En juillet 2011, le cardinal Zen Ze-kiun, évêque émérite du diocèse de Hongkong, publiait un texte intitulé : « A ces athées qui dirigent l’Eglise catholique en Chine », par lequel il dénonçait les manipulations auxquelles se livraient des « opportunistes » qui, au sein de l’Eglise en Chine, agissent, contraints ou non, conformément aux diktats du gouvernement tout en cherchant à complaire à Rome. ...

... Le 8 février 2012, dans un texte confié à l’agence AsiaNews, le même cardinal Zen a repris la plume pour, avec la vigueur qu’on lui connaît, s’en prendre à ceux qui en Occident invitent des évêques « officiels » de l’Eglise de Chine à prendre la parole à l’étranger sans s’assurer tant des actes que ces évêques ont pu poser en Chine et qui sont contraire à la communion ecclésiale que du degré de liberté de parole que ces évêques peuvent réellement avoir hors de Chine. La traduction est de la rédaction d’Eglises d’Asie.

En premier lieu, je tiens à dire mon respect le plus complet pour le zèle magnifique de mes amis de la Communauté de Sant’Egidio et de mon bon ami Gianni Valente de 30Jours dans l’œuvre qu’ils mènent envers l’Eglise en Chine. Je tiens également à réitérer ma gratitude pour leur longue amitié à mon égard. Toutefois, le fait que depuis quelque temps ils n’ont plus cherché à me rencontrer et que je trouve quelque chose de particulièrement troublant dans ce qu’ils font et disent à l’égard de notre Eglise en Chine bien-aimée, je crois que le moment est venu d’entamer un débat public, par écrit, et ce faisant, je pars d’un article de Gianni Valente publié dans 30Jours (numéro 9, 2011), intitulé : « Interview avec Mgr Jean-Baptiste Li Suguang, évêque coadjuteur de Nanchang ».

Mes questions

Après avoir lu attentivement les pages 30 à 35, je ne parviens pas à concilier les belles paroles que Mgr Li tient dans cette interview avec les faits récemment – et honnêtement – rapportés par Gianni Valente : à savoir que le 14 juillet 2011, Son Excellence a participé à l’ordination épiscopale illicite de Mgr Huang Binzhuang de Shantou.

Ma première question est la suivante : pourquoi la Communauté de Sant’Egidio a-t-elle invité des personnalités, comme Mgr Li, qui sont gravement compromises du point de vue de l’Eglise, à cette rencontre internationale [NdT : le cardinal Zen fait référence ici à la rencontre ‘La civilisation de la paix : religions et cultures en dialogue’ organisée par la Communauté de Sant’Egidio du 11 au 13 septembre 2011 à Munich] ? De toute évidence, ces personnalités ont été reçues avec une grande cordialité, ce qui est bien, et avec honneur, ce qui ne l’est pas.

Je pose donc la question : pourquoi, pour 30Jours, Gianni Valente devrait-il interviewer ces gens-là, quand on sait qu’ils ne sont pas libres de dire ce qu’ils pensent ? Comment Mgr Li Suguang peut-il affirmer que « l’Eglise en Chine ne s’est pas écarté d’un iota de la tradition apostolique », quand peu de temps auparavant il a assisté (de gré ou de force) à un acte qui blesse gravement l’unité de l’Eglise malgré les rappels clairs et récents du Saint-Siège pour ce qui concerne la gravité d’un tel acte.

Comprendre la situation

La Chine connaît à l’évidence une situation douloureuse et tous, nous sommes désireux de faire quelque chose pour venir en aide à nos frères et sœurs. Mais la question est : que faire ? Nous avons un dicton qui dit que « la route de l’enfer est pavée de bonnes intentions » et signifie bien que nous faisons du mal à ceux à qui nous voulons faire du bien.

Afin de discerner ce qui est objectivement bon de ce qui ne l’est pas dans cette situation, il nous faut tout d’abord nous entendre sur notre compréhension de la situation actuelle.

Je pense que nous serons tous d’accord pour admettre, comme le souligne le Saint-Père dans sa Lettre de 2007, que la situation de l’Eglise en Chine est particulièrement insolite parce que ce ne sont pas les évêques, mais des organismes extérieurs de l’Eglise, à savoir l’Association patriotique et le Bureau des affaires religieuses, qui dirigent notre Eglise.

Cinq ans après la publication de la Lettre, cette réalité ne semble pas avoir du tout évolué. Pourquoi ?

D’une part, le gouvernement de Pékin n’a pas changé d’un iota dans sa politique d’oppression religieuse. Il veut toujours exercer un contrôle absolu sur la religion et, dans le cas de l’Eglise catholique, la Chine veut détacher l’Eglise de l’obéissance au Saint-Siège.

Pour notre part, malheureusement, certains n’ont pas accueilli la Lettre du pape en toute sincérité. Au contraire, certains ont osé falsifier sa présentation, sa traduction en chinois et son interprétation, passant par-dessus l’aspect ecclésiologique, qui a été souligné par le pape, l’interprétant plutôt de manière tendancieuse comme un encouragement du Saint-Père à la réconciliation comme s’il s’agissait d’une invitation à une « fusion » aveugle des deux communautés [NdT : « officielle » et « clandestine »], l’une qui est de plus en plus soumise au gouvernement et l’autre, qui est entrée dans la clandestinité pour éviter cet asservissement.

Loin de moi l’idée de porter un jugement moral sur les personnes dans ce que j’ai dit et sur ce que je vais dire, mais de toute évidence, beaucoup de fautes ont été commises ces dernières années.

Un peu d’histoire récente

Quand Son Eminence le cardinal Josef Tomko fut nommé préfet de la Congrégation pour l’évangélisation des peuples, il avait déjà une vaste expérience qui recoupait la sollicitude du Saint-Père pour l’Eglise universelle. Cette expérience, couplée au fait qu’il venait d’un pays communiste, signifiait qu’il était capable de comprendre la situation de l’Eglise en Chine. Compte tenu de la politique d’ouverture menée alors à Pékin, il reçut un grand nombre d’informations sur la situation et conseilla que la ligne de conduite et les mesures appropriées soient approuvées par le Saint-Père.

En plus de sa préoccupation prioritaire pour la communauté « clandestine », il était ouvert envers les évêques âgés de la communauté « officielle » illégitimement ordonnés, prêt à les comprendre car il connaissait les situations extrêmement difficiles et les fortes pressions qu’ils avaient subies. En acceptant la légitimité de leurs requêtes, il prenait soin de demander le consentement des évêques « clandestins » légitimes (s’il en existait un dans le même diocèse) ou l’avis des évêques légitimes limitrophes. Dans les diocèses où il y avait un évêque « clandestin », ceux-ci ont été confirmées comme Ordinaire du lieu, tandis que l’évêque « officiel » pouvait prétendre à être auxiliaire. Bien sûr, cette dépendance canonique ne devenait une réalité que lorsque les conditions étaient favorables, comme cela a pu être le cas à Wuhan, tandis qu’ailleurs, cette dépendance est restée à l’état théorique, avec la cohabitation de deux évêques sur un même territoire qui n’étaient pas en mesure de se consulter pour exercer leur charge pastorale.

Des dispositions similaires ont été mises en œuvre lorsque de jeunes candidats à l’épiscopat, élus officiellement dans la communauté, ont cru de leur devoir de demander l’approbation du Saint-Siège avant leur ordination épiscopale.

En 2000, le cardinal Tomko, ayant atteint l’âge de 75 ans, a pris sa retraite. Au même moment, un changement complet de personnel a eu lieu au sein de la Congrégation pour l’évangélisation des peuples. L’absence d’expérience et d’expertise des nouvelles équipes a causé un vide à la fois dans la pensée et dans l’action. La démarche initiée à l’origine par le cardinal Tomko s’est poursuivie, mais dans une complète inertie, dépourvue de la précision avec laquelle elle avait débuté. De nombreux membres des communautés « clandestines » se sont plaints que des évêques ordonnés illégalement aient été légitimés et qu’on a trop facilement reconnu de nouveaux candidats, tandis que de nouveaux évêques n’étaient pas nommés pour la communauté « clandestine » quand les anciens pasteurs mouraient.

Le successeur du successeur du cardinal Tomko [NdT : le cardinal Ivan Dias] avait pour expérience d’avoir travaillé avec le cardinal Casaroli. Malheureusement, ce qui aurait pu être son point fort s’est plutôt révélé être une limite car il estimait que l’Ostpolitik du célèbre cardinal avait fait des miracles dans les pays communistes d’Europe orientale, encore que l’on sache que, au moins, le pape Jean-Paul II et le cardinal Wyszynski n’étaient pas du même avis et que la plupart des membres du clergé de ces pays ont sévèrement critiqué cette politique. Le cardinal Casaroli pensait qu’ils devaient chercher si ce n’est un modus vivendi, du moins un modus non moriendi, mais dans la réalité, la foi de ces Eglises allait en s’éteignant.

Nous en arrivons maintenant à la réalité chinoise. Dans la conviction que la résistance au pouvoir excessif d’un gouvernement absolutiste est vaine, on a adopté une stratégie de compromis, sinon indéfiniment, du moins dans une très large mesure. Et à quoi peut-on assister maintenant ? On peut voir que la communauté « clandestine », autrefois si florissante, court maintenant le risque de mourir de frustration et de découragement, parce qu’elle semble négligée et être considérée comme gênante par le Saint-Siège. La communauté « officielle » paraît bien vivante, avec ses églises ouvertes pleines de monde, et ses évêques, dont plusieurs ont le double agrément, c’est-à-dire celui du gouvernement et du Saint-Siège, mais quelle est la véritable réalité? Une double victoire ?

Lorsque Gianni Valente a voulu faire croire que tout allait bien parce que de nombreuses ordinations épiscopales ont reçu la double approbation, je me suis demandé si le Saint-Siège avait cédé plus de terrain dans les négociations que son homologue chinois.

Evénements récents

Après un grand (je dirais même excessif) acquiescement du Saint-Siège, le gouvernement chinois n’a montré aucune volonté de respecter la nature fondamentale de l’Eglise catholique, telle qu’elle est pacifiquement acceptée par l’ensemble du monde civilisé. En fait, quand l’approbation de l’Eglise a été lente à être accordée, le gouvernement a procédé unilatéralement à de nouvelles ordinations illégitimes, à Chengde (novembre 2010), puis à Leshan (en juin 2011) et à Shantou (en juillet 2011). Le gouvernement chinois a montré ainsi qu’il n’avait pas l’intention d’amender sa politique religieuse.

Devant de tels actes de défiance, qui ont trahi son désir d’un dialogue sincère, l’unique option du Saint-Siège est de revenir à une attitude claire. Le Saint-Siège ne peut pas, par conséquent, être accusé d’être guidé par un esprit de fermeture.

Changement de direction

En réfléchissant sur le passé récent, on a pu constater qu’une politique trop accommodante n’avait pas permis d’obtenir, de la part du gouvernement chinois, la réciprocité souhaitée et qu’en même temps, une compassion mal fondée avait affaibli l’Eglise de l’intérieur. Au point que le Saint-Père a été contraint de s’alarmer au sujet de la possible infiltration d’éléments opportunistes aux plus hauts niveaux de l’Eglise.

Les atermoiements ne constituaient plus une option. Les attitudes qui nous ont été données d’observer lors des deux dernières ordinations illégitimes parlent pour elles-mêmes.

Je comprends que ceux qui ont cru à une situation ‘gagnant-gagnant’ dans le cadre du précédent compromis pensent aujourd’hui que l’Eglise se trompe en faisant preuve d’une attitude de fermeté et de clarté qu’ils perçoivent comme une fermeture.

Pour ceux qui, notamment par le biais de l’Internet à l’intérieur de la Chine, ont pris le pouls sur la façon dont la communauté des fidèles interprète de tels événements, la position ferme et claire du Saint-Siège a été à la fois sage et nécessaire pour regagner la confiance de beaucoup de ceux se sentant désorientés en face d’évêques qui, bien qu’en communion avec le Saint-Siège, accomplissent des actes allant à l’encontre de l’unité de l’Eglise sans être pour autant sanctionnés par le Saint-Siège. En fait, dans le passé, on a souvent évoqué l’excommunication prévue par le Code de droit canon mais on l’a rarement appliquée dans la pratique.

De toute évidence, la situation actuelle est tout à fait différente de celles qui prévalait il y a quelques décennies. Comparer les évêques actuels de la partie « officielle » de l’Eglise avec, par exemple, la figure vénérée de feu Mgr Li Duan, évêque « officiel » de Xi’an, trahit une ignorance complète des faits.

D’aucuns ont tenté de suggérer que l’auteur de ces lignes serait quelqu’un approuvant avec joie la prononciation des peines d’excommunication. Mais les faits rapportés par l’Histoire montreront que j’étais parmi les premiers, il y a vingt ans, à plaider la cause de ceux appartenant à la communauté « officielle ». J’ai même dit devant l’auguste Assemblée synodale pour l’Asie qu’il n’y avait qu’une seule Eglise en Chine. Aujourd’hui, toutefois, je n’en suis plus si sûr.

Nous savons pertinemment que nos frères sont opprimés par les menaces du gouvernement et les multiples tentations qu’il met en avant, mais, confrontés au problème fondamental de l’unité de l’Eglise catholique, il est de notre devoir de les inciter à faire preuve de courage, comme le Saint-Père l’a fait à maintes reprises. Ce serait une fausse compassion de prétendre que leurs échecs sont justifiables.

Pour le moment, inviter à prendre part à des réunions à l’étranger des évêques qui se sont compromis par des actes objectivement destructeurs pour l’unité de l’Eglise semble des plus gênants, parce que dans ce cas, ils ne recevront, selon toute vraisemblance qu’une sorte d’encouragement qui sera ensuite pris abusivement par le reste de l’Eglise comme une approbation de leurs actions. Bien plus, leur donner la parole équivaut à donner une tribune libre à des gens qui ne sont pas libres de dire la vérité et ne peuvent parler que des affaires qui favorisent la cause du gouvernement. C’est cruel envers celui qui est interrogé et injuste envers ses auditeurs, qui auront une conception déformée de la réalité.

Le fait est que nous sommes au bord d’un schisme, avec ces déclarations répétées de vouloir faire une Eglise indépendante et continuer à ordonner des évêques sans mandat pontifical.

Tous les actes de bonté ne sont pas, en vérité, charitables, surtout qu’ils n’aident pas à rester fidèles à la vraie nature de l’Eglise. En outre, ces réunions ont des effets pénibles sur les membres de la communauté « clandestine », qui ne peuvent que se sentir perdus en voyant des membres de l’Eglise universelle honorer ces frères qui sont gravement compromis.

Conclusion

Répondant à la question formulée dans le titre de cet article, je pense que je peux dire que le véritable bien de l’Eglise en Chine ne peut se trouver que dans son retour à sa véritable nature, qui lui a été donnée par son fondateur, Jésus-Christ, et selon la Lettre du pape à l’Eglise en Chine, qui est d’être Une, Sainte, Catholique et Apostolique.

Le vrai bien de l’Eglise en Chine n’est pas de consoler les opprimés qui persistent dans leurs situations ambiguës, mais en les encourageant à en s’en extraire.

Le bien véritable de l’Eglise en Chine n’est pas de continuer à négocier avec des organismes qui ne sont pas seulement étrangers, mais clairement hostiles à l’Eglise, mais en mobilisant évêques et fidèles pour en débarrasser l’Eglise.

Est-ce que je demande l’impossible? Tout est possible à ceux qui veulent rester fidèles aux desseins de Dieu, Celui qui donne la force aux humbles et le courage aux faibles.

(Source: Eglises d'Asie, 27 février 2012)