Dimanche 12 mai, à l’occasion de la Journée des peuples autochtones (Indigenous People´s Day), la Conférence des évêques catholiques de Thaïlande (CBCT) a lancé un appel aux fidèles, leur demandant d'accorder leur soutien et leur « charité active » à leurs frères des minorités ethniques.

Mgr Philip Banchong Chaiyara, évêque du diocèse d’Ubon Ratchathani (1), situé dans le Nord-Est de la Thaïlande, et président de la Commission épiscopale pour le développement social, a déclaré être convaincu que l’Eglise pouvait mieux faire pour les membres des « tribus des montagnes », qui souffrent toujours en Thaïlande d’une forte discrimination et, pour la plupart, sont privés des droits les plus fondamentaux.

Les minorités ethniques de Thaïlande – qui sont classées par les autorités en différents groupes allant des aborigènes aux immigrés « plus récents » – vivent essentiellement dans la partie montagneuse du nord et de l’ouest du pays. L’Etat reconnaît six groupes principaux parmi lesquels les Karens (majoritaires avec une population estimée autour de 400 000 personnes pour 917 000 autochtones) (2), les H’mongs, les Lahus, les Miens, les Akhas et les Lisus. Ces communautés ethniques comptent une forte proportion de chrétiens, ce qui contribue à les faire se démarquer encore davantage de l’ethnie thaï emajoritaire dans un pays bouddhiste à 93 %.

Instauré il y a plus d’une dizaine d’année par la Commission pour les groupes ethniques (Commission for Ethnic Groups, CEG) de la Conférence épiscopale, l’Indigenous People´s Day, célébré chaque deuxième dimanche de mai, a pour mission de sensibiliser les fidèles aux problèmes des minorités ethniques et de les appeler à agir concrètement pour améliorer leur situation, qui, si elle perdure, risque de mener ces communautés à l’extinction.

La Journée des peuples autochtones est un « rappel pour tous les chrétiens et membres des autres religions à s’unir dans la prière afin que les peuples indigènes puissent avoir enfin accès aux mêmes droits que les autres composantes de la population », explique la commission dans son message pastoral.

Régulièrement, la Conférence des évêques de Thaïlande demande au gouvernement d’instaurer des mesures pour que les membres des communautés tribales puissent préserver leur culture tout en sortant du cercle vicieux de la pauvreté et de l’exclusion, et surtout qu'ils puissent obtenir la carte d’identité dont dépend leur accès à la mobilité, l’éducation, la santé, le travail et la propriété de terres.

La question de la citoyenneté est un sujet sensible en Thaïlande, qui a élaboré un système compliqué et unique en Asie du Sud-Est, attribuant des cartes d’identité différentes selon l’historique de migration de chaque ethnie.

Sans carte d’identité, il est impossible aux « peuples des montagnes » de faire reconnaître leurs droits sur les terres ancestrales, sur lesquelles ils vivent parfois depuis des siècles. Ils sont ainsi régulièrement victimes d’expropriations forcées, notamment lorsque le gouvernement crée des « zones naturelles protégées », obligeant les tribus locales à quitter la forêt d’où elles tirent leur subsistance, à abandonner leur mode de vie, leur culture et leurs coutumes, pour migrer vers les villes où elles se retrouvent en marge de la société thaïlandaise.

Depuis des années, la CEG, avec l'aide de la Caritas-Thaïlande, dont Mgr Banchong Chaiyara est également le président, collaborent avec différentes ONG (3) afin de former les minorités ethniques à la connaissance de leurs droits, en les aidant à récupérer leurs terres et à obtenir des cartes d’identité (depuis sa création, le CEG aurait réussi à faire accorder la citoyenneté thaïe à plus de 80 000 autochtones).

Dans sa lutte aux côtés des indigènes pour faire valoir leurs droits, l’Eglise catholique accorde une même importance à la préservation de leur culture, de leur mode de vie et de leur identité, mis en danger par la modernité, le déracinement et la politique d’assimilation pratiquée par les autorités thaïlandaises. Cette dernière s’est renforcée ces derniers temps en raison de la forte croissance démographique des « peuples des montagnes », qui est devenue une source d'inquiétude pour l’Etat thaïlandais. Lors des rassemblements 'tribaux' que l’Eglise organise depuis des années, les jeunes étudiants issus des minorités ethniques témoignent régulièrement de leurs difficultés à suivre des programmes scolaires qui ne sont conçus que pour des élèves thaïs, et du fait qu'ils ne peuvent pratiquer leur langue, ce qui contribue à creuser davantage le fossé culturel qui les sépare de leur communauté d’origine (4).

Pour les évêques catholiques, l’Indigenous People´s Day a été également l’occasion de rappeler à leurs ouailles les principes évangéliques fondés sur « la charité et la compassion » envers le plus pauvre, le plus faible et le plus méprisé. « Il y a encore beaucoup de préjugés chez la majorité des Thaïlandais envers les populations montagnardes, explique un responsable de l’EGC. Pour eux, ce sont surtout des trafiquants de drogue, ou des sauvages qui détruisent les forêts en pratiquant la culture sur brûlis. »

S’appuyant sur la déclaration du pape François plaçant son pontificat sous le signe du service des « pauvres d’entre les pauvres », avant de citer l’encyclique Caritas in Veritate de Benoît XVI, Mgr Banchong Chaiyara a, quant à lui, invité les fidèles catholiques à considérer autrement leur prochain, qu'il soit « immigré ou membre des minorités ethniques » ou encore « sans citoyenneté, sans terres, discriminé et rejeté ».

(1) Selon les statistiques de l'Eglise locale, le diocèse d’Ubon Ratchani compte aujourd’hui 26 000 catholiques sur une population essentiellement rurale de huit millions d’habitants. Il rassemble plus d’une cinquantaine de paroisses, d’une quarantaine de prêtres (et une dizaine de séminaristes), avec une douzaine de religieux et plus de 160 religieuses.

(2) Les Karens, groupe d’origine tibéto-birmane, comprennent de nombreux sous-groupes, de dénominations et de dialectes différents. 90 % d’entre eux environ vivent en Birmanie et 10 % en Thaïlande.

(3) La Foundation for the Development of Mountain Communities, dirigée par Toenjai Deethes, lauréat du Goldman Environmental Prize, est particulièrement active aux côtés des mouvements d’Eglise pour lutter en faveur d’une préservation de l’environnement et du milieu de vie des indigènes.

(4) Un bon exemple est celui des Mokens, marins nomades, dont la citoyenneté n’est pas entièrement reconnue par la Thaïlande. Ceux de leurs enfants qui peuvent aller à l’école doivent suivre les mêmes matières que les Thaïs et apprendre l’agriculture alors que leur peuple ne vit que de la pêche.

(Source: Eglises d'Asie, 14 mai 2013)