Eglises d’Asie, 4 juin 2010 – Mgr P.K. George, évêque catholique du diocèse de Miao, en Arunachal Pradesh, un Etat de l’extrême nord-est de l’Inde (1), a démenti formellement toute tentative de conversion forcée par l’Eglise, de membres de la communauté bouddhiste, laquelle a récemment envoyé un courrier en ce sens au gouvernement.

Le 21 mai dernier, deux organisations bouddhistes du district de Changlang ont affirmé que des groupes de chrétiens, liés au Conseil national socialiste du Nagaland (NSCM) (2), pratiquaient des conversions forcées, notamment au sein de l’ethnie Tikhak, bouddhiste, du district de Changlang, lequel fait partie du territoire du diocèse de Miao. L’accusation, largement relayée par les médias locaux, a suivi un récent rassemblement œcuménique de catholiques, baptistes et évangélistes dans la résidence de Mgr P.K George.

L’Arunachal Pradesh est l’un des cinq Etats de l’Inde à avoir adopté une loi anti-conversion et les règlements de comptes interethniques et interreligieux sur la base d’allégations de conversion forcée n’y sont pas rares. C’est en tous cas la lecture qu’en fait l’évêque de Maio, qui y voit l’expression de la jalousie de certaines ethnies locales (dont les Tikhak) vis-à-vis des Chakma, un groupe aborigène du Bangladesh qui s’est installé il y a quelques décennies dans cette région aux frontières de l’Himalaya (3). Comptant un certain nombre de convertis au christianisme dans leurs rangs, les Chakma semblent avoir acquis un développement économique et culturel supérieur à celui de certains groupes autochtones qui ne les apprécient guère. L’Arunachal Pradesh souffre d’un grand retard en matière d’éducation, ayant, entre autres, le taux d’analphabétisme (plus de 45 %) le plus élevé des Etats du Nord-Est de l’Inde.

Selon Mgr Thomas Menamparampil, archevêque de Guwahati (Etat de l’Assam), qui a très longtemps travaillé dans ces zones tribales de la frontière, le taux d’alphabétisation est proportionnel à l’expansion du christianisme et serait passé de 1981 à 2001, de 20 % à plus de 54 %.

Les Chakma chrétiens « ont tous demandé [le baptême] volontairement », réaffirme Mgr George, qui ajoute que l’Eglise promeut la « liberté de religion et n’a aucun lien avec ceux qui forcent les gens à se convertir ». Le prélat, qui exerce depuis plus de vingt ans dans la région, a été nommé à la tête du diocèse de Miao, érigé en 2006 (4).

Les deux organisations qui ont saisi le gouvernement de l’Etat afin qu’il prenne des mesures « immédiates pour faire cesser ces activités [de conversions forcées] » envers les Tikhak, sont des mouvements bouddhistes, l’Indigenous Faith and Cultural Society of Arunachal Pradesh (IFCSAP) et la Purbanchal Bhikkhu Sangha. Ce n’est pas la première fois que de telles accusations sont proférées contre les chrétiens du district de Changlang par des mouvements identitaires autochtones (5). Bien que l’Eglise catholique ait souvent expliqué n’avoir aucun lien avec le mouvement de guérilla armé, l’amalgame entre le NSCM et le christianisme perdure, le mouvement séparatiste continuant de se réclamer d’un « maoïsme chrétien ».

L’Arunachal Pradesh, qui est passé en quelques années de l’interdiction totale d’une activité missionnaire à un essor exponentiel du christianisme (6), a vu surgir des mouvements autochtones en réaction à cette soudaine floraison des Eglises chrétiennes. La population, essentiellement aborigène, compte un peu plus d’un million d’habitants d’une grande diversité ethnique et religieuse. Cette volonté de fédérer les différentes croyances pour une meilleure cohésion identitaire aborigène explique le succès de la religion syncrétique de Donyi-Polo (dieu Soleil-Lune), un nouveau culte promu entre autres par l’IFCSAP, lequel a obtenu que le 31 décembre – célébration majeure de Donyi-Polo – devienne un jour férié en Arunachal Pradesh.

Actuellement, selon des sources ecclésiastiques, près d’un quart de la population de l’Etat adhérerait au christianisme dont la moitié au catholicisme. Les autres dénominations chrétiennes se partageraient entre baptistes, pentecôtistes et diverses dénominations évangéliques. Environ 15 à 20 % de la population pratiquerait le bouddhisme, implanté de longue date dans la région (bouddhisme theravada et bouddhisme tibétain), le reste des habitants aborigènes de l’Etat étant adeptes de pratiques animistes et chamaniques.

Lors de la consécration à Miao de la première cathédrale de l’Anurachal Pradesh, le 5 mai dernier, une statue du Christ de 12 mètres de haut a été érigée devant la cathédrale qui s’élève au sommet d’une montagne. Preuve du changement d’attitude du gouvernement envers les chrétiens qui sont désormais une présence qui compte dans l’Etat, c’est le ministre des Finances de l’Arunachal Pradesh qui a dévoilé la statue au cours de la cérémonie qui a suivi la dédicace de la cathédrale, présidée par le cardinal Toppo. « Cette figure du Christ, les bras grand ouverts, qui peut être vue de toute la région de Miao, invite chacun à chercher la paix et suivre le chemin de l’amour », a déclaré Mgr P. K. George lors de la célébration.

(1) L’Arunachal Pradesh, situé dans les contreforts himalayens, est bordé par le Bhoutan, la Birmanie et la Chine. Les relations entre l’Union indienne et la République populaire de Chine, qui revendique depuis 1947 une partie de l’Arunachal Pradesh en tant que « Tibet méridional », se sont encore dégradées lors de la venue du dalaï lama dans l’Etat indien en novembre dernier (voir EDA 516). L’Arunachal Pradesh, appelé North East Frontier Agency (NEFA) jusqu’en 1987, a été l’objet d’incursions militaires et d’occupations intempestives chinoises entre 1959 et 1962.
(2) Le National Socialist Council of Nagalim (NSCN-IM) est une organisation séparatiste armée qui lutte pour la création d’un Etat naga (voir EDA 530). Le NSCN a démenti les accusations de conversions forcées des organisations bouddhistes, reprochant à celles-ci de vouloir ternir son image alors qu’il est en pleine négociation avec le gouvernement fédéral.
(3) Les Chakma forment la plus importante ethnie aborigène des Chittagong Hill Tracts de l’actuel Bangladesh. Plusieurs milliers d’entre eux se sont réfugiés en Inde dans les années 1960 puis 1980, suite aux graves persécutions qu’ils subissaient ainsi qu’à l’inondation de leur territoire par la construction d’un barrage, lorsque la région était sous domination pakistanaise. Contrairement aux autres tribus aborigènes de la région, les Chakma parlent une langue d’origine tibéto-birmane qui a subi des transformations la classant aujourd’hui dans le groupe « bengali-assamais », indo-aryen. Les Chakma, majoritairement bouddhistes (theravada), évaluent leur population à 3 millions d’individus, répartis au Bangladesh, en Inde et en Birmanie.
(4) Mgr George Pallipparampil, salésien et originaire du Kerala, a été le premier prêtre à résider réellement en Arunachal Pradesh malgré les interdictions concernant les activités missionnaires. Il a été élevé à l’épiscopat en 2006 par Benoît XVI, en même temps qu’était érigé le diocèse de Miao. Il est également président de la Commission pour l’évangélisation de la région Nord-Est. Aujourd’hui, les catholiques du diocèse de Miao sont estimés à 75 000, soit environ 17 % de la population (www.miaodiocese.org).
(5) En 2004, le Purbanchal Bhikkhu Sangha déclarait à la presse que le NSCN menaçait les bouddhistes afin de les forcer à embrasser le christianisme (Cf. Arunachal Pradesh Timeline, 9 juin 2004).
(6) Ce sont deux prêtres des Missions Etrangères de Paris (MEP), martyrisés dans la région en 1854, qui sont à l’origine de l’introduction du christianisme en Arunachal Pradesh, suivis peu de temps après par des salésiens. Mais, sous la tutelle britannique comme après l’indépendance, les missionnaires ont été ensuite interdits par une réglementation sévère édictée au nom de la protection de la culture aborigène locale. En 1978, une loi anti-conversion a renforcé les restrictions religieuses; les chrétiens étaient pourchassés, les lieux de culte détruits. Malgré ces mesures, l’Eglise, très minoritaire et essentiellement laïque, a connu un essor fulgurant à partir des années 1990, où l’accès des missionnaires à la région a de nouveau été autorisé. Voir EDA 176, 431

(Source: Eglises d'Asie, 4 juin 2010)