Le 26 janvier dernier, des représentants des six principales religions présentes en Corée (1) ont publié une lettre ouverte commune par laquelle ils s’engagent à unir leurs efforts en vue de lutter contre le harcèlement dont sont victimes certains élèves à l’école.

Présentée au Bureau pour l’éducation de Daegu, grande ville du sud-est du pays, la lettre présente un mea culpa des religions. ...

... « Chacun d’entre nous, nous regrettons nos manquements car nous avons négligé les souffrances des élèves et la violence à l’école », peut-on lire dans le document. Les responsables religieux s’engagent à réagir : « Aucun n’effort ne sera épargné pour trouver les manières de venir à bout de la violence en milieu scolaire. » Mgr Thaddeus Cho Hwan-kil, archevêque du diocèse catholique de Daegu, a ajouté : « Nous coopérerons ensemble afin d’instiller une culture du respect de l’autre et une entraide mutuelle afin de rendre plus fort un système éducatif qui forme des élèves dotés de meilleures qualités morales. »

La prise de position des responsables religieux prend place dans un pays où les religions sont très présentes dans l’enseignement. Sur une vingtaine de milliers d’établissements scolaires et universitaires, le secteur privé compte pour un tiers du total et ce pourcentage va croissant au fur et à mesure que l’on va vers l’enseignement supérieur (85 % des universités sont privées). Au sein du secteur privé, les Eglises chrétiennes sont très investies, l’Eglise catholique ayant la tutelle d’environ 320 établissements et les Eglises protestantes celle de 370 établissements.

Cette prise de position intervient aussi dans un contexte où les esprits ont été marqués par le récent suicide d’un jeune de 14 ans en décembre dernier. Si les suicides de jeunes ne sont pas rares en Corée (202 en 2009) (2), la mort du jeune Kim a fait la Une des journaux, notamment du fait que le jeune garçon a laissé une longue lettre à ses parents où il leur disait son amour pour eux et les raisons qui faisait qu’il choisissait de mettre fin à ses jours en se jetant par la fenêtre de l’appartement où il vivait. Il décrivait notamment le calvaire qu’il vivait du fait des brimades, coups et autres « tortures à l’eau » que lui faisaient subir deux de ses camarades.

L’affaire a fait grand bruit et a amené le pays à s’interroger sur l’étendue du phénomène du harcèlement à l’école et les raisons qui peuvent y conduire. Dans l’immédiat, le directeur du Bureau pour l’éducation de Daegu a annoncé qu’une campagne intitulée « Stop à la violence » allait être menée, promettant notamment de sévèrement punir ceux qui se livrent à des actes de harcèlement.

Plus profondément, la mort du jeune Kim est survenue à un moment où le pays s’interroge sur les limites que semble avoir atteint le système éducatif national. L’an dernier, l’ouvrage du professeur Kim Nan-do, de l’Université de Séoul, intitulé Cela fait mal parce que c’est la jeunesse, s’est vendu à plus de 1,3 million d’exemplaire.

Largement crédité des succès que rencontre la Corée sur le plan du développement économique, le système éducatif est critiqué pour la culture de la réussite à tout prix qu’il a imposé, avec pour conséquences une pression intense sur les bancs des écoles et une charge de travail exceptionnelle. Les conséquences sont connues : focalisation excessive sur l’examen d’entrée à l’université (le fameux sooneung, sésame décidant de l’orientation de toute la vie professionnelle future), poids exorbitant – tant financièrement qu’en termes de temps – des cours privés après l’école (55 000 hagwon dans le pays), apprentissage par cœur aux dépens de la créativité et de la réflexion personnelle, etc. Les autorités cherchent toutefois à corriger le tir. L’Institut coréen d’évaluation des programmes multiplie les propositions pour améliorer le système, en y introduisant plus de matières artistiques. Il semble cependant que le poids des habitudes et la réticence au changement, exprimée notamment par les parents, freinent les réformes.

Selon les sociologues, « l’hiver démographique » que connaît la Corée (1,15 enfant par femme en âge de procrée) est en partie dû à ce surinvestissement dans l’éducation. Face à un système qui induit une telle pression psychologique et de tels coûts financiers, les parents estiment qu’il ne leur est pas possible de mettre au monde plus d’un enfant, deux au maximum.

(1) Bouddhisme, catholicisme, confucianisme, protestantisme, bouddhisme Chondo-gyo et bouddhisme Won.
(2) Selon une récente étude, un collégien et lycéen sur cinq a pensé une fois à mettre fin à ses jours. Le taux de suicide pour cette tranche d’âge est élevé : 15 suicides pour 100 000 en Corée du Sud parmi les 15-24 ans (aux Etats-Unis, le chiffre est de 10, en Chine, de 7 et en Grande-Bretagne, de 5).

(Source: Eglises d'Asie, 27 janvier 2012)