VIETNAM

Interview de Mgr Joseph Ngô Quang Kiêt, archevêque de Hanoi, après la nomination d’un archevêque coadjuteur, Mgr Nguyên Van Nhon

[NDLR: La nomination d’un archevêque coadjuteur à Hanoi et la perspective de voir s’éloigner de son poste l’actuel archevêque, Mgr Joseph Ngô Quang Kiêt, a soulevé une grande émotion dans la population catholique de l’archidiocèse, fort attachée à son actuel pasteur, ainsi que dans toute l’Eglise du Vietnam. Une lettre demandant le maintien de Mgr Kiêt à son poste a été mise en ligne sur Internet où elle est proposée, ces temps-ci, à la signature des catholiques. Dès avant l’annonce officielle de la nomination de l’archevêque coadjuteur, un certain nombre d’articles écrits par des catholiques ont avancé plusieurs versions hypothétiques des faits, soulignant les pressions exercées par le pouvoir et suggérant des « marchandages » entre la Conférence épiscopale, le Saint-Siège et les autorités civiles du Vietnam. Dans une interview publiée, le 22 mars 2010 sur le site officiel de la Conférence épiscopale du Vietnam, Mgr Joseph Ngô Quang Kiêt a tenu à couper court, lui-même, à ce genre de conjectures. Avec clarté, il affirme avoir toujours reçu un soutien total de la Conférence épiscopale et déclare avoir proposé sa démission pour des raisons de santé. Avec une force particulièrement convaincante, il souligne l’absurdité des accusations lancées contre l’épiscopat vietnamien dans cette affaire de nomination. Les questions ont été posées par le service d’information de la Conférence épiscopale. La traduction en français a été réalisée par la rédaction d’Eglises d’Asie.]

Nous nous réjouissons de votre retour à Hanoi. Excellence, quel est l’état de votre santé aujourd’hui ?

Mgr Joseph Ngô Quang Kiêt: Merci de vous soucier de moi. La Congrégation pour l’évangélisation des peuples avait réservé pour moi une place à l’hôpital Gemelli. Le Conseil pontifical Cor Unum, lui, s’était mis en rapport avec l’Università campus bio-medico de Rome. L’invitation de Cor Unum m’étant parvenue en premier, je suis entré dans cette dernière institution, fort moderne. La faculté de médecine de l’université de Rome se trouvant à l’intérieur de cet hôpital, il s’y trouvait beaucoup de professeurs et de médecins psychiatres dispensant leurs soins au moyen d’un équipement ultramoderne. Cependant, au bout d’un mois d’observation et de soins, ma maladie n’avait guère évolué. Les professeurs et les médecins en ont conclu qu’il fallait que je me repose pendant longtemps si je voulais restaurer ma santé.

Nous venons d’apprendre, comme vous-même, l’information annonçant la nomination de Mgr Pierre Nguyên Van Nhon, président de la Conférence épiscopale du Vietnam, comme archevêque coadjuteur de Hanoi. Nous nous réjouissons que vous-même ainsi que le diocèse de Hanoi puissent bénéficier désormais de la présence d’un archevêque coadjuteur. Il existe des rumeurs affirmant que le Saint-Siège avait l’intention de nommer Mgr Pierre Nhon directement archevêque. Mais, à cause de la pression de l’opinion publique, il avait ensuite fallu changer de décision. Quelle est donc la vérité ?

L’actuel président de la Conférence épiscopale est une personne digne de respect et parfaitement capable d’assumer la fonction d’archevêque. Personne ne sait exactement la vérité ! Il s’agit du secret du Saint-Père. Cependant, nous savons que le processus de nomination d’un évêque est fort complexe et doit passer par un certain nombre d’étapes. Le contenu du dossier d’un évêque est assez épais et il faut y consacrer beaucoup de temps. L’opinion publique est l’un des éléments à considérer, mais il faut savoir qu’étant donné la façon de travailler du Saint-Siège, celui-ci ne peut changer d’idée d’un jour à l’autre. Par ailleurs, il est facile de comprendre qu’il aurait été absurde de nommer un nouvel archevêque alors que l’archevêque en poste était encore en activité.

Concernant cette nomination d’un archevêque coadjuteur à Hanoi, une rumeur circule selon laquelle l’actuel archevêque doit quitter Hanoi sous la pression du Saint-Siège, des autorités civiles du Vietnam et de la Conférence épiscopale. Pourriez-vous nous éclairer à ce sujet ?

Personnellement, je n’ai subi aucune pression. Le Saint-Siège comme la Conférence des évêques ont toujours été de mon côté et m’ont soutenu lorsque que j’ai été attaqué. Jamais, ils ne m’ont demandé, même sous la forme détournée d’une suggestion, de démissionner. Je n’ai subi que la pression de la conscience de mes responsabilités. Depuis deux ans, mon état de santé se détériore et je ne peux plus accomplir de travaux efficaces dans le domaine intellectuel. J’ai exposé cela au Saint-Siège et demandé ma démission pour le bien de l’Eglise et plus particulièrement pour celui de l’archidiocèse de Hanoi. Lors de la visite ad limina à Rome [en juin 2009], en apprenant cela, les évêques ont protesté. Ceux de la province ecclésiastique de Hanoi ont même écrit une requête adressée au Saint-Siège. Mais lorsqu’ils ont compris qu’il n’y avait aucune pression de l’Etat ou du Saint-Siège, ils ont alors respecté mon intention.

Vous nous avez confié: « Actuellement, il y a beaucoup de déclarations inexactes concernant des personnes liées à l’archevêché de Hanoi. » Pouvez-vous informer davantage nos lecteurs sur le problème des médias, plus particulièrement des médias catholiques ?

L’archevêché de Hanoi, à l’heure actuelle, est l’objet de l’attention de nombreuses personnes. Cette attention se porte sur le processus de nomination épiscopale, un processus qui se déroule toujours dans la discrétion et le secret, ce qui attire encore davantage la curiosité. Celle-ci amène à des spéculations. Lorsque ce qui n’est qu’une supposition est présenté comme une vérité, alors on franchit une barrière. Surtout lorsque ces spéculations aboutissent à des conclusions qui sont en fait des accusations. Ceci est très dommageable.

Si les moyens de communication profanes sont tenus de respecter la vérité, cela est encore plus vrai des médias catholiques, qui, de plus, doivent faire preuve de charité. Pour privilégier la vérité avant tout, les organes d’information catholiques doivent comprendre la nature de l’Eglise et des activités qui y sont pratiquées. Par exemple, la nature du processus de nomination d’un évêque. La charité impose que l’information proposée ait un caractère constructif. Naturellement, il ne s’agit pas de camoufler les faiblesses, les défauts de l’Eglise. S’il n’y a pas de vérité et qu’en outre, la charité est absente, alors la communication peut devenir une arme terrible répandant venin et destruction.

A cette occasion, pouvez-vous permettre à nos lecteurs de mieux comprendre le processus de nomination épiscopale par le Saint-Siège. Quel rôle y jouent les Conférences épiscopales, dont celle du Vietnam ?

Généralement une nomination épiscopale comporte les étapes fondamentales suivantes: en premier lieu, lorsque s’en manifeste le besoin, l’évêque du lieu fait au Saint-Siège une proposition, à laquelle est jointe une liste de candidats capables de remplir cette charge. Dans une seconde étape, le Saint-Siège examine la liste des candidats et s’informe sur eux grâce à des sondages effectués auprès de nombreuses personnes bénéficiant d’un bon renom. Dans une troisième étape, les organes compétents (assez nombreux) et les conseillers qui les entourent tiennent une réunion durant laquelle, en s’appuyant sur les renseignements recueillis, ils examinent les candidats, choisissent le plus digne et le plus capable de ceux qui ont été présentés sur la liste. Dans le cas où ils ne trouvent pas de candidats appropriés, ils se tournent alors vers l’ordinaire du lieu pour lui demander de refaire sa liste. Le processus de nomination recommence alors à son début. Si le choix du candidat a pu avoir lieu, il faut, bien entendu, demander son accord à l’intéressé. Ce n’est qu’ensuite que le Saint-Père le nomme officiellement et choisit le jour où cette nomination sera annoncée. Ainsi, on peut voir que la Conférence épiscopale ne joue aucun rôle officiel dans la nomination d’un évêque. Le Saint-Siège se contente de demander l’opinion d’un certain nombre d’évêques concernés.

Permettez-moi de revenir avec vous sur des événements survenus il y a deux semaines. La première assemblée de la Conférence épiscopale pour l’année 2010 s’est déroulée au sanctuaire de la Vierge de Bai Dau, dans le diocèse de Vung Tau, du 5 avril au 9 avril 2010. Bien que vous n’ayez pas pris part à cette assemblée, vous avez très certainement suivi son déroulement et vous vous êtes uni à elle dans une prière de communion.

Bien que je n’aie pas participé à cette assemblée, je l’ai suivi et me suis tenu informé de son déroulement. Cette assemblée a certainement été très animée car les débats portaient sur la célébration de l’Année sainte qui fait parti de l’actualité de l’Eglise du Vietnam et est, pour elle, la chose la plus importante. Mais, peut-être, d’autres affaires, bien que plus marginales, étaient d’une actualité plus brûlante. Je n’ai donc cessé de suivre le déroulement de cette assemblée et de prier pour elle avec ferveur.

Cette assemblée s’est terminée et, aussitôt après, l’évêque faisant fonction de secrétaire général adjoint a signé le procès-verbal de l’assemblée. Ce document est destiné à aider la totalité du Peuple de Dieu au Vietnam et tous ceux qui sont intéressés par le contenu des délibérations des évêques. Cependant, une information circule selon laquelle la Conférence épiscopale a débattu, au cours de cette assemblée de question de personnes en rapport avec l’archevêché de Hanoi. Que pensez-vous de cette information ?

Ce type d’informations démontre le peu de compétence de leurs auteurs sur le fonctionnement de l’Eglise, ou alors leur volonté d’orienter l’opinion vers d’autres directions… Il faut le dire tout de suite: la nomination des évêques dépend de l’autorité du Saint-Père et ne relève pas de la compétence de la Conférence épiscopale. Celle-ci ne s’est certainement pas permis de débattre de ce sujet. Par ailleurs, il s’agit là d’un secret pontifical [en français dans le texte] que chacun doit respecter absolument. Il peut y avoir des sondages, mais ce ne sont que des consultations qui n’ont pas de caractère définitif. C’est bien pourquoi les évêques n’ont pas discuté de sujets qui échappent à leur compétence.

Puisque nous avons l’honneur de vous interroger, nous voudrions vous inviter à partager avec le Peuple de Dieu vos sentiments sur d’autres sujets encore, particulièrement sur cette période de célébration de l’Année sainte 2010, où l’Eglise médite sur les thèmes: « Eglise – mystère – communion – mission » et se prépare à la grande assemblée du Peuple de Dieu prévue pour se dérouler à Saigon au mois de novembre 2010.

La communion est une chose très précieuse mais très difficile. Elle n’est pas toute faite, mais il faut la construire. En théorie tout le monde la connaît. Mais la communion n’existe véritablement que lorsqu’elle est pratiquée. Nous avons vécu une expérience de communion lors des cérémonies d’ouverture de l’Année sainte à So Kiên. Toutes les composantes du Peuple de Dieu étaient présentes, depuis son centre jusqu’à la périphérie. Toutes les classes, toutes les professions, toutes les capacités ont collaboré ensemble. La participation était à la fois plurielle et riche, mais en même temps témoignait d’un accord profond. Toutes les différences ont été respectées et considérées. Cela a été véritablement un témoignage vivant et convaincant. Ce fut une homélie éloquente concernant la foi vivante. Je souhaite que tous les éléments du Peuple de Dieu continuent dans cet esprit lors de la grande assemblée du Peuple de Dieu, lors de la messe de clôture de l’Année sainte et dans toutes les activités à venir de l’Eglise. Tel sera l’important ouvrage que l’Année sainte réussira à accomplir, la communion dans l’Eglise et, grâce à elle, l’accomplissement de la mission de l’Eglise au Vietnam.