« Nous ne pouvons pas reculer mais devons nous engager sur le chemin qui mène à la démocratie. » C’est par ces mots que le président de la Conférence des évêques catholiques de Birmanie, Mgr John Hsane Hgyi, a accueilli le 18 novembre à Rangoun l’annonce faite l’avant-veille à Bali par le ministre indonésien des Affaires étrangères selon laquelle la présidence tournante de l’ASEAN serait confiée en 2014 à la Birmanie. ...

Selon l’évêque de Pathein, le fait que les membres de l’Association des Nations du Sud-Est asiatique (1) se soient mis d’accord pour accorder à la Birmanie la présidence de leur organisation en 2014, alors qu’en 2006, la même ASEAN avait refusé à la junte birmane l’honneur de cette présidence pour cause de non-respect des droits de l’homme, est le signe que les membres de l’ASEAN souhaitent « encourager notre pays sur la voie de la démocratie ». Le président de la Conférence épiscopale a ajouté que si la Birmanie voulait « mériter réellement » cette présidence, son pays devait encore accomplir de « grands progrès ». L’évêque enfin a précisé que le train de réformes mis en place ces derniers mois avait eu pour effet de diminuer la peur dans laquelle était maintenu le peuple birman jusqu’alors et que, pour autant que les réformes soient poursuivies, les Birmans montreraient combien ils étaient capables de travailler au développement de leur pays.

Dans l’immédiat, bien que les Etats-Unis aient estimé qu’accorder la présidence de l’ASEAN à la Birmanie était un geste prématuré, le président Obama a toutefois annoncé que son secrétaire d’Etat, Hillary Clinton, se rendrait en visite en Birmanie les 1er et 2 décembre prochains, une première depuis un demi-siècle. Le gouvernement birman a remporté une victoire et récolte par cette décision les fruits d’une ouverture politique et économique sans précédent. En l’espace de quelques mois, la junte militaire transformée en gouvernement « civil » a libéré l’opposante Aung San Suu Kyi, entamé un dialogue suivi avec elle, annoncé la création de syndicats libres et rétabli le droit de grève ; la construction – très impopulaire – d’un barrage sur l’Irrawaddy financé par des intérêts chinois a été suspendue et des réformes économiques importantes annoncées ; des prisonniers de conscience ont été libérés.

Dans les médias de la diaspora birmane comme de plus en plus ouvertement en Birmanie, il est souligné que ces réformes ne constituent qu’une première étape et demandent à être approfondies. Dans ce contexte, tous attendaient que le sommet de l’ASEAN à Bali coïncide avec de nouvelles libérations de prisonniers politiques, de grande ampleur cette fois-ci. Or celles-ci n’ont pas eu lieu. Pour autant, à Rangoun, la formation politique d’Aung San Suu Kyi, la Ligue nationale pour la démocratie (LND), officiellement dissoute il y a un an et demi, a décidé de réintégrer la scène politique officielle en choisissant de « s’enregistrer conformément à la loi ». Son objectif déclaré est de participer aux élections partielles qui doivent avoir lieu prochainement et qui verront la désignation de 42 nouveaux députés. Même si ces élections ne peuvent renverser la donne au Parlement (les futurs parlementaires ne représenteront que 10 % des sièges, l’USDP, parti du pouvoir en place, en détenant 80 %), elles n’en constitueront pas moins un test de la popularité de la LND, Aung San Suu Kyi ayant annoncé que son parti présenterait des candidats dans « toutes les circonscriptions ». En 1990, la LND avait largement remporté les élections sans avoir pu prendre le pouvoir.

Dans ce contexte, fait à la fois d’ouverture et d’incertitude, des intellectuels proches de l’Eglise catholique veulent faire le pari que l’équipe au pouvoir à Nyapyidaw est sincère dans sa volonté de réformes. Prudents, ils expliquent aussi que la communauté internationale doit maintenir sa pression sur la Birmanie et que la présidence de l’ASEAN ne dispensera pas le gouvernement de Thein Sein de poursuivre sa politique de démocratisation. « Le gouvernement ne pourra agir à sa guise et il devra se conformer aux bons usages du droit international, en communiquant et entretenant de bonnes relations avec ses voisins », souligne U Kyaw Khin, ancien professeur d’université en Thaïlande revenu vivre à Rangoun.

Pour l’heure, notent encore les observateurs, l’ouverture manifestée par Nyapyidaw et la réintroduction de la LND dans le jeu politique officiel n’ont pas encore permis d’aborder un sujet clef pour l’avenir du pays, à savoir le degré de participation au pouvoir des minorités ethniques, qui pour certaines d’entre elles sont en conflit armé avec le gouvernement birman (2). Les rapports de plusieurs ONG internationales indiquent qu’en pays kachin et shan, les accrochages entre l’armée gouvernementale et les rébellions ethniques se poursuivent, entraînant d’importants déplacements de population (3).

En Birmanie, où le bouddhisme hinayana (petit véhicule) est dominant (89 % de la population), les Eglises chrétiennes rassemblent environ 4 % de la population (dont un quart de catholiques), principalement parmi les minorités ethniques, notamment les Karen, Kachin et Chin.

(1) Thaïlande, Malaisie, Indonésie, Singapour, sultanat de Brunei, Philippines, Cambodge, Laos et Birmanie.
(2) En 1947, la première Constitution du pays avait posé pour les peuples de Birmanie le principe d’une Union fédérale démocratique. Lors de la seconde guerre mondiale, certaines minorités avaient choisi de s’aligner sur le Japon (Birmans, Arakanais bouddhistes notamment), d’autres restant fidèles aux troupes alliées (Karen, Kachin et populations musulmanes). Le général Aung San, héros de la libération du pays (à la fois des colons britanniques et des envahisseurs japonais) et père d’Aung San Suu Kyi, leader de l’actuelle opposition démocratique, avait donc mené des négociations avec la plupart des chefs de groupes ethniques afin de réunifier cette mosaïque de peuples sous une même fédération. Le 12 février 1947, il signait avec 21 représentants de minorités ethniques (dont les Shan, Chin et Kachin, les Karen ayant refusé de traiter), l’accord de Panglong, au terme duquel la majorité des groupes ethniques acceptait de se réunir en une « Union de Birmanie », sous un régime de type fédéral, avec un gouvernement central mais une forte autonomie pour chacun des sept Etats (à majorité ethnique) et des sept Divisions (à majorité birmane). Cet accord, qui n’envisageait aucune sécession, reste encore aujourd’hui le modèle d’union prôné par les principaux groupes ethniques rebelles.
(3) Voir dépêche EDA du 25 octobre 2011 : http://eglasie.mepasie.org/asie-du-sud-est/birmanie-myanmar/les-operations-de-l2019armee-birmane-en-pays-kachin-s2019intensifient-et-n2019epargnent-pas-les-civils


(Source: Eglises d'Asie, 18 novembre 2011)