Thai Ha: regarder en arrière pour mieux aller de l’avant
par Jean Nguy Thach Hà


[NDLR - Le texte ci-dessous, signé de Jean Nguyên Thach Hà, a été diffusé par l’agence VietCatholic News, traduit et adapté par Eglises d’Asie. Il est difficile d’estimer dans quelle mesure il représente l’opinion générale de la communauté catholique. Il témoigne cependant que, pour certains chrétiens, les luttes pacifiques, en forme de rassemblements de prières, menées à Thai Ha et à l’archevêché de Hanoi, ne sont pas des actions isolées et temporaires. Pour l’auteur de ce texte, les deux récentes affaires s’inscrivent au sein d’un mouvement plus général de transformation de la société vietnamienne, une transformation que l’Eglise catholique se doit de mener, associée aux autres organisations de la société civile. Le texte montre enfin le profond changement intérieur, la « conversion » que les événements sont en train d’opérer dans les cœurs et les esprits de la communauté catholique qui découvre le rôle qu’elle est capable de jouer.]

Hanoi, le 13 novembre 2008,

Le silence est retombé sur la paroisse de Thai Ha. Un calme provisoire a succédé aux récentes confrontations. Cependant, les vagues soulevées par le mouvement pour la justice et la paix continuent de déferler sur l’ensemble du pays, où se succèdent les processions aux flambeaux et les assemblées de prières en communion avec ces revendications. Où que l’on aille, on se réfère aux événements de Thai Ha comme à une sorte de lueur venue éclairer une société étouffante et pleine de confusion. Partout où l’on va, ces événements sont considérés comme ayant commencé à transformer les conceptions de la société à propos de la vérité, de la religion et à réveiller les consciences des hommes de bonne volonté (…).

Plus encore, les événements de Thai Ha ont obligé l’Eglise catholique du Vietnam à prendre conscience que jamais la foi ne peut être séparée de la vie quotidienne. Les événements ont suscité l’intérêt de nombreuses catégories de personnes, de nombreux milieux. Depuis 1954 (date de l’établissement de la République démocratique du Vietnam), jamais un événement religieux n’avait attiré l’attention de l’opinion publique comme ceux qui viennent d’avoir lieu à Thai Ha.

Cette fois, la hiérarchie a s’est senti investie par la mission prophétique que le Seigneur lui a confiée, à savoir manifester au grand jour la communion qui est au cœur même de l’Eglise, une communion certes fort ancienne mais qui, par suite des circonstances et de la peur, n’avait pas encore été estimée à sa juste valeur.

En ce qui concerne la communauté des fidèles, après avoir vécu de longues années dans la discrimination religieuse, la persécution et la terreur, ils ont ouvert à deux battants les portes derrière lesquelles ils s’étaient retranchés. Ils ont échappé à la terreur intérieure qui altère la conscience de tant de gens. Beaucoup d’entre eux se sont convertis. On peut voir dans ces événements un signe surnaturel donné par le Seigneur à son Eglise, signe avant-coureur d’une orientation pastorale de l’Eglise conforme à son époque.

Que ces événements aient préoccupé et préoccupent aujourd’hui les détenteurs du pouvoir de ce régime injuste et sans respect pour la justice et la vérité, cela est un signe évangélique au sein d’un monde obscur et pécheur. Les dirigeants de l’Eglise, les fidèles chrétiens ont ainsi pu faire connaissance avec un élément nouveau, important et nécessaire pour l’édification d’une société civile, fondement d’une société démocratique et civilisée.

Les analyses récentes de la situation politique et sociale montrent que si nous voulons progresser vers la démocratie et la justice, il est nécessaire d’édifier une société civile où les droits de l’homme seront respectés. Mais, pour ce faire, il est nécessaire de rassembler les forces des organisations, des associations religieuses, les voix diverses du pluralisme… Avant tout, il est indispensable d’avoir avec soi la force du peuple.

Le point fort de l’Eglise catholique, c’est la communion dans la foi. C’est elle qui, dans les affaires de Thai Ha et de la Délégation apostolique, a constitué le défi le plus important pour les pouvoirs publics. Ils en ont été embarrassés et ont été conduits à prendre des initiatives erronées qui ont créé la division intérieure et affaibli le régime. Le texte intitulé « Point de vue de la Conférence épiscopale du Vietnam » envoyé au gouvernement de la République socialiste du Vietnam a, en fait, repris le point de vue du concile Vatican II qui affirme le rôle de l’Eglise dans la société: « L’Eglise ne fait pas de politique mais ne se tient pas en marge de la société. »

La foi nous apprend que le Seigneur Jésus s’est incarné pour entrer dans le monde. Il ne s’est pas tenu en marge de la société. Bien au contraire, il a condamné avec vigueur un régime social immoral, injuste, foulant au pied la vérité et la justice. S’adressant aux dignitaires de la religion juive, il les a traités de serpents venimeux. Hérode a été traité de « vieux renard » (Luc 13,32). Il s’est engagé pour une société plus libre et plus juste. Il a dit: « Je suis venu témoigner de la vérité. Qui se tient du côté de la vérité écoute ma voix. » Se tenir du côté de la vérité et de la justice, c’est se tenir du côté du Seigneur Jésus, c’est aussi se tenir du côté des pauvres et des opprimés.

L’Eglise ne peut se tenir à l’écart de la vérité. La mission prophétique des catholiques se réalise avant tout et surtout par la dénonciation des injustices et l’annonce, à l’exemple du Christ, d’une paix authentique dans la vérité et la justice. Aujourd’hui, le flambeau de la justice de la paix a été allumé. Ne vous endormez pas de peur que cette flamme ne s’éteigne !

(Source: Eglises d'Asie, 26 novembre 2008)