelques années de cela, les articles le concernant dans la presse étrangère faisaient mention de son appartenance chrétienne.

Il n’en demeure pas moins que, dans les milieux chrétiens appartenant aux Eglises domestiques, c’est-à-dire non enregistrées auprès des autorités chinoises, la question se pose de l’attitude que vont adopter les dirigeants du pays face aux avocats du camp du droit et aux communautés chrétiennes auxquelles ils se rattachent. Certains craignent le déclanchement sous peu d’une campagne de répression féroce, les plus hauts dirigeants de la Chine ne pouvant laisser impunis ceux qui remettent en cause l’emprise du Parti communiste sur la société. D’autres estiment que si l’affaire Chen Guangcheng a bien été une « gifle » à la face des dirigeants chinois, les communautés protestantes non officielles endurent déjà la répression des autorités. Depuis le Henan, le pasteur Zhang Mingxuan anime une Eglise domestique bien connue. Interrogé par le Wall Street Journal (2), il a déclaré : « Chen Guangcheng n’est pas chrétien, mais nous les chrétiens chinois, nous prions pour tous ceux qui recherchent la vérité. » Quant à un éventuel risque accru de représailles, il ajoutait : « Je ne vis pas dans la crainte. Je ne hais pas le gouvernement. Je prie pour le gouvernement. »

(1) Radio France Internationale, 4 mai 2012.
(2) Wall Street Journal, 5 mai 2012.

(Source: Eglises d'Asie, 7 mai 2012)