Le mois de décembre est l’époque où l’on dresse les bilans. En cette fin de l’année, l’auteur du texte ci-dessous, qui signe sous le nom de Lê Minh Nguyên, fait le point sur la situation du Parti communiste au Vietnam, un parti qui depuis cinquante ans détient le monopole du pouvoir. Ce bilan est d’autant plus urgent que le Parti est en train de préparer son XIIe Congrès, qui devrait se tenir en janvier 2016. Le texte met en doute la capacité des dirigeants actuels à apporter une solution aux graves problèmes actuels et à procéder aux choix qui s’imposent.

La Rédaction d’Eglises d’Asie a traduit le texte vietnamien mis en ligne le 13 décembre 2014 sur le site de l’agence Vietnam Redemptorist News (VRNs).

Le dixième plénum du Comité central du Parti communiste vietnamien va se réunir à partir du 20 décembre 2014. C’est une réunion importante qui devrait débattre des graves problèmes soulevés par la prochaine tenue du XIIe Congrès du Parti qui devrait avoir lieu au mois de janvier 2016, c’est-à-dire dans treize mois, si du moins, ce dernier est organisé aux dates prévues par le calendrier officiel.

Il faut dire tout d’abord que le Xe plénum a pris un retard anormal et n’a sans doute pas été soigneusement préparé. En conséquence, on peut penser que les désaccords concernant le choix du personnel et de la ligne politique vont se multiplier pendant les douze mois à venir.

Il existe en effet de nombreux problèmes importants dans lesquels le Parti est empêtré aujourd’hui et pour lesquels il ne trouve aucune solution.

1. Dans sa majorité, la génération des dirigeants actuels a atteint ou dépassé les 65 ans ; ces responsables devraient donc démissionner conformément aux règles non écrites appliquées depuis longtemps par le Parti communiste vietnamien, qui suit en cela l’exemple chinois. Une telle situation pousse les groupes rivaux à comploter les uns contre les autres dans les coulisses du Parti, et à se disputer âprement le soutien de la population dans leurs bases arrière.

Cette situation fait penser aux icebergs dont la partie immergée est dix fois plus volumineuse que la partie émergée. L’arrestation de Ha Van Tham (1), les accusations portées contre Trân Van Tuyên (2), Lê Thanh Cung (3), Hoang Van Nghiêm (4), les arrestations de Hông Lê Tho et de Nguyên Quang Lâp (5), la maladie de Nguyên Ba Thanh (6), les menaces proférées contre les blogueurs, tout cela n’est que la partie émergée d’un iceberg dont la véritable taille est bien plus grande.

2. L’influence des Etats-Unis au Vietnam est chaque jour plus marquée. C’est avec irritation que la Chine voit ses ambitions se heurter directement aux approches répétées des Etats-Unis auprès du Vietnam, un pays qui, depuis les années 1990 jusqu’à aujourd’hui, n’avait jamais été soumis à des influences autres que chinoises. Selon le spécialiste de géopolitique Robert Kaplan, les Etats-Unis considèrent le Vietnam comme la plus importante des dix nations de l’Asie du Sud-Est, tandis que la Chine voit le Vietnam comme le plus grand obstacle à son expansion, davantage encore que les Etats-Unis. C’est pourquoi le Parti communiste vietnamien est aujourd’hui divisé en ce qui concerne ces deux pôles d’influence que sont la Chine et les Etats-Unis.

3. L’impasse politique du régime actuel est due à l’obsolescence de son modèle politique. Les dirigeants politiques ont tous la même obsession : faire en sorte que le régime ne s’engage pas dans une voie sans issue.

Faut-il alors suivre totalement la Chine ?

Les dirigeants actuels ne peuvent le faire pour deux raisons principales. D’abord parce qu’aucun des deux groupes concurrents à l’intérieur du Bureau politique n’est assez puissant. Le groupe formé par le secrétaire général du Parti et le chef de l’Etat n’arrive pas à s’imposer. Ensuite, il est impossible que le Vietnam soit totalement assujetti à la Chine à cause de l’opposition de la population à cet asservissement et parce que le Vietnam ne peut se passer de l’influence américaine.

Faut-il alors suivre le modèle russe ?

Cela serait très difficile en raison du conservatisme de nos dirigeants à l’égard d’un passé vénéré. Ces derniers savent qu’ils sont dans l’impasse mais aucun ne veut abandonner le modèle familier pour tenter une aventure nouvelle. Le groupe du Premier ministre Nguyên Tân Dung pourrait essayer. Mais il lutte seul contre trois et même s’il tentait d’imiter ses voisins du Cambodge ou encore la Russie, ce serait loin d’être facile.

Convient-il de se mettre dans le sillage des Etats-Unis ?

Ce ne peut être qu’une perspective très lointaine ! Cela ne pourrait se produire que par une révolution, un soulèvement de la population qui renverserait le régime. L’exemple de la Birmanie est instructif pour le pouvoir actuel. Si le gouvernement est attentif, s’il sait se réformer quelque peu, alors il devient possible pour lui de faire l’économie d’une révolution et de se maintenir ainsi au pouvoir.

Conclusion

Le Xe plénum risque de donner lieu à de nombreuses péripéties. Pendant la durée de la réunion, le climat politique va être tendu et produire son lot d’arrestations, de pressions, de conflits, de menaces. Tout comme la Russie à la fin des années 1980, les groupes concurrents à l’intérieur du Parti sont engagés dans des luttes intestines pour triompher les uns des autres. Ils ont besoin pour cela d’aller à l’extérieur. Ainsi, la lutte intérieure va se transformer en bataille pour l’extermination des diverses cliques et groupes qui, à la base, soutiennent les adversaires. Il sera aussi nécessaire d’entraîner les organisations de masse dans cette même bataille.

Le XIIe Congrès adoptera une résolution qui formera le cadre des projets des cinq prochaines années, de 2016 à 2021. Les plénums qui auront lieu pendant ces cinq années ne pourront adopter de décisions que dans ce cadre préétabli. C’est peut-être la dernière occasion de changement pour le Parti communiste vietnamien afin de s’adapter aux circonstances actuelles, après que le changement de Constitution de 2013, annoncé à grand fracas, a abouti à un résultat décevant. Le Parti communiste doit s’engager dans une réforme politique importante sous peine de troubles graves qui échapperont à son contrôle.

Pour ce qui concerne la question du personnel aussi bien que pour les textes et les lignes politiques, le Parti communiste est en plein embarras sinon dans une impasse, alors que le pays est au seuil de la faillite et que la situation est urgente. Cette impasse, le Parti communiste en porte la pleine responsabilité. Les réactionnaires et les ‘forces hostiles’ n’y sont pour rien.

Lê Minh Nguyên

Notes
(1) NdT : L’auteur énumère une série d’affaires qui ont fait la ligne de la presse officielle et qu’il considère comme la partie visible de l’activité du Parti communiste vietnamien. Ha Van Tham est un homme d’affaires de 42 ans, directeur de l’Ocean Group. En 2014, il était classé huitième sur la liste des plus riches vietnamiens, avec une fortune estimée à un milliard de dollars. Le 24 octobre dernier, après la parution d’un communiqué de la banque nationale l’accusant d’avoir gravement violé la loi, il a été arrêté et emprisonné. On soupçonne que cette affaire comporte des dessous politiques.
(2) NdT : Trân Van Truyên, 64 ans, est un apparatchik, membre du Comité central du Parti, retraité depuis 2011. Les plus hautes fonctions lui ont été confiées aussi bien dans l’appareil du Parti que dans l’administration gouvernementale. Il est chef du Parti communiste pour la province de Bên Tre. En 2013, un journal dénonce sa fortune et ses nombreuses propriétés privées aussi bien à Bên Tre qu’à Hô Chi Minh-Ville. Une enquête menée à ce sujet conclut, en novembre 2014, à un enrichissement illégal.
(3) NdT : Lê Thanh Cung, 60 ans, trente-deux ans de Parti, est un cadre de haut niveau qui a accompli une brillante carrière et obtenu la médaille du travail, troisième classe. Il était chef de la province de Binh Duong lorsqu’il a été dénoncé pour s’être approprié une plantation d’hévéas et s’être fait construire une luxueuse demeure.
(4) NdT : Hoang Van Nghiên, 73 ans, membre du Comité central du Parti, est l’ancien président du Comité populaire de Hanoi. Il lui a été reproché publiquement d’avoir refusé de restituer son domicile de fonction, alors qu’il avait pris sa retraite il y a plus de huit ans.
(5) NdT : Lê Hông Tho et Nguyên Quang Lâp sont des écrivains et journalistes indépendants tout récemment arrêtés. Eglises d’Asie leur a consacré une dépêche le 12 décembre dernier.
(6) NdT : Nguyên Ba Thanh est le très célèbre ancien chef du Parti communiste de la ville de Da Nang, dont il a assuré le développement rapide et spectaculaire, quelquefois au détriment de l’environnement. C’est ainsi qu’il a fait disparaître l’antique paroisse catholique de Côn Dâu pour la remplacer par une « zone urbaine ». Appelé à la direction d’un comité de lutte contre la concussion par le secrétaire général du Parti, il s’est, semble-t-il, heurté à l’opposition du Premier ministre. Officiellement, il est à l’heure actuelle à l’étranger pour soigner une maladie.


(Source: Eglises d'Asie, le 16 décembre 2014)