Condamné le 9 mai dernier contre toute attente à deux ans de prison pour « blasphème » et incarcéré depuis dans une cellule du quartier général des forces spéciales de l’armée indonésienne, l’ancien gouverneur de Djakarta, Basuki Tjahaja Purnama, dit ‘Ahok’, a indiqué lundi 21 mai, par l’intermédiaire de ses avocats, renoncer à faire appel. Le lendemain, lors d’une conférence de presse, son épouse, Veronica Tan, particulièrement émue, a lu une lettre manuscrite de son mari exposant les motivations de cette décision surprenante.

Après avoir remercié ses partisans de l’avoir porté dans leurs prières et de lui avoir fait parvenir livres, lettres et fleurs, Ahok explique avoir renoncé à la procédure « pour le bien de notre peuple et de notre nation ». Chrétien convaincu, il ajoute « [avoir] appris à pardonner et accepté » cette situation. « Je place mon espoir dans le Seigneur, maintenant et à jamais », écrit-il, en citant le psaume 123.

Les avocats de l’ancien gouverneur, qui entouraient Veronica Tan lors de la conférence de presse, ont largement commenté cette décision. L’un d’entre eux, I Wayan Sudirt, a déclaré que son client « [voulait] être au service du peuple », ajoutant qu’Ahok « [avait] confiance en la volonté de Dieu » ; un autre, Ronny Talapessy, a indiqué qu’Ahok redoutait des violences et un ralentissement de l’activité économique du pays.

Une décision destinée à « protéger le cœur de la nation »

La décision de l’ancien gouverneur a été saluée par une partie des observateurs locaux. « Ahok a montré qu’il disposait d’une âme d’homme d’Etat », analyse le P. Antonius Benny Susetyo, secrétaire national de l’Institut Setara pour la paix et la démocratie, une organisation non gouvernementale qui milite pour les droits de l’homme et la liberté religieuse en Indonésie. « Cette décision est juste, [Ahok] privilégie l’intérêt supérieur de la nation pour que cessent les divisions. »

Ces « divisions » font suite aux propos tenus par le gouverneur Ahok, chrétien issu de la minorité chinoise, lors d’une réunion publique organisée en septembre 2016 dans le cadre de la campagne électorale pour le poste de gouverneur de Djakarta. Commentant la sourate al maidah du Coran, il avait expliqué aux musulmans que ceux qui utilisaient ce passage des écritures leur mentaient lorsqu’ils leur disaient qu’il était illicite pour eux de voter pour un non-musulman. Quelques semaines plus tard, le FPI (Front des défenseurs de l’islam), une organisation radicale connue pour ses manifestations violentes et ses attaques contre les minorités, avait porté l’affaire en justice et le gouverneur avait été poursuivi pour « blasphème ».

Ce procès avait très largement parasité la campagne électorale (le Jakarta Post la qualifiant même de campagne « la plus sale » de l’histoire de la capitale indonésienne), au terme de laquelle Ahok, élu en 2012 et disposant d’un bilan plutôt favorable, avait été battu au deuxième tour des élections du 19 avril dernier. Pendant la campagne, de nombreuses manifestations avaient été organisées par les détracteurs d’Ahok, certains revendiquant même « la peine de mort » contre le gouverneur chrétien issu de la minorité chinoise.

Mobilisation des Nations Unies en faveur de la « libération immédiate » de l’ancien gouverneur

La condamnation à une peine de prison avait contraint le gouverneur Ahok à démissionner, alors que la fin de son mandat était officiellement prévue en octobre. Le vice-gouverneur Djarot Saiful Hidayat avait alors dû le remplacer dans ses fonctions. Mais surtout, ce procès avait profondément divisé la société, un éditorialiste du Jakarta Post dénonçant même « l’équivalent d’une erreur judiciaire », et mobilisé l’opinion publique internationale.

En effet, le 12 mai dernier, Champa Patel, directrice du bureau régional Asie du Sud-Est et Pacifique d’Amnesty International, dénonçait « l’iniquité fondamentale de la législation indonésienne sur le blasphème », réclamant son abrogation immédiate. « Ce jugement va ternir l’image de nation tolérante dont bénéficie l’Indonésie », ajoutait-elle. Pour le P. Magnis-Suseno, jésuite d’origine allemande installé en Indonésie depuis 1961, une voix discrète mais influente de la vie intellectuelle en Indonésie, et fervent artisan du dialogue interreligieux, « il semble se mettre en place une coalition silencieuse faite de généraux à la retraite et de militants islamiques ».

Quelques jours plus tard, le 21 mai, l’Organisation des Nations Unies avait contacté le président de la République, Joko Widodo, ancien gouverneur de Djakarta qu’Ahok avait remplacé à ce poste en 2014, pour solliciter la libération immédiate d’Ahok et la révision des dispositions pénales relatives au blasphème, soulignant une réelle atteinte à la liberté d’expression dans un pays où la majorité de la population est de confession musulmane. Premier pays musulman au monde, avec 200 millions de fidèles (soit 85 % de la population), l’Indonésie est une République démocratique dont Constitution garantit la liberté religieuse. Pour autant, le blasphème constitue un délit, prévu à l’article 156(a) du Code pénal, et puni de cinq ans d’emprisonnement.

Désormais, le sort de l’ancien gouverneur est entre les mains du ministère public. Celui-ci, qui avait requalifié l’infraction en « insulte », et requis une sanction bien inférieure à celle que les juges avaient prises en première instance, a interjeté appel. Contacté par la presse, le bureau du procureur s’est pour l’instant refusé à tout commentaire. (eda/pm)

Copyright Légende photo : Veronica Tan, en larmes, à la lecture de la lettre de l’ancien gouverneur Ahok, son époux, dans laquelle ce dernier indique renoncer à faire appel.
(Source: Eglises d'Asie, le 23 mai 2017)