PHILIPPINES: L’Eglise catholique s’inquiète du maintien en détention dans un camp de l’armée de 43 travailleurs du secteur médical, soupçonnés de soutenir la rébellion communiste

Eglises d’Asie, 7 avril 2010 – Le 7 avril, la Conférence épiscopale catholique des Philippines a pris position et, par un communiqué officiel, demandé que les droits constitutionnels de 43 travailleurs du secteur médical arrêtés non loin de Manille le 6 février dernier et maintenus depuis en détention sur une base militaire soient respectés.

Dans le communiqué, dont rend compte l’agence Ucanews (1), Mgr Nereo Odchimar, évêque de Tandar et président de la Conférence des évêques catholiques des Philippines, écrit que « l’arrestation hors de toute procédure judiciaire et le maintien en détention des ‘43 de Morong’ sur une base militaire constitue une grave menace pour les libertés civiques du peuple philippin ». Soupçonnées par les autorités d’appartenir ou de soutenir la rébellion communiste (2), les personnes détenues sont d’autant plus « vulnérables à des abus supplémentaires » que leur détention se passe à l’abri des regards, dans un camp de l’armée, poursuit l’évêque.

L’arrestation du groupe remonte au 6 février dernier lorsque des forces de police ont investi le local où se tenait, selon des proches des personnes arrêtées, « une mission médicale ». Des médecins, des infirmières et d’autres personnes appartenant à une fondation proche de l’Eglise du Christ unie des Philippines, structure qui rassemble depuis 1901 différentes Eglises évangéliques et méthodistes, se trouvaient réunis à Morong, localité de la province de Rizal, à l’est de la capitale philippine. Selon la police, ces travailleurs du secteur médical assistaient en réalité à une session de formation à la confection de bombes et certains d’entre eux ont avoué appartenir à la rébellion communiste. Depuis, l’affaire occupe la une des médias.

Pour Mgr Odchimar, ces aveux ne peuvent être retenus en l’absence de garantie sur les circonstances dans lesquelles ils ont été recueillis. Exercées dans le cadre d’une détention, des pressions physiques et psychologiques peuvent amener des confessions fausses ou inexactes, a précisé l’évêque, par ailleurs spécialiste du droit canon. Des parents des personnes détenues ont déclaré à la presse que leurs enfants subissaient des pressions pour qu’ils témoignent contre leurs codétenus. Ils ont par ailleurs saisi la Commission des droits de l’homme, organisme officiel et indépendant du gouvernement.

L’évêque a également critiqué le fait que la justice soit maintenue en-dehors du camp militaire où sont détenus les ‘43 de Morong’. Ceux-ci étaient en effet parvenus à faire sortir une pétition demandant à bénéficier de l’habeas corpus, mais leur demande a été rejetée par la Cour d’appel de Manille. Pour Mgr Odchimar, les juges ont « de fait légitimé les violations [des droits de l’homme] que les militaires pourraient commettre sur la personne des travailleurs de santé ».

Une telle décision de justice est la porte ouverte à de futures arrestations et détentions illégales, y compris de personnels travaillant pour l’Eglise, a mis en garde l’évêque catholique. On peut craindre qu’à l’avenir, le clergé et les laïcs qui travaillent au développement des communautés pauvres et marginalisées des campagnes soient considérés comme effectuant une tâche subversive, a-t-il fait valoir. « Désormais, nous ne pouvons que craindre qu’un jour, les efforts que nous déployons pour aider les pauvres et les marginalisés soient perçus comme autant de menaces et que, nous aussi, soyons dénoncés comme faisant partie des rebelles », a conclu le président de l’épiscopat philippin.

Aux Philippines, l’armée et les forces de l’ordre sont régulièrement accusées de violations des droits de l’homme, notamment dans la lutte contre la guérilla communiste. Ces dix dernières années, plus de 1 000 personnes liées à la gauche ont été assassinées de manière inexpliquée et l’armée est considérée comme principale responsable de ces crimes. Depuis deux ans, toutefois, date de la publication d’un rapport de Philip Alston, mandaté par l’ONU pour enquêter sur les exécutions extrajudiciaires, le nombre de ces assassinats est en nette baisse. De plus, l’Union européenne vient de débuter un programme de coopération pour aider le pays à se débarrasser de ces pratiques.

(1) Ucanews, 7 avril 2010.

(2) La rébellion communiste philippine a pris son essor dans les années 1970, du temps de la loi martiale. Elle se bat pour une meilleure répartition des terres et une plus grande justice pour le monde paysan. Après le retour à la démocratie en 1986, des négociations ont été entreprises, en particulier sous la présidence Ramos en 1992, négociations auxquelles ont pris part les représentants du Front démocratique national communiste des Philippines (NDFP, le Parti communiste des Philippines) et de son bras militaire, la Nouvelle armée du peuple (NPA - New People’s Army). A de nombreuses reprises, les négociations été interrompues, à l’occasion de différents incidents ou assassinats. Depuis son arrivée au pouvoir en 2001, la présidente Gloria Arroyo a intensifié la lutte contre la rébellion. En 2002, la NPA a été placée par les Etats-Unis sur leur liste des organisations terroristes et, en 2005, l’Union européenne a fait de même. Le dernier incident meurtrier en date s’est produit le 6 mars dernier, lorsque onze soldats philippins ont été tués dans une embuscade tendue par la NPA sur l’île de Mindoro.