THAILANDE: Dans le sud du pays, l’Eglise catholique lance des projets d’aide à la population prise au piège de la guerre civile

Eglises d'Asie, 16 mai 2011 -Dans le sud de la Thailande, en proie à une violente insurrection séparatiste, les populations civiles, qu’elles soient bouddhistes ou musulmanes, sont prises entre les feux croisés des forces gouvernementales et des rebelles islamistes, et vivent un quotidien marqué par la peur, la perte des repères culturels et le manque de solidarité.

Malgré les violences incessantes – le 7 mai dernier, un attentat à la bombe a encore fait une dizaine de morts dans la province de Yala – et la difficulté à maintenir leur présence dans le sud du pays, les institutions d’Eglise multiplient les activités interreligieuses et les programmes d’aide sociale, en particulier auprès des jeunes des deux communautés. Bien que les catholiques, qui constituent une toute petite minorité en Thailande (1) ne soient plus que 400 fidèles à peine pour l’ensemble des trois provinces les plus touchées (Pattani, Yala et Narathiwat), l’Eglise garde une certaine influence dans la région, notamment par le biais d’établissements scolaires.

Depuis que le conflit a pris de l’ampleur en 2004, les attaque des indépendantistes ont fait plus de 4 400 morts dans les provinces méridionales de la Thaïlande, proches de la Malaisie (2). De population majoritairement malaise et musulmane sunnite (contrastant avec l’ensemble de la Thaïlande, bouddhiste à 90 %) les provinces de Pattani, Yala, Songkhla et Narathiwat sont aujourd’hui des territoires à l’insécurité constante, subissant les attentats récurrents des insurgés, les exactions de l’armée et les ravages des trafiquants de drogue.

Le diocèse de Sura Thani qui recouvre toute la partie méridionale de la Thailande (soit 15 provinces dont quatre subissant la rébellion séparatiste) a développé par son centre d’action sociale (DISAC) de nombreux projets qui visent aussi bien à la réconciliation interreligieuse qu’à aider les populations à sortir de leur enclavement socioculturel par des programmes d’alphabétisation et de formation.

En janvier dernier, le DISAC a ainsi lancé un programme de formation pour 3 500 musulmanes dont le mari était mort ou handicapé à la suite d’actes de violence. Financé par l’Union européenne, le programme, étalé sur trois ans, vise à leur enseigner un savoir-faire professionnel afin qu’elles puissent prendre en charge l’entretien de leur famille. Le P. Suwat, directeur du Centre diocésain de développement social, explique que le gouvernement mène des programmes similaires mais que, contrairement à ceux mis en place par le diocèse, ceux-ci ne touchent pas les villages des régions rurales, notamment dans les « zones rouges » où les représentants des autorités ne se risquent pas à pénétrer.

Le DISAC consacre également une grande partie de son activité aux jeunes des communautés musulmanes, comme bouddhistes. Les provinces du sud sont connues pour leur faible taux d’alphabétisation et l’importance du chômage chez les jeunes. Les programmes de formation du diocèse de Sura Thani permettent à ces derniers d’acquérir des connaissances et de monter eux-mêmes leur propre projet. Les programmes du DISAC visent aussi à permettre à ces populations qui ont développé une grande défiance vis à vis du gouvernement, de demander les aides financières qui leur sont nécessaires. « Le véritable challenge consiste à changer la mentalité des gens au sein de la communauté qui se sent victime de discrimination et rejetée par le système. Nous leur enseignons comment fonctionne ce système afin qu’ils puissent comprendre de quelle manière appréhender les administrations officielles et obtenir des aides », expliquait le 10 mai dernier à l’agence Ucanews le P. Suwat.

Le cas d’Ismae Bune, 24 ans, est très représentatif de cette génération de jeunes musulmans thaïlandais dont le désoeuvrement fait partie des pratiques culturelles. Après avoir passé deux ans au chômage à « boire du chachuk [thé local] avec les autres hommes de son âge, pendant que les femmes travaillaient aux champs et tenaient la maison », le jeune homme a décidé de « faire de sa vie quelque chose de plus productif ».

Aujourd’hui il dirige un projet agricole sponsorisé par le DISAC, à Koubesrila, un village du sous-district de Gorlum (province de Pattani), avec cinq autres jeunes musulmans âgés de 20 à 24 ans. Tous étaient auparavant impliqués dans le trafic de drogue qui mine la région.

Mais ces programmes peuvent se heurter à des difficultés dans certains districts comme ceux de la région de Narathiwat, où une simple prise de contact avec les autorités afin de demander des fonds pour un micro-projet, peut être interprétée par les insurgés indépendantistes comme une « collaboration » avec l’oppresseur thaï. Ces derniers mois, bien que les attentats aient continué de viser en priorité les représentant des forces de l’ordre, ils ont cependant touché de plus en plus de civils assimilés au gouvernement thaïlandais, comme des fonctionnaires, des enseignants, ou des représentants religieux (3).

(1) Sur les 61 millions de Thaïlandais, les bouddhistes représentent 90 % de la population, devant 4 millions de musulmans et 300 000 catholiques.

(2) Les rebelles islamistes demandent le rattachement de cette région majoritairement musulmane à la Malaisie (jusqu’en 1909, les provinces de Pattani, Yala, Songkhla et Narathiwat faisaient partie du sultanat de Malaisie. Voir EDA 390 (Cahier de documents), 396, 404, 417, 425, 427 (Cahier de documents), 457, 469.

(3) Voir EDA 390, 393, 404, 417, 425, 427, 457, 469, 522, 535