« Le monastère de notre congrégation à Vinh Long a été confisqué pour en faire une place publique »

[NDLR – La présente interview ainsi que sa présentation ont été mises en ligne, le 2 novembre 2009, sur le site officiel de la Conférence des évêques catholiques du Vietnam (1). La traduction est de la rédaction d’Eglises d’Asie. Pour des informations détaillées au sujet de cette affaire, on se reportera à la dépêche diffusée par EDA le 2 novembre 2009.]


Présentation

Le 31 octobre 2009, à 10h49, le site Internet du journal Vinh Long (2) faisait paraître la nouvelle: « La ville de Vinh Long édifie une place publique pour servir les besoins de la population en matière d’amusements, de distractions et de fêtes locales. » Auparavant, la version imprimée de ce même journal (n° 2 213), publiée le dimanche 25 octobre 2009, avait annoncé: « A la fin du mois d’octobre 2009 commenceront les travaux de la place publique de la ville de Vinh Long. »

Immédiatement après la publication de ce numéro, Mgr Thomas Nguyên Van Tâm, évêque du diocèse de Vinh Long, avait écrit une Lettre pastorale aux prêtres, religieux et laïcs de son diocèse. Dans cette lettre, mise en ligne sur le site du diocèse (3), l’évêque informait ses fidèles de « la création de la place publique de la ville de Vinh Long au n° 3 de la rue Tô Thi Huynh, sur le terrain où autrefois était établie la congrégation des sœurs de Saint Paul de Chartres, propriété qui est toujours l’objet d’un litige encore non tranché ». « Ainsi, ajoute-t-il, le couvent des religieuses devient un lieu de distraction et d’amusement. »

Afin de fournir à nos lecteurs des informations exactes sur cette transformation du couvent de la congrégation de Saint Paul de Chartres en place publique, nous avons pris contact avec Sr Patrick de la Croix Huynh Thi Bich Ngoc, provinciale de la congrégation de Saint Paul de Chartres à My Tho. On trouvera ci-dessous l’intégralité du texte de cette interview.

Interview

Ma sœur, pouvez-vous nous dire à quelle adresse se trouve le couvent de la congrégation de Saint Paul de Chartres à Vinh Long ?

L’adresse officielle de notre couvent dans la ville de Vinh Long est « 3 rue Tô Thi Huynh, 1er arrondissement, ville de Vinh Long, province de Vinh Long ».

Y a-t-il longtemps que vos religieuses résident au numéro 3 de la rue Tô Thi Huynh ?

En 1860, à la demande de Mgr D. Lefèvre, deux sœurs de Saint Paul de Chartres ont foulé pour la première fois le sol du Vietnam avec pour mission de prendre soin des orphelins à l’institut de la Sainte Enfance à Saigon. En 1861, Sr Benjamin a été nommée supérieure pour la région d’Extrême-Orient. Cette même année 1861, notre congrégation s’est mise au service des hôpitaux de Biên Hoa et de My Tho. Les religieuses de Saint Paul de Chartres, depuis My Tho, ne tardèrent pas à se disperser un peu partout dans la région des six provinces (la Cochinchine). Leur mission essentielle était l’éducation des enfants, le soin des malades, l’assistance aux malheureux et, plus particulièrement, aux oubliés de tous.

Les religieuses de Saint Paul de Chartres sont arrivées à Vinh Long en 1871. Là, elles se sont fait connaître par leurs activités caritatives, des activités propres à l’idéal de vie de leur congrégation. En 1874, les religieuses ont acheté un terrain pour y établir leur couvent. Il se trouvait au numéro 3 de la rue Nguyên Truong Tô, (devenu aujourd’hui le numéro 3 de la rue Tô Thi Huynh). En 1977, la superficie du terrain appartenant à la congrégation était de 1 ha 0235 a.

Ainsi, voilà près de 140 ans que les religieuses de Saint Paul de Chartres sont présentes à Vinh Long. Durant ce temps, quel était le statut légal du terrain et des établissements liés au couvent ?

Comme je viens de l’exposer, le terrain du couvent avait été acheté en 1874. Ensuite, les religieuses ont eu recours à un entrepreneur. Les travaux ont été menés par une entreprise de construction française. Aujourd’hui, nous conservons encore les documents concernant l’achat du terrain et la construction du couvent. Tout est parfaitement en règle d’un point de vue juridique.

Pour quelles raisons les autorités provinciales de Vinh Long ont-elles décidé d’édifier le jardin public de la ville sur le terrain du couvent ?

C’est une longue histoire. Je me permets de la résumer. De 1871 à 1977, pendant plus de cent ans, dans la région des six provinces en général et, plus particulièrement, à Vinh Long, nos sœurs se sont consacrées à des actions caritatives, telles l’éducation des enfants, le soin des malades, l’assistance aux malheureux… Durant de nombreuses décennies avant 1975, notre couvent à Vinh Long a ouvert ses portes pour accueillir, nourrir, éduquer les orphelins. Cette action caritative et sociale, menée quotidiennement, a suscité à notre égard un courant de sympathie dans la société locale.

Mais après les événements de 1975, plus précisément, le 7 septembre 1977, la Sécurité de la ville de Vinh Long, et de la province du Mékong (c’était le nom administratif de l’époque pour l’actuelle province de Vinh Long) ont investi et accaparé notre couvent... Après cela, ce fut le recensement de nos biens, la dispersion des enfants orphelins et handicapés, la confiscation de la totalité des biens du monastère, l’arrestation de toutes les religieuses, leur internement dans une salle de classe de l’école Saint Paul. Un mois plus tard, en octobre 1977, la Sécurité libéra 17 religieuses qui furent contraintes à retourner dans leurs villages d’origine. Quant à la religieuse responsable du couvent, la sœur Lê Thi Trach, elle fut amenée au poste de la Sécurité, où elle fut gardée pendant deux mois. On l’obligea ensuite à venir résider dans la maison provinciale de la congrégation au n° 11 de la rue Hung Vuong de la ville de My Tho, dans la province de Tien Giang.

Nous n’avons jamais reçu un texte législatif quelconque nous informant des articles du Code pénal que nous aurions violés pour être soumises à une telle sanction, à savoir la dissolution de notre communauté.

Aujourd’hui, la congrégation de Saint Paul de Chartres ne sait toujours pas sur quel article du Code pénal s’appuyait la mesure qui l’a frappé en 1977 ?

A cette époque, en 1977, nous ne le savions pas. Il a fallu attendre 28 ans plus tard pour connaître la raison de ces événements. Le 27 août 2005, nous avons reçu la décision intitulée 1958/QD.UBT, datée du 6 septembre 1977, une décision émanant du Comité populaire de la province du Mékong et relative à la confiscation du couvent.

Sur quel motif concret cette décision s’appuie-t-elle pour décréter la confiscation du couvent ?

Je me permets de citer le document: « Attendu que l’orphelinat de la rue Nguyên Truong Tô est un établissement social appartenant à une congrégation étrangère, qu’il a été construit grâce à des ressources financières venant de l’étranger, qu’il est un lieu destiné à former de jeunes malheureux en vue de constituer des forces s’opposant à la révolution et à la libération nationale du peuple vietnamien, (…) »

Pendant 28 ans, la province de Vinh Long a été gestionnaire des bâtiments du couvent de la congrégation. A quelle fin les a-t-elle utilisés ?

La province du Mékong (aujourd’hui la province de Vinh Long) les a utilisés comme section pédiatrique de l’hôpital de la province.

Les lieux ont donc été utilisés comme hôpital puis transformés en place publique ?

Ce n’est pas aussi simple. Car, avant qu’il ne soit décidé d’y construire une place publique, la province avait autorisé l’agence de tourisme Saigon - Vinh Long à construire un hôtel. Le projet prévoyait que ce serait un établissement de luxe, un hôtel 4 étoiles.

Pourquoi a-t-on changé l’objectif ?

La raison de ce changement est clairement indiquée dans la presse de Vinh Long. Je me permets de citer un extrait du journal électronique relatif au service de planification et d’investissement de la province de Vinh Long (4):

Hier, 12 décembre 2008, le président du Comité populaire de la province de Vinh Long, Pham Van Dau, a organisé une conférence de presse pour faire connaître le changement intervenu dans l’utilisation du terrain situé au 3 de la rue Tô Thi Huynh, dans le 1er arrondissement de la ville de Vinh Long. Participaient à cette conférence les divers services de la ville et de la province de Vinh Long, les représentants du Front patriotique de la ville, du Comité d’union du catholicisme de la province, des représentantes des religieuses de la congrégation Saint Paul de Chartres ainsi que les divers organes de presse de la province.

Le terrain situé au 3 de la rue Tô Thi Huynh appartenait autrefois au domaine de l’hôpital provincial. Pour répondre aux besoins de santé de la population de la province, étant donné la très grave dégradation de l’ancien hôpital, il a fallu le démolir pour en construire un nouveau à un autre endroit. En vue de favoriser le développement économique et social de la province et, plus particulièrement, celui des infrastructures de la ville dans le futur, le terrain en question a été choisi pour un projet de centre commercial et de services associé à un hôtel 4 étoiles. Mais à la suite des bouleversements intervenus dans les prix des matériaux de construction, l’organisme investisseur, à savoir l’agence Saigon-Vinh Long, a proposé à la province de changer d’emplacement pour un autre plus adapté aux conditions actuelles. Cette demande a été acceptée par la province.

Pour répondre aux aspirations des diverses couches de la population de la province, avec l’accord du Comité du parti et du Conseil populaire provincial, le Comité populaire de la province a envoyé un rapport au gouvernement, sollicitant l’opinion de celui-ci sur le changement intervenu dans l’utilisation du terrain du 3 rue Tô Thi Huynh, où l’on construirait désormais une place et un jardin public portant l’appellation: « Place publique de la ville de Vinh Long ». Cette proposition a été acceptée par le chef du gouvernement. (…)


Revenons-en au principal objectif de notre rencontre d’aujourd’hui. Quelles sont les initiatives prises par la congrégation de Saint Paul de Chartres pour faire connaître son opinion aux autorités ?

Ces sept dernières années, du mois de novembre 2002 jusqu’à aujourd’hui, nous avons rédigé des requêtes que nous avons envoyées à toutes les instances du pouvoir, à l’échelon régional comme à l’échelon central, à Vinh Long comme à Hanoi, aux autorités provinciales comme aux autorités gouvernementales (le ministère des Ressources et de l’Environnement, le ministère de la Construction).

Nous avons aussi recouru aux diverses associations populaires fondées par l’Etat et menant leurs activités dans le cadre de la légalité de la République socialiste du Vietnam, comme le Front patriotique, le Comité d’union du catholicisme… Nous avons aussi demandé de l’aide à la presse du pays. Nous avons fait intervenir de nombreuses personnalités, comme Mgr Thomas Nguyên Van Tân, évêque du diocèse, les prêtres Huynh Cong Minh, Thiên Câm, l’avocat Nguyên Van Phuong, les journalistes Nguyên Thanh Long, Khâng Thanh Ngoc, etc. Ils ont pris la parole, écrit des articles exposant des arguments en notre faveur, souhaitant, sans agressivité, que les autorités restituent le couvent de la congrégation.

Vos requêtes sont-elles restées dans le cadre autorisé par la loi ?

Absolument !

Quels ont été les résultats ?

Nous avons reçu la décision n° 88 du ministère de la Construction, datée du 18 octobre 2007. Elle répondait que les biens de la congrégation de Saint Paul de Chartres ne seraient pas restitués. La décision stipulait: « La réclamation de la terre et des propriétés de la congrégation Saint Paul de Chartres à My Tho ne peut être satisfaite

En ce qui concerne les autorités de Vinh Long, en 2006, le Comité populaire provincial a proposé une indemnité de 1 500 000 000 dôngs (57 000 euros) et un terrain d’environ 3 000 m² en périphérie de la ville. Récemment encore, la province nous a demandé, au cas où l’assistance proposée ne répondait pas aux besoins de la congrégation, de lui présenter un projet concret de construction, pour qu’elle l’examine.

Que pense la congrégation de cette proposition ?

Nous ne sommes pas d’accord.

Malgré tout, le remplacement du terrain par un autre n’est-il pas une solution possible ?

Nous voulons que toutes les solutions soient fondées sur la vérité. Quelle que soit la solution, si elle ne garantit pas que la vérité soit restaurée, elle ne pourra être considérée comme une solution correcte.

Pourriez-vous nous expliquer cela ?

Nous voulons que soient reconnus la justice et le bon droit. Ce qui signifie qu’il nous faut revenir aux événements de 1977. A cette époque, nous n’avons pas enfreint la loi. Aujourd’hui, tous les types de solutions envisagées supposent que nous avons violé la loi et que notre propriété fait partie du domaine des terres « frappées par la réforme ». Accepter un simple changement de terrain, ce serait reconnaître que nous bénéficions aujourd’hui d’une faveur. Nous n’avons pas commis d’infraction. Nous devons revenir à notre ancien couvent au n° 3 de la rue Tô Thi Huynh. La vérité est que de nombreuses générations de sœurs ont mené là leur vie religieuse, pendant plus d’un siècle.

Maintenant sur le terrain du couvent, une place publique va être créée… !

Nous continuerons à faire entendre notre plainte.

Dans le cadre de la loi ?

Oui ! Nous avons toujours respecté la loi. (…)

(1) http://hdgmvietnam.org/News.aspx?Type=8&Act=Detail&ID=999&CateID=63
(2) http://www.baovinhlong.com.vn/newsdetails.aspx?id=226&newsid=4510
(3) http://www.giaophanvinhlong.net
(4) http://www.skhdt.vinhlong.gov.vn/web/View.aspx?CID=1001&ID=15600


(Source: Eglises d'Asie, 4 novembre 2009)