INDE: L’Eglise catholique s’engage à œuvrer toujours davantage pour l’intégration des dalits

A l’issue d’une session commune, qui s’est tenue du 6 au 8 mars dernier à Bangalore (Etat du Karnataka), la Commission pour les dalits et les peuples aborigènes et la Commission Justice, Paix et Développement de la Conférence des évêques catholiques de l’Inde (CBCI) ont publié une déclaration engageant l’Eglise à travailler toujours davantage à l’intégration des dalits, anciennement appelés « intouchables ».

Le terme « dalit » en sanskrit signifie littéralement « écrasé, piétiné », un concept que revendiquent aujourd’hui les « intouchables » pour décrire leur oppression au sein du système traditionnel des castes de l’Inde (1). En dépit de l’abolition officielle, en 1950, de l’« intouchabilité » et la mise en place d’un système de discrimination positive par le gouvernement indien (2), la société indienne continue de considérer les dalits comme une population à part.

Dans leur déclaration de clôture, les commissions épiscopales déplorent que les dalits qui deviennent chrétiens et sont en droit d’espérer vivre « dans une société juste et égalitaire » fassent encore aujourd’hui l’expérience de « l’horreur de l’exclusion, du rejet et de l’oppression », y compris au sein même de l’Eglise. Huit évêques et 89 représentants de différentes régions de l’Inde assistaient, selon l’agence Ucanews (3), à cette session de réflexion, qui avait pour thème: « Construire une communauté non discriminatoire à travers la promotion sociale des dalits ».

La Commission pour les dalits et les peuples aborigènes a proposé d’organiser des séminaires régionaux, ainsi que des sessions de formation pour faire connaître aux prêtres, aux religieuses et aux laïcs la situation des dalits chrétiens et rendre à ces derniers le respect auquel ils ont droit dans l’Eglise. D’autres propositions visaient le développement de la littérature ou de la recherche sur les dalits, ou encore la dénomination d’une « Eglise dalit », étant donné que trois membres sur quatre de l’Eglise de l’Inde font partie des « intouchables ».

L’élaboration d’une « théologie davantage axée sur la non-discrimination » a été également un des sujets évoqués, un thème récurrent au sein des Eglises chrétiennes de l’Inde (4). En conclusion, la déclaration affirmait que l’Eglise de l’Inde ne pourrait devenir « un authentique témoin de l’Evangile » que si elle aidait le peuple dalit à se libérer en s’identifiant à ses aspirations, ses espoirs et ses luttes.

Au cours de la session, Mgr Anthonisamy Neethinathan, évêque de Chingleput, dans l’Etat du Tamil Nadu, a souligné le fait que la plupart des missionnaires avaient toléré ou fait des compromis avec le système des castes dans l’Eglise, et que cela continuait aujourd’hui, du moins dans certaines régions. Le prélat, lui-même dalit, se réfère à des événements récents qui se sont produits dans son diocèse, comme un conflit meurtrier en 2008 entre paroissiens dalits et ceux des basses castes, suivis de la conversion spectaculaire de 300 dalits chrétiens à l’hindouisme, essentiellement en raison de la forte discrimination qu’exerçaient contre eux les membres de leur communauté chrétienne appartenant à des castes supérieures (4).

Mgr Neethinathan a cependant fait part de son espoir que l’Eglise de l’Inde soit « une seule et grande famille » où chacun pourrait trouver sa place, concluant que les dalits sont l’avenir de l’Inde et de l’Eglise.

Le P. G. Cosmon Arokiaraj, secrétaire de la Commission épiscopale pour les dalits et les peuples aborigènes, est, quant à lui, revenu sur la « grande nécessité » pour l’Eglise d’intégrer les revendications des dalits: « Nous devons mettre en place une option préférentielle pour les personnes marginalisées, spécialement les dalits, dans toutes nos missions. » Le prêtre a déclaré que l’objectif de la consultation était de promouvoir « l’intégration, l’émancipation et la non-discrimination dans le contexte indien ».

La déclaration de la consultation de Bangalore s’inscrit dans une politique menée par l’Eglise depuis déjà de nombreuses années en faveur des dalits. En mars 2006, l’assemblée plénière de la Conférence épiscopale indienne, par la bouche du cardinal Toppo, rappelait que la marginalisation était « (…) le résultat du système des castes ». Le prélat avait ajouté que ce système avait « des répercussions sur l’Eglise » et qu’il était important de rappeler qu’il « était condamnable et conduisait au péché ». (5)

Le 8 mars dernier, alors que se clôturait la session de la commission, se tenait également une grande manifestation de femmes dalits à Jaipur, dans l’Etat du Rajasthan. A l’occasion de la Journée mondiale des femmes, le mouvement de défense des droits des femmes dalits indiennes (All Indian Dalit Mahila Adhikar Munch, AIDMA) avait lancé un appel pour « réclamer justice au gouvernement ». Venues de Jaipur et des villages environnants, les manifestantes se sont rassemblées en scandant: « Vive l’unité des femmes dalits ! », « Nous voulons des terres ! », « Non au brahmanisme ! » (6).

Parmi les dalits, les femmes sont encore moins considérées et doivent faire face à une double discrimination. Elles sont les victimes non reconnues d’exactions récurrentes de la part des membres des castes supérieures, subissant violences, viols et même meurtres. Plus de 80 % d’entre elles vivent en zone rurale, où elles ne peuvent généralement avoir accès ni à l’éducation (5 % d’entre elles savent lire au Rajasthan), ni aux soins de santé, ni à aucune promotion sociale ou participation politique.

(1) Le système des castes en Inde divise la société en quatre groupes hiérarchisés dominés par les brahmana (prêtres), suivis des kshatriya (guerriers), puis des vaisya (agriculteurs, propriétaires terriens, artisans, commerçants), et enfin des sudras, au service des autres castes. Les dalits, tout en bas de l’échelle, sont exclus du système: ce sont des avarnas (‘hors castes’), considérés comme impurs (‘intouchables’), ayant pour fonction d’exécuter les tâches jugées dégradantes. Ils sont, pour ces raisons, contraints à la ségrégation, encore souvent séparés dans les écoles, interdits d’entrée dans nombre de bâtiments publics, magasins, maisons et temples hindous ainsi que sur les lieux d’incinération, et fréquemment interdits d’accès à l’eau potable.

(2) Le dispositif indien de « postes réservés » fonctionne sur la base de quotas pour des emplois dans la fonction publique ou l’enseignement, accordés aux Scheduled Castes (dalits) et aux Schedules Tribes (ST), peuples aborigènes, lesquels ne sont pas reconnus par le système des castes et sont exclus à la fois socialement et géographiquement.

(3) Ucanews, dépêche du 13 mars 2009

(4) Par exemple, un colloque international sur « la théologie dalit » s’est tenu en janvier 2008 à Kolkata (Calcutta), dans l’Etat du Bengale-Occidental, organisé par le Conseil Œcuménique des Eglises et le Conseil pour la mission mondiale (Council for World Mission), deux organismes de mouvance essentiellement protestante.

(5) Voir EDA 436.

(6) aujourdhuilinde.com, 10 mars 2009.